La salinisation des sols progresse, menaçant l’agriculture et l’accès à l’eau douce

Environ 1,4 milliard d’hectares, soit 10,7 % des terres de la planète, sont touchés par une hausse de la teneur en sel, selon un rapport publié mardi par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Une salinisation amplifiée par le réchauffement climatique et les activités humaines, avec des conséquences néfastes pour l’agriculture et l’alimentation.

Au moment où la COP16 consacrée à la lutte contre la désertification, organisée jusqu’au 13 décembre en Arabie saoudite, tente de trouver des solutions contre la dégradation des terres, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) alerte sur la salinisation des sols, l’une des causes du problème.

Selon une étude pilotée par l’organisme onusien publiée mercredi 11 décembre, qui dresse pour la première fois en cinquante ans une estimation mondiale de la salinisation, 1,3 milliard des terres seraient affectées par ce phénomène, soit 10,7 % de la surface terrestre. Plus inquiétant, un milliard supplémentaire seraient menacées d’ici la fin du siècle.

En théorie, la salinisation, – l’augmentation de la concentration en sel et en sodium dans les eaux et dans les sols qui y sont associés – est un phénomène naturel. « Parfois, la présence de sel date des temps géologiques, avec la présence de mines », détaille Christophe Piscart, directeur de recherches au CNRS, membre du laboratoire Ecobio. Dans d’autres cas, les sols se gorgent en sel sous l’effet de l’altération de roches, d’une activité volcanique ou encore du dépôt atmosphérique de sels marins par le vent.

Certains sols, dits salins, affichent ainsi naturellement un excès de concentration en sel et sont à l’origine de paysages comme les mangroves, les zones humides ou encore les lacs salés, avec des écosystèmes et une biodiversité adaptés à ces conditions extrêmes.

Changement climatique et activités humaines
Mais, de plus en plus, sous l’effet des activités humaines, ce cycle naturel se trouve perturbé, venant saler des zones d’eau douce. En cause, notamment : l’irrigation dans les zones agricoles.

« Pour arroser les cultures, on va venir pomper de l’eau souterraine, chargée en sel, et venir la remettre en surface. Cette eau pompée va cependant s’évaporer sous l’effet du climat et ne laisser finalement que son sel. Progressivement, la surface va donc se charger en sel », explique le spécialiste.

À ce cercle vicieux de l’irrigation viennent s’ajouter d’autres activités comme le drainage des sols, la déforestation, l’utilisation excessive d’engrais minéraux, la surexploitation des eaux souterraines ou encore les activités minières.

« Et le dérèglement climatique vient amplifier le problème », poursuit Christophe Piscart. Par exemple, alors que les sécheresses deviennent plus intenses et plus fréquentes, la nécessité d’irriguer les cultures se fait plus vive. Mais face à la hausse des températures, l’évaporation de l’eau en surface est aussi plus rapide. De quoi, donc, accélérer encore la salinisation des sols.

Par ailleurs, avec le dérèglement climatique, le niveau de la mer augmente, favorisant l’intrusion d’eau salée à proximité des côtes.

« Le changement climatique pourrait accélérer l’intrusion d’eau salée en raison de l’élévation du niveau de la mer, de l’augmentation de la température, de l’accroissement de l’évaporation et de la surexploitation d’eau souterraine », résume ainsi Sougueh Cheik, docteur en sciences de l’environnement dans un article publié par The Conversation.

Eau non potable, récoltes perdues…
Si la salinisation de l’eau douce touche principalement les pays avec un climat aride et semi-aride,– environ un tiers des terres émergées du globe –, « la concentration en sel augmente désormais un peu partout sur la planète, y compris dans des zones qui ont des climats tempérés », note Christophe Piscart.

Et cette salinisation a des conséquences directes sur l’agriculture et l’alimentation.

Les exemples s’accumulent déjà : en 2023, les habitants de La Nouvelle-Orléans, aux États-Unis, ont été exposés à une eau du robinet salée en raison de la sécheresse du fleuve Mississippi ; en France, la même année, des viticulteurs de Camargue ont vu leurs pieds de vigne succomber sous l’effet du fort taux de sel ; en 2024, en Ouzbékistan, les récoltes de coton ont fondu à cause des dépôts salins sur les sols.

Alors qu’un tiers de la population mondiale vit déjà dans des pays en situation de stress hydrique, au moins 16 % des eaux souterraines sont aujourd’hui considérées comme salines ou saumâtres, et cette part est probablement sous-estimée, souligne la FAO dans son étude.

Dans le secteur agricole, la salinisation concerne pour le moment 10 % des surfaces cultivables dans le monde, qu’elles soient irriguées ou non, notamment en Chine, aux États-Unis ou en Afghanistan, selon les cartes de la FAO.

Mais avec le changement climatique, cette salinisation pourrait toucher 24 à 32 % des sols d’ici la fin du 21e siècle, principalement en Amérique latine, dans le sud-ouest des États-Unis, en Australie et en Afrique du Sud, poursuit l’étude.

Dans les pays les plus affectés, les pertes de rendement pourraient, quant à elles, grimper jusqu’à 72 % pour le riz, 68 % pour les haricots, 45 % pour le sucre de canne, ou encore 37 % pour le maïs, note-t-elle encore. Les plantes, non adaptées, flétrissent comme en pleine sécheresse.

Avec la hausse du niveau de la mer, plus d’un milliard d’humains vivant dans des zones côtières risquent aussi de subir une inondation progressive et une salinisation du sol de leurs régions d’ici la fin du siècle, au Bangladesh mais aussi en Chine, au Vietnam ou en Égypte.

Changer les pratiques agricoles
Pour atténuer le phénomène et s’adapter à cette réalité, les experts de la FAO appellent à la mise en place de réglementations sur la gestion de ces terres salinisées.

En parallèle, l’étude met en avant les nombreuses stratégies dans le domaine agricole qui permettraient de ralentir la salinisation.

Parmi elles : adopter une meilleure gestion de l’eau, développer les paillis, favoriser la rotation des cultures et la diversification mais aussi, développer, dans les zones les plus touchées, les cultures de plantes plus tolérantes au sel.

Dans les vertisols d’Inde, des sols très argileux et salés, la Salvadora persica, une plante médicinale, mais aussi l’aneth, ont ainsi été identifiées comme des plantes résistantes et pouvant fournir de bons revenus aux agriculteurs.

afp

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