Les catastrophes climatiques et les conditions météorologiques extrêmes liées au changement climatique affectent de plus en plus les sociétés à l’échelle mondiale, mais un lien souvent négligé demeure : l’augmentation de l’esclavage moderne. Ce phénomène, déjà bien établi dans certaines régions d’Afrique, connaît une recrudescence alarmante en raison des bouleversements climatiques.
Daniel Ogunniyi, juriste spécialisé, explore cette intersection entre les conditions climatiques extrêmes et l’esclavage moderne, mettant en lumière des problématiques complexes qui affectent le continent africain.
Qu’est-ce que l’esclavage moderne et quelle est son ampleur en Afrique ?
L’esclavage moderne ne se réduit pas à une définition juridique précise, mais englobe des pratiques variées comme le travail forcé, la traite des êtres humains, le mariage forcé, la mendicité contrainte et l’esclavage par ascendance. Ce dernier est une forme d’esclavage transmissible, souvent par la lignée maternelle, qui perdure encore dans des pays comme le Tchad, le Mali et la Mauritanie.
En 2023, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), environ 50 millions de personnes dans le monde sont victimes d’esclavage moderne, dont près de 7 millions en Afrique.
Les secteurs les plus touchés en Afrique incluent l’agriculture, la pêche, les mines, et les services domestiques, avec un nombre considérable de personnes également prises dans des mariages forcés. En outre, les trafiquants d’êtres humains exploitent la vulnérabilité économique de nombreuses régions en offrant de faux emplois, ce qui entraîne des abus et des violences physiques et sexuelles.
Comment le changement climatique aggrave-t-il l’esclavage moderne en Afrique ?
Le changement climatique n’est pas seulement un facteur environnemental : il exacerbe des inégalités et des vulnérabilités structurelles profondes. Les communautés pauvres et marginalisées, souvent sans accès à des ressources ou à des infrastructures adéquates, sont les premières victimes des chocs climatiques tels que les sécheresses, les inondations, et les pénuries d’eau. Ces phénomènes perturbent les modes de subsistance traditionnels, forcent les populations à migrer et créent un terreau fertile pour l’exploitation.
Les groupes extrémistes et les réseaux criminels organisés profitent de cette vulnérabilité accrue pour exploiter les populations déplacées.
Par exemple, les terroristes de Boko Haram et d’Al Shabaab ont été impliqués dans des pratiques d’esclavage sexuel et ont forcé des individus à participer à des opérations militaires. De plus, les familles en situation de précarité économique, conséquence directe des catastrophes climatiques, sont souvent contraintes de marier leurs enfants en échange d’une dot, augmentant ainsi le nombre de mariages forcés.
En Afrique de l’Ouest, par exemple, au Ghana, la migration en période de sécheresse a conduit des familles à vendre leurs enfants à des recruteurs qui les exploitent ensuite dans des conditions de travail forcé. Les jeunes femmes, souvent appelées « kayayei », migrent vers le sud du pays pour travailler dans des conditions précaires.
Solutions pour combattre l’esclavage moderne exacerbé par le changement climatique
Pour lutter contre ce fléau, plusieurs actions sont indispensables à savoir le renforcement des législations et leur application : les gouvernements doivent adopter des lois strictes contre le travail forcé, telles que la Convention de l’OIT sur le travail forcé et le Protocole de Palerme qui criminalise la traite des êtres humains ;
_le renforcement de la coopération internationale : la lutte contre l’esclavage moderne nécessite une collaboration accrue entre les États africains à l’échelle régionale et internationale, notamment pour le partage d’informations et le soutien technique ;
_l’investissement dans l’éducation et la sensibilisation : des programmes éducatifs ciblés pour les groupes vulnérables doivent être mis en place, afin de les sensibiliser aux dangers de l’esclavage moderne et aux risques associés ;
_le combat contre la pauvreté et les inégalités : l’esclavage moderne étant souvent alimenté par la pauvreté, il est essentiel de lutter contre les causes profondes de cette exploitation en améliorant les conditions économiques ;
_l’intégration de l’esclavage moderne dans les politiques climatiques : les politiques de lutte contre le changement climatique doivent intégrer des stratégies pour prévenir et combattre l’esclavage moderne.
Les mesures d’adaptation et de réduction des émissions doivent aussi considérer leurs impacts sur les populations vulnérables et la responsabilisation des entreprises : les entreprises, notamment dans le secteur des énergies renouvelables, doivent faire preuve d’une diligence rigoureuse en matière de droits de l’homme dans leurs activités et chaînes d’approvisionnement, afin d’éviter l’exploitation dans la transition énergétique.
L’esclavage moderne, déjà un problème complexe en Afrique, est désormais exacerbé par les changements climatiques.
Les catastrophes climatiques entraînent des migrations massives, augmentent la pauvreté et rendent des populations entières vulnérables à l’exploitation. Une réponse globale et intégrée est donc essentielle pour éradiquer cette forme moderne d’esclavage, en abordant non seulement ses racines socio-économiques mais aussi ses liens avec la crise climatique.
VivAfrik