Tunisie : 7 250 migrants subsahariens sont rentrés « volontairement » dans leur pays en 2024

Sur l’ensemble de l’année 2024, 7 250 migrants subsahariens vivant en Tunisie sont rentrés « volontairement » dans leur pays via l’Organisation internationale des migrations (OIM), a indiqué mercredi 22 janvier le secrétaire d’État tunisien auprès du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ben Ayed.

Le programme d' »aide au retour volontaire et à la réintégration » (AVR) de l’agence onusienne permet aux exilés d’être rapatriés chez eux et de bénéficier d’un soutien financier pour développer leur projet au pays.

Ces « retours volontaires » opérés depuis la Tunisie sont en nette augmentation ces dernières années. En 2023, 2 557 personnes en avaient profité, ce qui représentait déjà une hausse de 45 % par rapport à 2022, où 1 614 exilés avaient bénéficié de ce programme.

Depuis l’an dernier, le gouvernement tunisien espérait des départs de migrants en masse. 

Lors d’une visite de la Première ministre italienne Giorgia Meloni en Tunisie, au mois d’avril 2024, Rome et Tunis s’étaient déjà engagés à miser sur les « retours volontaires » pour lutter contre l’immigration irrégulière en « impliquant les organisations internationales ».

Rafles et abandons dans le désert

La situation délétère en Tunisie pousse les migrants à fuir le pays par n’importe quel moyen. En effet, depuis le discours raciste du président Kaïs Saïed en février 2023 accusant les Noirs d’être la source de violences et de crimes, les exilés sont constamment harcelés par la population et les autorités.

Partout en Tunisie, les Noirs sont de plus en plus empêchés de travailler, de louer des appartements et même d’utiliser les transports publics.

Dès l’été de cette même année, des milliers de Subsahariens ont été interpellés, notamment à Sfax (centre-est), puis abandonnés dans des zones désertiques, à la frontière avec l’Algérie ou la Libye, sans eau ni nourriture. Selon les ONG, une centaine de personnes y sont mortes de soif. 

La photo d’une mère de famille et de sa fille de six ans gisant sur le sable avait fait le tour des réseaux sociaux, car elle symbolisait la détresse de ces exilés livrés à eux-mêmes sous une chaleur écrasante.

Dans le désert, des migrants assoiffés pris en charge par les garde-frontières libyens, le 22 juillet 2023. Crédit : capture d'écran Twitter

Ces expulsions illégales, largement dénoncées par les ONG et les instances internationales, n’ont jamais cessé en Tunisie.

Au contraire, elles ont même pris de l’ampleur. En mai 2024, des migrants faisaient à nouveau état à InfoMigrants d’une vague d’ »arrestations générales ». Les exilés racontaient être traqués partout : dans les cafés, dans les rues, dans les gares, dans les taxis, dans les commerces ou dans les appartements. « Ils vont dans les maisons, cassent les portes, confisquent les passeports, volent tout ce qu’ils trouvent – téléphones, effets personnels, argent… – frappent les gens avec des matraques et les embarquent dans des bus », relatait Salif, un Guinéen vivant à Sfax.

En septembre dernier, InfoMigrants a reçu les images d’un groupe d’exilés envoyé à la frontière algérienne après avoir été arrêté dans les rues de Tunis.

Sur les vidéos, on voit des hommes, femmes et enfants, à bout de force en plein désert et accablés par la chaleur. On remarque aussi un homme qui se lèche le bras pour tenter de se désaltérer, alors que la pluie tombe sur lui. Une femme enceinte de neuf mois, exténuée par la marche, se dénude en quête de fraîcheur. Un enfant dort à même le sol, sur des cailloux, contre sa mère.

Plusieurs migrants montrent aussi des blessures et des bleus sur le corps, probablement causés par les coups portés par les agents tunisiens.

@infomigrants_fr

Les migrants, qui ont été chassés des centres-villes par les autorités, ont installé d’immenses campements informels dans les oliveraies à El-Amra, en périphérie de Sfax.

Sans aucune assistance de l’État, la vie s’y organise de manière anarchique, sans eau potable ni sanitaires et dans un climat de violence de plus en plus alarmant. De nombreuses personnes ont été blessées à l’arme blanche ou à feu lors d’affrontements communautaires ou par des Tunisiens. D’autres souffrent de maladies graves telles que le choléra ou la typhoïde.

Fin décembre, deux personnes vivant dans ces champs d’oliviers sont mortes, intoxiquées au monoxyde de carbone. Elles avaient allumé un feu dans leurs tentes pour se protéger du froid.

« Ambiance xénophobe »

Ces derniers mois, une nouvelle pratique a été mise en place par le pouvoir : après avoir été interpellés, nombre de Subsahariens sont désormais condamnés pour « séjour irrégulier » en Tunisie, et incarcérés dans les prisons du pays aux côtés de détenus tunisiens de droit commun. La situation est telle que, selon des exilés en contact avec InfoMigrants, « les prisons sont remplies de Subsahariens ».

Les audiences pour « séjour irrégulier » se déroulent à la chaîne.

Lors de son passage au tribunal début novembre, un Guinéen dit s’être retrouvé au côté d’une trentaine de Subsahariens, dont deux mineurs, une dizaine de femmes et une enceinte de huit mois. Tous ont été inculpés car en situation irrégulière sur le territoire tunisien.

Les violences, les rafles, les abandons dans le désert, les condamnations… autant de facteurs qui sèment la panique au sein de la population migrante vivant en Tunisie. Fatigués de ce climat de terreur, beaucoup préfèrent faire marche arrière, même les personnes en situation régulière dans le pays.

« Ma décision de rentrer a été prise avec ma famille.

Ce sont beaucoup de choses qui m’ont fait prendre ma décision : les complications administratives surtout, mais aussi l’ambiance qu’il y a ici maintenant… », expliquait en novembre à InfoMigrants un étudiant étranger vivant à Tunis. « À l’université, la situation est normale mais c’est dans le reste de la ville que nous avons des problèmes. Je n’ai pas subi d’agression mais des insultes dans le métro ou le bus. Cette ambiance xénophobe, en plus des difficultés administratives pour obtenir un titre de séjour, c’est insupportable ».

infosmigrants

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