Deux jours après l’investiture de Donald Trump, Emmanuel Macron reçoit mercredi Olaf Scholz à l’occasion du 62e anniversaire du traité de l’Élysée. À quoi les dirigeants français et allemand doivent-ils s’attendre de la part du nouveau président américain ? Quels sont les enjeux prioritaires pour l’UE ? Eléments de réponse avec Éric-André Martin, spécialiste des relations franco-allemandes.
Une rencontre aux airs de baroud d’honneur. Le président français Emmanuel Macron reçoit, mercredi 22 janvier, le chancelier allemand Olaf Scholz, à l’occasion du 62e anniversaire du traité de l’Élysée, qui avait scellé la réconciliation entre la France et la République fédérale d’Allemagne.
Cet entretien, qui coïncide avec la Journée franco-allemande – célébrant la coopération économique, politique, sociale et culturelle entre les deux pays –, a lieu deux jours après l’investiture du 47e président des États-Unis, Donald Trump, qui a promis un « nouvel âge d’or » pour les États-Unis et dont la politique isolationniste suscite l’inquiétude en Europe.
Une inquiétude d’autant plus grande que les dirigeants français et allemands sont tous deux affaiblis en interne. Alors qu’à Paris, le nouveau Premier ministre François Bayrou tente tant bien que mal de faire adopter un budget, l’Allemagne se dirige vers des législatives anticipées, fin février, qui pourraient entériner le retour de la droite chrétienne au pouvoir.
Pour faire le point sur ces différents enjeux, France 24 s’est entretenu avec Éric-André Martin, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste des relations franco-allemandes.
France 24 : Le retour au pouvoir de Donald Trump sera sans aucun doute au centre des discussions entre les dirigeants français et allemand. Quels seront les sujets prioritaires ?
Éric-André Martin : Donald Trump compte insuffler un nouvel élan pour l’Amérique. Il a été bien élu, dispose d’une majorité au Congrès et d’une équipe plus formée et cohérente que lors de son premier mandat. Il est donc en capacité d’agir vite.
Sur le plan économique, il veut réduire le déficit commercial des États-Unis en imposant des tarifs douaniers spécifiques et non plus un barème global.
Ses cibles prioritaires sont la Chine, le Mexique et le Canada, auxquels il menace d’imposer des droits de douanes de 25 % pour rééquilibrer ce déficit mais aussi faire pression sur d’autres sujets très importants à ses yeux, notamment l’immigration et le trafic de drogue.
Mais après la Chine, l’Europe représente son deuxième plus gros déficit commercial des échanges (respectivement 270 milliards et 214 milliards de dollars en 2024, NDLR), devant le Mexique et le Vietnam. Le déficit est particulièrement important avec l’Allemagne.
Pour le couple franco-allemand et par extension l’UE, le premier sujet est donc de voir à quoi va correspondre ce rééquilibrage réclamé par Donald Trump. Il peut se traduire par une augmentation des droits de douane sur les produits importés de la zone euro et/ou une augmentation des achats de produits américains, notamment du gaz, dont le prix devrait baisser si l’on en croit la promesse de Donald Trump d’en accélérer l’extraction.
Là encore, Trump pourrait utiliser la menace de droits de douane pour faire pression sur d’autres sujets et notamment les contributions au sein de l’Otan, car il considère que certains pays comme l’Allemagne ne dépensent pas suffisamment pour la défense et se reposent trop sur les États-Unis.
Berlin et Paris doivent donc accorder leurs violons sur la manière de réagir à cette potentielle guerre commerciale qui se profile. Sur ce sujet, la compétence revient à la Commission européenne mais chaque nation doit évaluer l’impact des mesures qui pourraient être imposées par les États-Unis.
Pour bien comprendre les enjeux de l’arrivée de Trump, il ne faut pas saucissonner les questions mais les regarder de manière globale, les mettre en perspective par rapport aux questions de sécurité et de défense, avec en arrière-plan l’enjeu de l’Ukraine.
Plus globalement, la question est de savoir quelle est la capacité de l’Europe à faire front uni face à Donald Trump pour incarner un modèle de pouvoir différent, moins conquérant et axé sur la défense de l’État de droit.
Emmanuel Macron a appelé à un « réveil stratégique européen » au sein de l’Otan. Où en est le projet de défense européenne ?
La France et l’Allemagne se sont positionnées en leaders avec deux grands chantiers : le système de combat aérien du futur (Scaf) et le char du futur (MGCS). Mais ces projets coûtent cher, prennent du temps et il faut voir dans quelle mesure d’autres pays européens peuvent s’y associer.
