Ramener Brice Samba comme gardien numéro un du Stade rennais pour prendre la place de Steve Mandanda est-elle l’idée du siècle ? Cette association rappelle en tout cas des souvenirs marseillais. Une entente cordiale entre un indéboulonnable et un ambitieux qui n’a jamais été en capacité de tout renverser. Voici l’histoire olympienne de ce duo qui ne se lâche décidément pas.
Ils ne se sont pas connus à Clairefontaine en équipe de France, mais la retraite de Mandanda (combinée à celle de Hugo Lloris) a ouvert la porte à Samba, convoqué par Didier Deschamps pour le premier rassemblement post-Coupe du monde 2022. Avant, donc, que ces deux « inséparables » ne se retrouvent au Stade rennais en 2025.
Et que Samba ne pique la place à Mandanda pour son premier match en rouge et noir face à… l’OM, ce samedi soir.
Le SRFC est heureux d’annoncer l’arrivée de Brice Samba en provenance de Lens. ✍️
Reconnu parmi les meilleurs gardiens du Vieux Continent, l’international français est un nouvel atout pour les Rouge et Noir. 🗞️
— Stade Rennais F.C. (@staderennais) January 8, 2025
Si Mandanda, neuf ans de plus que Samba, avait tout fait en premier dans leur cheminement commun, cette fois, l’élève dépasse le maître, avec un Samba qui vient s’emparer du poste de gardien numéro 1 de Mandanda. Chose qu’il n’avait jamais réussie à leur époque à l’Olympique de Marseille.
La promesse de José Anigo
Nous sommes en décembre 2012. C’est la trêve. Alors gardien en National 2 au Havre, Brice Samba est à Paris pour les vacances. Il reçoit un appel de José Anigo, directeur sportif de l’OM. Samba a 18 ans et croit à une blague d’un proche. Il raccroche. Après un appel de son agent qui le sermonne et lui ordonne de vite rappeler, Samba échange enfin avec Anigo, qui lui dit : « Je vais être clair avec toi, nous, on te veut dès maintenant pour la succession de Mandanda. On va faire en sorte que tu signes le plus vite possible chez nous. »
Pour Samba, c’est un rêve. L’OM signifie beaucoup pour lui et sa famille, fan du club.
Brice Samba a signé un contrat de 4 ans et demi avec l'OM. Sa 1ère photo avec Labruen, Anigo et le maillot olympien. pic.twitter.com/ZK0QdLkO
— Olympique de Marseille (@OM_Officiel) January 4, 2013
Début janvier 2013, contre 400 000 euros, Samba rallie la Canebière pour un contrat de quatre ans et demi.
« C’est quelqu’un que je suis, explique-t-il alors sur RMC, à propos de Steve Mandanda. Il fait partie des meilleurs gardiens européens. Je vais apprendre auprès de lui, je vais travailler et on verra bien ce qui arrivera. » Pourtant, le futur portier de Lens n’est pas le premier ciblé. « Ça se joue à rien, rembobine Laurent Spinosi, entraîneur des gardiens marseillais quand Samba débarque.
On devait signer un gardien de but d’Istres, qui faisait une bonne saison en Ligue 2 : Denis Petrić (gardien numéro 3 de Lens depuis l’été dernier, derrière Hervé Koffi et… Brice Samba, NDLR). On avait des bons retours. Et puis, on tombe sur Brice Samba… Il faisait trop penser à Steve, le même profil, etc. »
« Samba n’avait pas une vie de professionnel exemplaire »
Le transfert se fait. Mais la réalité et la hiérarchie sont claires : « Steve était le monument, recadre Élie Baup, entraîneur de l’OM à l’arrivée de Samba. Brice savait qu’il était incontournable. Mais il n’était pas là, éteint, non. Il voulait grandir et avait déjà de la personnalité. » À la différence de Mandanda qui, lorsqu’il rejoint l’OM (2007), a une place à prendre face à Cédric Carrasso, Samba est loin de son aîné. Et il a surtout beaucoup de boulot avant de prétendre à quoi que ce soit.
« Il avait bien moins d’expérience, donc il ne pouvait pas le challenger, constate Franck Passi, adjoint.
