Lutte contre le narcotrafic : un objectif partagé et de nouveaux outils, mais avec quels moyens ?

Érigée en « grande cause nationale » par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, la lutte contre le narcotrafic est à l’ordre du jour mardi au Sénat. Si beaucoup estiment que les mesures proposées vont dans le bon sens, des questions demeurent, notamment sur les moyens mis à disposition et sur l’absence totale d’un volet sur la prévention.

La communication sera-t-elle suivie d’effets concrets ? Difficile de ne pas remarquer la une du quotidien Le Parisien, lundi 27 janvier, sur laquelle figuraient le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, le ministre de la Justice Gérald Darmanin et les sénateurs Étienne Blanc (Les Républicains) et Jérôme Durain (Parti socialiste), réunis sur une même photo, avec le titre « L’union sacrée » écrit en capitales.

Les deux sénateurs sont les auteurs de la « proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic » qui est examinée au Sénat à partir de mardi.

Ils incarnent la volonté du gouvernement de faire de la lutte contre le narcotrafic une question transpartisane – Étienne Blanc a depuis été remplacé par Muriel Jourda (Les Républicains) comme rapporteuse du texte au côté de Jérôme Durain – ou, comme l’avait affirmé Bruno Retailleau à l’automne, une « grande cause nationale ».

« Il est évident que le narcotrafic est un sujet qui concerne tout le monde.

Par conséquent, la gauche doit prendre toute sa place dans le débat. Mais j’ai bien conscience aussi que cela fonctionne pour le moment car nous avons choisi avec ce texte de travailler sur la répression, qui est l’urgence du moment », juge le sénateur socialiste Jérôme Durain, contacté par France 24.

Face aux drogues, la France a depuis toujours adopté des politiques répressives, sans que celles-ci aient jusqu’ici fait la démonstration de leur efficacité.

Bruno Retailleau multiplie les phrases chocs, visant notamment les consommateurs, depuis son arrivée au gouvernement en septembre 2024. Et son prédécesseur place Beauvau, Gérald Darmanin, avait axé toute sa communication sur des opérations « place nette » et « place nette XXL » dont le bilan s’est avéré peu probant, selon le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France publié en mai 2024.

Si l’objectif reste répressif, la proposition de loi qui arrive au Sénat entend cette fois donner davantage de moyens à la police et à la justice pour démanteler les réseaux.

Le texte propose la création d’un Parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), sur le modèle du PNF (Parquet financier) ou du Pnat (Parquet antiterroriste). Le Pnaco aurait notamment un « monopole sur les crimes les plus graves » et serait chargé de « coordonner les parquets sur tout le spectre de la criminalité organisée ».

Il se substituerait à l’actuelle Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et s’appuierait sur un Office antistupéfiants (Ofast) aux prérogatives renforcées, placé sous la double tutelle des ministères de l’Intérieur et de l’Économie.

Besoin d’un pilote et de moyens
« J’espère que cette nouvelle approche fera date. Ce qui nous manque, c’est davantage de moyens, mais aussi une direction, un pilotage. Il nous faut une spécialisation, de la coordination entre les services et une incarnation », affirme Jérôme Durain.

« Il faut une stratégie partagée par tous, des enquêteurs aux magistrats », abonde dans Le Parisien Frédéric Lauze, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), pour qui la création du Pnaco est une « bonne idée ».

Le texte propose aussi la création d’une nouvelle infraction « d’appartenance à une organisation criminelle », inspirée de la législation italienne antimafia, tout comme un mécanisme de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants. Le régime d’immunité pour les repentis qui collaborent avec la justice serait quant à lui approfondi.

Le texte apporte également de nouveaux outils de lutte contre le blanchiment d’argent, avec des mesures permettant notamment la fermeture administrative des commerces de façade ou le gel des avoirs des narcotrafiquants.

« Il faut absolument passer à une présomption de blanchiment qui obligerait les trafiquants à justifier de leurs ressources et de leur train de vie et non plus l’inverse. (…) Chaque dossier de stups doit s’accompagner d’une enquête patrimoniale », estime Frédéric Lauze dans Le Parisien.

Reste à savoir si policiers et magistrats disposeront des moyens suffisants pour mettre en application les mesures que doit permettre le texte présenté au Sénat.

« Il faut que les promesses de cette proposition de loi soient honorées car il s’agit clairement de renforcer ceux qui sont au quotidien en première ligne face au narcotrafic. Si nos policiers courent après les moyens, les criminels auront encore de beaux jours devant eux », prévient Jérôme Durain, qui a bien conscience que le budget 2025, sur lequel pourrait chuter le gouvernement de François Bayrou début février, est marqué par de fortes réductions budgétaires.

Absence d’un volet prévention
« Il y a un objectif affiché qui va dans le bon sens, mais certaines mesures posent problème et surtout les moyens mis en place ne semblent pas suffisants. Sur le renforcement de la police judiciaire et de la justice, il n’y a rien de conséquent alors qu’il faut renforcer leurs moyens », déplore le député insoumis Antoine Léaument, en charge de la question du narcotrafic au sein de son groupe.

Même refrain au parti Les Écologistes, qui tenait lundi une conférence de presse sur le sujet.

« Si on regarde de près la proposition de loi telle qu’elle est rédigée aujourd’hui, elle induit des dépenses et des moyens humains et financiers supplémentaires dont on n’a pas idée du premier centime qui va y être mis », souligne le sénateur écologiste Guy Benarroche, qui craint que le gouvernement ne remette à plus tard certaines mesures essentielles, faute de financement.

Autre sujet de préoccupation partagé par l’ensemble de la gauche : l’absence totale d’un volet prévention à destination des consommateurs, notamment les plus jeunes. « Sans vision globale, on n’aura pas de politique efficace de lutte contre le narcotrafic », regrette Guy Benarroche.

Un regret y compris partagé par la police. « À quand une campagne choc pour sensibiliser les jeunes et leurs parents ? », interroge le secrétaire général du SCPN, toujours dans Le Parisien.

« On a tort de vouloir dissocier le volet sanitaire et celui de la sécurité publique » dans la lutte contre le trafic de drogues, ajoute la sénatrice écologiste Anne Souyris.

Cette dernière a déposé une proposition de loi pour dépénaliser « l’usage illicite de substances pour sa consommation personnelle », pas seulement limitée au cannabis. Son texte propose, sur le modèle portugais, de substituer à la pénalisation actuelle une « convocation devant une commission médico-sociale, chargée d’évaluer la situation sociale et sanitaire de l’usager », tout en maintenant le délit de trafic de stupéfiants.

Le groupe écologiste entend ainsi élargir le débat. Cette piste ne devrait toutefois pas être suivie par les commissaires de police ni par le gouvernement.

france24

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