«La France se tient aux côtés de la Tunisie et du peuple tunisien dans ce moment clé pour sa souveraineté et la liberté.» Dans un communiqué publié samedi, l’Elysée a employé des mots prudents, mais n’a exprimé aucune critique envers Kaïs Saïed. Il y a deux semaines, le président tunisien avait suspendu le Parlement dirigé par le parti islamiste Ennahdha et s’était approprié tous les pouvoirs.
Contactée par Libération, l’enseignante-chercheuse à Paris-I et spécialiste du Maghreb, Khadija Mohsen-Finan, souligne que «l’enthousiasme [des Tunisiens] pour ce coup de force de Saïed a rendu inaudibles les critiques sur la concentration des pouvoirs et l’absence de contre-pouvoirs. Dans un environnement peu propice au débat, ne pas soutenir Saïed équivaut à un appui d’Ennahdha. L’émotion a pris le pas sur la réflexion et finalement Macron répond à l’émotion par l’émotion».
Mais d’autres partenaires occidentaux se sont montrés plus critiques envers le coup de force du président tunisien, exprimant leur inquiétude face à l’accaparement des pouvoirs par Kaïs Saïed. La Maison Blanche a ainsi insisté sur «l’urgence pour les dirigeants tunisiens d’un retour rapide à la voie démocratique». Le conseiller américain à la sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, s’est entretenu avec le président tunisien, et lui a fait part de la nécessité immédiate qu’un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre soit formé. Outre-Rhin, la réaction a été similaire, l’Allemagne a appelé à une nécessité de «retrouver un ordre constitutionnel».
«Contagion démocratique»
«Chacune des capitales a réagi en fonction de son histoire et son régime politique», note Khadija Mohsen-Finan. Les pays autoritaires, très hostiles aux Frères musulmans, ont fortement soutenu Kaïs Saïed tandis que les pays proches de cette mouvance et d’Ennahdha ont émis des critiques. Le ministère égyptien des Affaires étrangères a par exemple déclaré que la Tunisie vivait «un moment historique, entrepris par une personne qui attache la plus haute importance aux valeurs de la démocratie, de la Constitution et des institutions». «Ces exécutifs mettent en avant le fait que la démocratie signifie le désordre, ils ont peur de la contagion démocratique», reprend la spécialiste du Maghreb. Pour ces régimes, Kaïs Saïed, qui a suspendu le Parlement dirigé par un parti islamiste, s’inscrit dans leur démarche. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a bien insisté sur ce fait en déclarant que «la Tunisie est en passe de parvenir à des solutions à ses problèmes».
Au contraire, la Turquie et le Qatar, proches d’Ennahda, ont adopté une position de défiance face à la suspension du Parlement. Ankara a bien insisté sur le fait que le Parlement tunisien, «source d’inspiration pour la transition démocratique dans la région», devrait poursuivre ses travaux. Doha, quant à lui, a appelé les parties au dialogue et à «appliquer les lois du pays». Toutefois le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a évité d’employer le terme de coup d’Etat comme l’a fait Ennahdha. «Le Qatar et la Turquie ne peuvent appuyer franchement Ennahdha en dénonçant un coup de force, car ce serait fermer la porte à un dialogue, poursuit Khadija Mohsen-Finan. Ils suivent une position toute en nuances sur ce parti islamiste divisé et mis à l’index par une large partie de la population.» Constatant que la popularité de leur fidèle allié Ennahda s’est érodée, les deux pays ont donc adopté une approche plus diplomatique afin de maintenir un canal de communication avec le président tunisien.
Source: msn
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