Il a fallu que Brice se règle un peu au niveau de sa vie, du travail invisible. Tel un jeune joueur, ils n’ont pas tous les exigences du haut niveau. C’est aussi pour ça qu’il a peu joué : on ne va pas dire qu’il n’était pas sérieux, mais il n’avait pas une vie de professionnel exemplaire. » Laurent Spinosi tempère : « Tu as à peine 20 ans, tu signes à l’OM… Voilà quoi ! Mais il a vite appris. La tête dans les étoiles, ça n’a pas duré longtemps. »
Je ne sais pas si c’était l’amour fou, mais ils se respectaient, c’était déjà pas mal.
Franck Passi
C’est l’époque du fameux « projet Dortmund » de l’OM, le recrutement de jeunes à fort potentiel (Mario Lemina, Giannelli Imbula, Benjamin Mendy, Florian Thauvin…) pour venir s’aguerrir au contact des tauliers (Steve Mandanda, Benoît Cheyrou, André Ayew, Nicolas Nkoulou…). « On avait probablement dit à ces jeunes qu’ils venaient pour jouer.
Mais il y avait des joueurs en place à l’époque », recontextualise Passi.
Régulièrement appelé en équipe de France, référence nationale voire européenne, force tranquille du vestiaire phocéen, Mandanda ne laisse rien à son jeune ambitieux. « Mais, au quotidien, humainement, c’était un plaisir d’avoir les deux, promet Spinosi. Dans le comportement des deux, c’était magnifique. Il y avait de la complicité. Steve jouait son rôle à merveille.
Brice avait plein de trucs à apprendre et les souvenirs que j’ai, c’est qu’il était vraiment à l’écoute. »
Les quatre fantastiques
« Il était ambitieux, oui, prolonge Baup. C’est peut-être pour ça que les gens disent qu’il y avait des tensions. Mais pas du tout. Brice respectait Steve, mais ça ne bloquait pas son ambition de vouloir jouer à l’OM un jour. »
Cadre de l’époque face à cette jeunesse qu’il se rappelle très dynamique, Mathieu Valbuena a vu Samba comprendre à Marseille « ce qu’était un grand club et ce qu’était le haut niveau. Je ne dis pas qu’il était fainéant, mais il avait un peu ce côté nonchalant. Il a bossé. Mais les rôles étaient bien définis. Il n’a jamais rien revendiqué. »
La cassure sous Bielsa
Samba patiente un an et quatre mois pour avoir ses premières minutes en Ligue 1 sous le maillot marseillais. Dernière journée de la saison 2013-2014. Il est lancé dans le bain à sa grande surprise à la suite de la malheureuse blessure de Mandanda, qui sera privé de Coupe du monde au Brésil juste derrière. Alors, pourquoi la légende dit que l’entente Mandanda-Samba époque Marseille était loin d’être au beau fixe ? « La première année, en tout cas, il y avait zéro truc qui pouvait me faire dire ça », s’étonne Spinosi, parti à l’intersaison 2014.
« Je ne sais pas si c’était l’amour fou, mais ils se respectaient, c’était déjà pas mal », ironise Passi.
C’est Samba lui-même qui a livré une première explication : « Steve se blesse avant la Coupe du monde alors qu’il devait quitter le club, expliquait Samba dans Onze Mondial. Bielsa arrive, j’effectue toute la préparation en tant que titulaire. Steve revient deux jours avant le début du championnat. J’étais persuadé que j’allais commencer la saison.
Bielsa m’aimait bien. Finalement, je n’ai pas joué.
Et ça a été très difficile pour moi. Je me sentais prêt. Cet événement m’a fait mal. » Stéphane Cassard intègre le staff de Bielsa comme entraîneur des gardiens. Aujourd’hui à Nice, il réfute toute mésentente : « Ils se côtoyaient normalement dans le travail, analyse-t-il. Qu’ils se voient ou pas en dehors, ça n’était pas mon souci. Ils travaillaient bien ensemble. »
Les gens me disent : “Steve t’a aidé.” Mais Steve, il était froid, il ne m’a pas aidé. J’ai du respect pour lui, mais il faut être clair par rapport à ça.
