Alors que 2024 est officiellement la première année à avoir dépassé les 1,5°C de réchauffement et que l’objectif de se maintenir sous ce seuil de l’Accord de Paris semble de plus en plus inatteignable, certains s’interrogent sur la possibilité de revenir plus tard à des températures plus clémentes à grand recours de géo-ingénierie. Un scénario qui n’empêcherait pas certaines conséquences irréversibles du réchauffement climatique, alertent les spécialistes.
Ça y est, le cap est franchi. L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée et la première à dépasser les 1,5°C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle, atteignant +1,6°C, annonce vendredi 10 janvier l’observatoire Copernicus. Tout un symbole, alors que, depuis 2015, l’Accord de Paris vise à contenir la hausse des températures sous cette limite.
Plus inquiétant encore, si l’Accord de Paris fait référence à des tendances climatiques de long terme – la moyenne devra rester au-dessus de 1,5°C de réchauffement pendant 20 à 30 ans pour que l’on considère que la limite a été franchie – ces nouvelles données pour 2024 font craindre que l’objectif soit désormais inatteignable.
« L’objectif de 1,5°C est pratiquement déjà de l’histoire ancienne aujourd’hui.
Quiconque continue à propager que le monde peut rester en dessous se fait des illusions. Nous devons faire face à la réalité et nous adapter à ce réchauffement croissant », réagit ainsi Jochem Marotzke, climatologue et océanographe à l’Institut Max Planck de météorologie de Hambourg, en Allemagne.
Mais pourrait-on, si ce seuil était franchi, revenir en arrière ?
Faute de parvenir à limiter la température mondiale sous cette barre des 1,5°C de réchauffement, pourrait-on dépasser cette limite, puis ensuite inverser la tendance pour revenir à un climat plus vivable ?
Cette idée d’une surchauffe réversible, appelée « overshoot » en anglais, est de plus en plus souvent évoquée par certains responsables politiques et scientifiques.
Elle fait même partie des nombreux scénarios modélisés dans les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Mais si elle peut paraître tentante, voire rassurante, « elle comporterait de très nombreux risques et sa mise en application reste à ce jour on ne peut plus incertaine », alerte Carl-Friedrich Schleussner, chercheur autrichien de l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués, auteur d’une étude publiée en octobre 2024 dans la revue Nature, évaluant les impacts à courts et longs termes de différents scénarios « d’overshoot ».
Pomper des milliards de tonnes de CO2
Premier problème : faire chuter le thermomètre mondial nécessiterait que l’on soit capable de capturer des milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Même en tendant vers la neutralité carbone, il faudrait en effet éliminer toutes les émissions résiduelles qui sont impossibles à éviter, comme celles générées par l’agriculture tout en s’attaquant au stock des émissions historiques. Pour réduire de 0,1°C la température globale, l’étude estime ainsi qu’il faudrait pouvoir absorber au moins 150 milliards de tonnes de CO2, soit l’équivalent de quatre années d’émissions mondiales.
Or techniquement, ces quantités s’avèrent très (très) compliquées à atteindre.
Au-delà de la reforestation pour reconstituer des puits de carbone naturels, cela ne serait possible qu’en ayant recours à la géo-ingénierie, comme les usines de capture de CO2, voire à la décriée géo-ingénierie solaire. Il s’agit de techniques encore balbutiantes, contestées, onéreuses, qui consomment beaucoup d’énergie, d’eau et de terres et aux effets à long terme incertains.
À titre de comparaison, aujourd’hui, seulement deux milliards de tonnes sont éliminées chaque année par les activités humaines, essentiellement via la reforestation, dont deux millions de manière permanente, grâce aux solutions plus technologiques.
Sans compter que les quantités de CO2 à stocker pourraient se révéler encore plus importantes que prévu. Pour cause, les scientifiques mettent régulièrement en garde contre le risque d’un réchauffement « caché », qui se poursuivrait même après avoir atteint la neutralité carbone.
« Et quand bien même on relèverait ce défi technologique immense, cela ne pourrait encore ne pas suffire », poursuit Carl-Friedrich Schleussner.
« À l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude sur la façon dont les puits de carbone se comporteraient dans une trajectoire de baisse du CO2 », note-t-il. « Mais certaines données montrent par exemple que l’océan pourrait, dans un premier temps, relâcher du carbone… »
Bref, le retour sous la barre des 1,5°C semble hasardeux, et plus la période de dépassement du 1,5°C sera longue, plus il faudra absorber de CO2 pour tenter de faire marche arrière.
« Un vrai retour en arrière est impossible »
Par ailleurs, même dans un monde où ce retour en arrière fonctionnerait sans accroc, « le climat et le monde ne seraient jamais les mêmes qu’avant », insiste encore Carl-Friedrich Schleussner.
Certains impacts du réchauffement climatique seraient irréversibles, alerte-t-il, et d’autant plus graves que le pic de température aura été élevé et durable. Des personnes seront mortes sous l’effet des vagues de chaleur, les économies de nombreux pays auront été mises à mal, certaines espèces animales et végétales se seront éteintes, les glaciers, pergélisol ou tourbières détruits ne se reformeront pas, énumère l’étude.
Le niveau de la mer continuera à monter pendant des siècles, voire des millénaires, même si les températures à long terme diminuent », renchérit encore le texte. Des changements climatiques régionaux pourraient aussi persister : l’océan Austral continuerait de se réchauffer et l’Afrique de l’Ouest de s’assécher.
« Tout cela sans compter qu’à chaque dixième de degré supplémentaire, on augmente aussi le risque de déclencher des points de bascule – ces phénomènes comme l’effondrement de la banquise et des glaciers ou le dépérissement des coraux et de l’Amazonie qui, s’ils se produisaient, entraîneraient un effet d’emballement désastreux pour le climat et la vie humaine », explique Carl-Friedrich Schleussner.
« Nous rentrons en territoire inconnu »
« Nous devons être très clairs sur ce que la science sait aujourd’hui et ne sait pas sur ces scénarios d »overshoot’, et planifier raisonnablement à partir de ces connaissances », ajoute ainsi Carl-Friedrich Schleussner.
« Au-delà de 1,5°C de réchauffement, nous entrons dans un territoire inconnu.
Et nous savons que cela aura des conséquences immenses pour la planète et les humains, notamment dans les pays les plus vulnérables qui ne sont pas les premiers responsables du dérèglement climatique », rappelle-t-il. Et aujourd’hui, « la seule façon de limiter les dégâts reste de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant pour atteindre la neutralité carbone. »
Malgré tout, ce dernier appelle tout de même à développer des technologies de capture du CO2 « par prévention », mais nous « ne pouvons pas nous permettre de gaspiller cette capacité pour des émissions qui pourraient être évitées dès le départ. »
france24