« Procès historique » des viols de Mazan : après l’onde de choc, l’héritage en question

« Procès historique », « tournant majeur », « révolution »… Le procès des viols de Mazan sur la personne de Gisèle Pélicot a provoqué une onde de choc sociétale dont l’impact sur la lutte contre les violences faites aux femmes reste, dans la durée, incertain à ce stade. Gisèle Pelicot est devenue une icone féministe en France et à l’international.

Que restera-t-il des plus de trois mois d’audience, des unes de la presse nationale et internationale, des manifestations et des portraits de Gisèle Pelicot tapissés sur les murs de Lille, Paris ou New-York une fois le verdict prononcé ? À huit jours de l’énoncé du verdict dans l’affaire des viols de Mazan, d’aucuns s’interrogent sur l’héritage que laissera ce procès inédit sur les violences faites aux femmes.

« Il est temps qu’on change le regard sur le viol », a déclaré à la barre Gisèle Pélicot, droguée et violée par son mari Dominique qui l’a livrée pendant une décennie à des dizaines d’inconnus recrutés sur Internet.

L’un de ses avocats, Me Stéphane Babonneau, a appelé lors de sa plaidoirie au changement de « l’idée ancrée dans un imaginaire masculin que le corps de la femme est un objet de conquête ».

« Un avant et un après Mazan »

Dans les rangs des associations féministes et des parties civiles, l’espoir est donc grand de voir ce procès hors norme, à fort retentissement médiatique, faire évoluer les mentalités sur les viols, tentatives de viols et agressions sexuelles déclarés chaque année par plus de 200 000 femmes en France.

Porte-voix du mouvement #Metoo dans le cinéma, l’actrice Judith Godrèche a émis l’espoir d’une « révolution », quand plusieurs membres du gouvernement Barnier ont estimé qu’il y aurait « un avant et un après Mazan ».

« En refusant le huis clos, Gisèle Pelicot a permis à la société française de progresser, de voir ce qu’était le viol conjugal, la soumission chimique et de montrer que le viol concernait moniseur et madame Tout-le-monde », déclare Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. « Ces images de Gisèle Pelicot entrant chaque jour dans le tribunal, la tête haute, et les mis en cause entrant le dos courbé, avec le visage dissimulé, ont également montré que la honte avait changé de camp ».

« Un repère »
Rien à voir avec le procès historique d’Aix-en-Provence de 1978, abonde Agnès Fichot, alors jeune avocate auprès de Me Gisèle Halimi qui défendait deux jeunes touristes belges violées par trois hommes près de Marseille.

À l’époque, les deux victimes et leurs conseils avaient dû subir les insultes et les huées des accusés et de leurs soutiens venus en nombre, rappelle-t-elle.

« Le procès de Mazan est un véritable éveil, sinon réveil, des consciences sur le regard des hommes sur les femmes, et surtout la manière dont les femmes exigent que les hommes aient un regard différent sur elles », observe Me Fichot.

Un avis partagé par l’avocate spécialiste des violences faites aux femmes, Anne Bouillon.

« Ce procès nous a tous profondément marqués et constituera un repère qu’on pourra remobiliser, en tous cas, dans les prétoires », observe Me Bouillon, « personnellement convaincue qu’on ne reviendra pas dans l’avant-Mazan ».

Un « miroir grossissant » sur ce qu’est le viol, mais après ?
Ce procès a permis « de confirmer qu’il n’y a pas de profil type de violeur et que la plupart des violeurs sont des hommes ordinaires qui commettent le viol par opportunité. »

Un « miroir grossissant » sur ce qu’est le viol, mais après ? Craignant que le soufflé ne retombe, des voix s’élèvent déjà pour qu’une réponse politique ou législative soit apportée.

Le procès d’Aix avait débouché deux ans plus tard sur une loi définissant pour la première fois de façon précise le viol. En Espagne, l’affaire de « la Manada » (La Meute), un viol collectif commis en 2016, a conduit le pays à renforcer sa législation contre le viol en y intégrant la notion de consentement.

Un débat similaire a émergé en France et a gagné en vigueur avec le procès Mazan, même si la question est loin de faire l’unanimité.

« Ne pas oublier »
« Ce n’est pas tellement le sujet, le sujet est plus du côté des violences conjugales, de la récidive, de l’importance de l’éducation à la sexualité », estime Anne-Cécile Mailfert, déplorant l’offensive conservatrice en cours contre cet enseignement obligatoire depuis 2001.

Mais si le procès Mazan a eu « un écho inimaginable », tous les « problèmes ne sont pas pour autant résolus » prévient Agnès Fichot. « Les hommes doivent s’en mêler absolument, il y en a qui s’en mêlent, mais, soyons réalistes, il y en a encore beaucoup trop sur le bord de la route ».

Comme en 1978, il s’agit désormais de « se mettre au travail » et d’accompagner ce débat, ajoute l’avocate. « Et surtout ne pas oublier. Avoir la mémoire du combat mené par ces femmes, que ce soit Aix ou Mazan, pour que le regard de l’homme change. »

AFP

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