Brice Samba dans une interview à L’Équipe
Avec, malgré le temps qui passe, Mandanda toujours autant un taulier et Samba toujours autant en apprentissage : « Brice, dans la concentration, l’approche d’un match, la longueur d’un match, sa jeunesse se ressentait, avoue Cassard, qui ne cache pas une certaine impatience de son poulain. Sur certaines séances, il avait du mal à rester bien concentré tout le long. Reste qu’il avait un grand, grand, grand avenir. Mais, devant lui, il avait un grand, grand, grand gardien. »
Quand Samba lâche sa rancœur
Finalement, pour Samba, une frustration et aucun match de Ligue 1 lors de cette saison 2014-2015. Avec, en prime, son plus gros cauchemar sur un terrain avec l’OM, en Coupe de France, contre Grenoble, alors en CFA (3-3 AP, 5 TAB à 4) : « J’avais mal préparé la rencontre dans ma tête, disait-il encore à France Football. Ç’a été ma pire semaine à Marseille. » Un prêt sans jouer davantage en Ligue 2 à Nancy. Une nouvelle saison blanche en 2016-2017 alors que Mandanda est parti à Crystal Palace (cette fois, c’est Yohann Pelé qui est devant lui).
Et donc le choix de quitter le Vélodrome pour Caen à l’été 2017.
Avec une rancœur lâchée un an après dans L’Équipe : « Steve, quand je suis arrivé à l’OM, je le connaissais et, pourtant ça n’a pas été aussi simple qu’on le pense. Les gens me disent : “Steve t’a aidé.”
Mais Steve, il était froid, il ne m’a pas aidé. J’ai du respect pour lui, mais il faut être clair par rapport à ça. »
Sans se cacher sur ses manques de l’époque lors d’un entretien accordé à So Foot la saison dernière : « On m’a toujours assisté de 11 à 18 ans, je n’ai pas appris à me débrouiller. Et d’un coup, je me suis retrouvé en liberté, j’ai logiquement voulu découvrir des choses que je n’avais jamais connues. J’avais l’argent, j’étais jeune, je jouais à l’OM, tout le monde me connaissait un peu et j’ai profité un peu de ça… » Des critiques envers Mandanda que préfère mettre de côté Riffi Mandanda, frère de l’international français.
« Peut-être qu’il s’est mal exprimé.
Il ne l’a dit qu’une seule fois. Tout le monde en fait un gros truc… Cela restait une concurrence, un numéro 1, un numéro 2. Dans le football, il n’y a pas de : “C’est mon petit, je le couve.” Derrière tout champion, il y a un numéro 2 avec les dents longues. Brice a toujours eu les crocs. S’il y avait un problème avec Steve, je pense qu’il ne serait pas venu à Rennes. »
Sampaoli, Mandanda et le violon
Il est pourtant bien là. Une nouvelle page de leur histoire commune. Et pour Mandanda, l’amer sentiment de se faire reléguer une seconde fois par Jorge Sampaoli. « Je suis un peu gêné de parler de ça, peste Laurent Spinosi. Ça fait deux fois qu’il fait sauter Steve… J’ai un peu les boules pour lui. Le mec dit : “Je l’aime bien, bla-bla-bla.”
Et il lui fait deux fois. Il faut arrêter le violon.
Et encore, je me retiens, je ne veux pas dire de bêtises… » Mais l’ancien entraîneur des gardiens de l’OM comprend le choix de Samba : « Ce n’est pas contre lui que je dis ça. Il a une opportunité, il la saisit. Aujourd’hui, tu le vois, c’est un bonhomme : en tant que gardien, capitaine, quand il s’exprime face à la presse… Je trouve qu’il a beaucoup de maturité. »
Aujourd’hui, le respect des champions, il n’y en a plus beaucoup. J’aurais aimé que Steve finisse d’une autre manière. Il ne le dit et ne le montre pas, mais ça doit être dur.
Riffi Mandanda
Le bilan sera fait dans moins de six mois, alors que Mandanda est en fin de contrat en juin. S’il ne quitte pas la Bretagne avant.
« Je trouve le timing de ce transfert assez surprenant, pas très bon, tranche Valbuena. Le Stade rennais aurait pu attendre l’été prochain et faire une autre sortie à Steve Mandanda. C’est la loi du jeu, mais on ne va pas m’expliquer les mauvais résultats uniquement de la faute de Mandanda. » « C’est cruel, conclut Riffi Mandanda.
Aujourd’hui, le respect des champions, il n’y en a plus beaucoup.
J’aurais aimé que Steve finisse d’une autre manière. Il ne le dit et ne le montre pas, mais ça doit être dur. Après, ce n’est pas à 40 ans qu’il va se prendre la tête. Gianluigi Buffon était dans la même réflexion au PSG. Steve a fait 20 ans de carrière non-stop, plus de 500 matchs : chapeau. »
sofoot