Le Mali menace les géants de l’or : juste cause, mais méthode critiquable

Selon la presse locale et internationale, le Mali a émis un mandat d’arrêt contre Mark Bristow, PDG de Barrick Gold, deuxième plus grand producteur d’or au monde. Si l’information se confirme, elle serait un signal fort envoyé par Bamako : sa lutte pour une part plus équitable des revenus de ses ressources naturelles est sérieuse. Si la cause est difficilement contestable, le modus operandi peut être critiqué, surtout que d’autres pays africains ont obtenu des résultats probants en employant des méthodes différentes.

Un modus operandi qui interroge

D’après les détails relayés dans les médias, Mark Bristow est accusé de « blanchiment d’argent et de violations de la réglementation ». Le mandat d’arrêt émis s’inscrit dans un conflit fiscal où le Mali réclame 500 millions $ à Barrick. Après un accord trouvé en septembre et un premier paiement de 85 millions $, selon les dires de Barrick, le gouvernement malien a dénoncé en octobre un non-respect des termes et procédé à des arrestations, ciblant quatre cadres de la compagnie.

Ces derniers sont actuellement détenus en attente de leur procès, sans que les chefs d’accusation n’aient été officiellement précisés par les autorités.

Ce n’est pas la première fois que le Mali utilise cette méthode. En novembre, le PDG de Resolute Mining a été brièvement détenu avant que la compagnie australienne n’accepte de verser 160 millions $ pour clore son différend avec Bamako.

En novembre, le PDG de Resolute Mining a été brièvement détenu avant que la compagnie australienne n’accepte de verser 160 millions $ pour clore son différend avec Bamako.

Ces actions s’inscrivent dans une stratégie amorcée en 2023, après un audit révélant un manque à gagner de 300 à 600 milliards FCFA (500 millions $ à 1 milliard $). Le gouvernement cherche à récupérer ces fonds et à imposer pleinement son nouveau code minier, qui fait passer la part de l’État dans les mines à 30 %, tout en introduisant une participation de 5 % pour les investisseurs locaux.

Une plus grosse part du gâteau, à tout prix ?

Arrêter des dirigeants pour forcer des paiements est une méthode qui ignore les accords en place et nuit à l’image du Mali. Cela donne l’impression d’un État prêt à privilégier la confrontation au détriment de la stabilité et de la confiance des investisseurs. Pourtant, peut-on reprocher au Mali de choisir la confrontation directe ? Les mécanismes juridiques traditionnels sont souvent lents, coûteux et rarement favorables aux États africains, face à des multinationales armées d’une puissance financière et juridique colossale.

Les mécanismes juridiques traditionnels sont souvent lents, coûteux et rarement favorables aux États africains, face à des multinationales armées d’une puissance financière et juridique colossale.

Le problème est systémique. Depuis des décennies, les multinationales maximisent leurs profits au détriment des pays hôtes, signant des contrats que plusieurs rapports ont présentés comme « déséquilibrés » avec des gouvernements souvent dépourvus de capacités techniques et financières pour valablement défendre leurs intérêts.

Mieux, un rapport du FMI estime que les pratiques d’évasion fiscale et de transfert de bénéfices dans le secteur minier coûtent chaque année entre 450 et 730 millions $ aux pays d’Afrique subsaharienne.

Le Mali n’est pas seul dans cette bataille. En Tanzanie il y a quelques années, pour la même cause, le feu président John Magufuli a commandé des audits qui ont révélé des fraudes massives, puis obligé plusieurs compagnies à payer des centaines  de millions de dollars. En RDC, malgré les menaces des compagnies, l’adoption d’un nouveau code minier en 2018 a permis d’augmenter les recettes publiques confirme le FMI. Plus récemment, le gouvernement congolais a renégocié son contrat « mines contre infrastructures » avec la Chine pour obtenir une enveloppe de 7 milliards $.

Un rapport du FMI estime que les pratiques d’évasion fiscale et de transfert de bénéfices dans le secteur minier coûtent chaque année entre 450 et 730 millions $ aux pays d’Afrique subsaharienne.

Au Botswana, la renégociation du partenariat avec De Beers fait passer la part des diamants bruts du pays de 25 % à 30 %, avec un objectif de 50 % dans dix ans. Arrivé à la tête de la Guinée en 2021, le colonel Mamadi Doumbouya a notamment lancé en 2022 un ultimatum aux producteurs de bauxite pour qu’ils soumettent des plans pour la construction de raffineries locales.

En août 2024, la Zambie, deuxième producteur africain de cuivre, a déclaré vouloir obtenir au moins 30 % d’intérêts dans les nouvelles mines de minéraux critiques. Ces différents exemples montrent une prise de conscience générale et une volonté des Etats de ne plus se contenter des « miettes », mais de parvenir à des accords plus « équitables ». Les richesses naturelles ne doivent plus enrichir uniquement les multinationales.

Trouver l’équilibre entre fermeté et transparence

La méthode malienne est critiquable parce qu’elle contourne les accords déjà en place. Lorsqu’un contrat devient désavantageux ou ne reflète plus la réalité économique, la solution passe par une renégociation franche et transparente, même si elle demande du temps. D’autres pays africains, comme le Botswana ou la RDC, ont prouvé que cette voie, bien que plus patiente, peut aboutir à des résultats significatifs et pérennes.

Les multinationales doivent, elles aussi, comprendre que l’époque des super-profits tirés des ressources africaines touche à sa fin.

Accepter de renégocier de manière proactive et dans un esprit de transparence n’est pas seulement une nécessité, mais aussi une stratégie pour garantir la stabilité et instaurer un climat de confiance avec les gouvernements.

Les multinationales doivent, elles aussi, comprendre que l’époque des super-profits tirés des ressources africaines touche à sa fin.

Le Mali, comme de nombreux autres pays africains, est à l’aube d’un tournant historique. Si la fermeté dans la défense des intérêts nationaux est indispensable, elle doit s’accompagner d’une transparence accrue, d’une stabilité institutionnelle et de l’utilisation stratégique de ces mécanismes existants. Ce double effort permettra de récupérer une part équitable des ressources naturelles tout en attirant des investissements durables, au bénéfice des populations.

Pour les pays africains, des outils existent pour soutenir ces efforts.

L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) offre un cadre pour améliorer la gouvernance et la transparence dans la gestion des ressources naturelles, en exigeant des rapports clairs sur les paiements des compagnies et les revenus des gouvernements. La Banque africaine de développement (BAD), à travers sa Facilité africaine de soutien juridique, aide les États à renforcer leurs capacités de négociation et à structurer des accords plus équitables.

De même, la Vision minière africaine de l’Union africaine fournit une feuille de route pour transformer les ressources minérales en leviers de développement durable, en priorisant les intérêts nationaux et régionaux dans les politiques minières.

AGENCE

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