Trois mineurs originaires d’Égypte, âgés de 15 à 17 ans, ont été retrouvés morts, fin décembre, en Bulgarie, à quelques kilomètres de la frontière turque. Les associations accusent les autorités bulgares d’avoir empêché le sauvetage de ces trois adolescents, et d’avoir ainsi causé leur mort.
Fin décembre, les corps de trois mineurs Égyptiens ont été retrouvés dans les forêts bulgares par des humanitaires. Dans un communiqué publié le 6 janvier, l’organisation Colletivo rotte balcaniche (collectif de la route des Balkans) et l’association No name kitchen reviennent sur le déroulé des évènements et accusent directement les autorités bulgares d’être responsables de ce drame.
Tout débute la nuit du 27 décembre lorsque les équipes de sauvetage de ces deux organisations reçoivent vers 1h du matin des alertes sur leur téléphone d’urgence.
Trois jeunes migrants seraient en danger de mort dans une zone forestière près de Gabar, au sud-est de la Bulgarie, à une vingtaine de kilomètres de la frontière turque. « Des vidéos jointes aux signalements montraient deux d’entre eux inconscients et allongés dans la neige », rapporte les associations dans un communiqué conjoint.
Un corps « recouvert de neige et l’autre, la tête dans une flaque d’eau »
Les humanitaires contactent immédiatement le 112, numéro d’urgence européen, et tentent en parallèle d’accéder à l’endroit où se trouvent les exilés, grâce à la géolocalisation transmise dans les premiers messages. Mais les autorités bloquent les activistes, bien connus des autorités de la région. « Des agents de la police aux frontières nous ont repérés dans la forêt.
Ils ont mis leur véhicule au travers de notre chemin, ne nous laissant pas d’autre choix que de faire demi-tour », explique à InfoMigrants un militant du Colletivo rotte balcaniche, qui souhaite garder l’anonymat.
Vingt-quatre heures après la première alerte, les équipes de secours parviennent finalement à atteindre les lieux, en empruntant un autre chemin, plus discret. « On a dû marcher plusieurs heures dans le froid et la neige pour rejoindre la première localisation », se remémore l’activiste.
Le 28 décembre, des membres de No name kitchen et du Colletivo rotte balcaniche découvrent ainsi deux premiers corps.
« L’un recouvert de neige et l’autre, la tête dans une flaque d’eau », précise le communiqué. Le lendemain, soit 57 heures après le premier signalement, la troisième dépouille est retrouvée par les humanitaires. Le corps « avait été partiellement mutilé : un pied et la tête avaient été dévorés par des animaux ». Les cadavres ont ensuite été récupérés par des policiers.
« Obstructions systématiques aux opérations de sauvetage »
« L’absence d’aide des autorités et leurs obstructions systématiques aux opérations de sauvetage menées par les activistes ont conduit à la mort des adolescents », déplorent les deux organisations.
Pire, les policiers n’ont pas seulement entravé les opérations de sauvetage ou ignoré les appels d’urgence, ils ont aussi « choisi de ne pas aider ou de ne pas récupérer les corps », insistent No name kitchen et Colletivo rotte balcaniche. Selon eux, « des empreintes claires de bottes militaires dans la neige et des traces de pattes de chien » ont été aperçues par les activistes près du premier cadavre – preuve, d’après les associations, que « des agents étaient présents plus tôt, mais n’ont pas apporté d’aide, peut-être à un moment où la personne pouvait encore être sauvée ».
Interrogées par les médias bulgares, les autorités ont confirmé le décès de ces adolescents égyptiens.
En revanche, elles réfutent les accusations de négligence à leur encontre.
Certes, la police aux frontières a bien reçu des alertes par une ONG mais assure que les coordonnées GPS fournies étaient mauvaises. Elle a déclaré avoir « réagi immédiatement à tous les signaux reçus, mais les alertes du 27 décembre contenaient des informations erronées ou trompeuses ». Selon les autorités, les corps retrouvés les 28 et 29 décembre se trouvaient « à des endroits différents » de ceux fournis par les militants.
Mais les associations n’en démordent pas et insistent : cette affaire n’est pas un cas isolé.
« C’est déjà arrivé qu’un corps reste trois jours dans la forêt après une de nos alertes », signale le militant du Colletivo rotte balcaniche.
Selon une étude menée par la branche viennoise de la Fondation ARD en coopération avec Lighthouse Reports, et plusieurs médias, au moins 93 personnes transitant par la Bulgarie sont décédées en 2023 et 2022. Et d’après l’activiste du collectif italien, ce chiffre est sous-estimé : « Des corps sont ensevelis depuis des mois, voire des années, et ne seront jamais retrouvés ».
Des refoulements violents
Sur les réseaux sociaux, No name kitchen rappelle également que « depuis des années, la police des frontières bulgare ignore les appels d’urgence, refuse l’assistance médicale aux personnes en déplacement et les soumet à la violence et aux refoulements, même dans des situations mettant leur vie en danger ».
Demandeurs d’asile « obligés de retourner en Turquie à la nage », déshabillés de force ou sévèrement mordus par les chiens des gardes bulgares : dans cette région, une violence considérable est exercée par les gardes-frontières. Des agissements dénoncés à de nombreuses reprises par les ONG, et dont même l’agence européenne de protection des frontières, Frontex, a eu connaissance, selon une enquête du réseau Balkan Investigative Reporting Network (BIRN).
En juin, InfoMigrants a rencontré dans la petite ville de Svilengrad, toute proche de la frontière avec la Turquie, un groupe de quatre jeunes Marocains. Amine, 24 ans avait dit avoir été refoulé cinq fois. Les autres, âgés de 22 à 30 ans, ont vécu deux, parfois trois « pushbacks ». Lors de ces refoulements, « à chaque fois, la police a pris nos téléphones, nos affaires, notre argent », dénonçait Amine.
« Ils prenaient aussi nos vêtements et nos chaussures ».
Depuis son adhésion pleine et entière fin novembre à l’espace Schengen, la Bulgarie est soumise à une forte pression de la part des autres États membres de l’UE dans sa capacité à gérer les flux migratoires. Les questions de sécurité aux frontières figuraient parmi les principales préoccupations qui ont retardé l’entrée de la Bulgarie à l’espace Schengen – l’Autriche et les Pays-Bas ayant dans un premier temps opposé leur veto à une adhésion.
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