Un premier pas a été fait avec l’intégration de l’Espagne et de la Belgique au projet Scaf mais ce sont des programmes qui nécessitent un engagement de long terme : une vingtaine d’années pour les rendre actifs, avant un cycle de vie de 20 à 25 années.
La question est de savoir précisément quelles sont les capacités de chaque pays à investir dans la défense européenne et sur quelle durée. Il y a sûrement des économies à faire dans l’industrie ; il faut mutualiser pour produire à plus grande échelle.
Mais en attendant, l’UE reste très dépendante des États-Unis, notamment en matière de renseignement et d’observation.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, à quoi faut-il s’attendre ? L’arrivée de Trump peut-elle changer la donne ?
Sous [le précédent président américain Joe] Biden, les États-Unis ont coordonné l’aide à l’Ukraine, ont fourni la majeure partie du soutien et demeurent très en avance sur l’UE.
Donald Trump veut régler les conflits pour des questions de positionnement vis-à-vis de son électorat mais également des raisons stratégiques, car cette guerre favorise le rapprochement entre la Russie et la Chine.
Il va pousser pour un accord entre la Russie et l’Ukraine dont on ne connaît pas encore les contours. Mais il y aura également un accord entre les États-Unis et l’UE pour assurer la stabilisation post-conflit et mettre en place des garanties sécuritaires.
L’UE pourrait être amenée à contribuer à ce règlement par une contribution militaire et financière. Il faut que la fin du conflit permette une stabilité durable, pas comme les accords de Minsk. Pour ce faire, l’UE doit s’assurer du maintien des États-Unis dans l’Otan car sans eux, les garanties de sécurité seront beaucoup moins fortes et mettent en danger la viabilité de l’accord.
Ces garanties de sécurité pourraient inclure le déploiement de forces internationales pour faire tampon, avec un calendrier de retrait par exemple.
Le couple Macron-Scholz semble être entré dans une ère crépusculaire, les deux dirigeants étant confrontés à une crise de confiance dans leurs pays respectifs. Où en est la relation franco-allemande ?
En France comme en Allemagne, les agendas nationaux ont pris le pas sur la relation unissant les deux pays car Macron et Scholz sont tous deux pris dans des turbulences de politique intérieure. En France, les élections européennes, la dissolution et la succession de trois gouvernements ont terni l’image du président. Cette situation interroge sur sa capacité à rester en poste et limite de ce fait sa capacité d’influence.
En Allemagne, la coalition a volé en éclats autour d’une mésentente sur la gestion des finances.
Pour les législatives anticipées du 23 février, Olaf Scholz a été maintenu tête de liste du SPD. Mais les sociaux-démocrates sont très en retard sur le candidat de la CDU (Union chrétienne-démocrate), Friedrich Merz, qui selon toute vraisemblance devrait l’emporter.
Les crises en Allemagne et en France éloignent leurs dirigeants. Elles sont pourtant intrinsèquement liées.
Avec un déficit à plus de 6 % en 2024, la situation budgétaire de la France est un gros problème pour la zone euro et en particulier pour l’Allemagne, qui se considère comme garante de l’orthodoxie budgétaire et pourrait faire office de prêteur de dernier ressort. La situation est d’autant plus préoccupante que le gouvernement français n’a pas de majorité pour faire adopter un budget.
Compte tenu du poids de l’économie française dans la zone euro, cette situation représente une menace existentielle pour le bloc.
Avec un déficit sous les 2 %, l’Allemagne a plus de marge de manœuvre. Mais celle-ci se réduit rapidement car elle traverse une période de récession, du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, et son industrie est en crise. Ces problèmes affaiblissent les partis traditionnels et font monter l’extrême droite, c’est un cercle vicieux. Vis-à-vis de son opinion publique, le chancelier allemand quel qu’il soit ne peut se montrer trop accommodant envers la situation financière de la France.
Les deux pays doivent néanmoins retrouver un élan commun. Confrontés aux mêmes enjeux, ils ne doivent pas se laisser diviser par des acteurs extérieurs.
À ce titre, il est important de souligner l’importance du rendez-vous entre les deux dirigeants pour marquer l’anniversaire du traité de l’Élysée. Toute relation vit de rituels et de symboles. La tenue de cette rencontre malgré les circonstances traduit la volonté de maintenir une coopération forte.
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