Comment Trump et Bessent veulent faire baisser le 10 ans US ?

C’est l’un des grands objectifs affichés par Scott Bessent : faire baisser les taux longs. A l’entendre, tout ce qui est mis en place par l’administration Trump devrait y contribuer. Mais la dynamique de l’économie américaine et les contraintes techniques du Trésor rendront la tâche difficile.

Un peu de répit pour Jerôme Powell. Après avoir laissé planer la menace pendant des mois, l’administration Trump s’est finalement résolue à ne pas interférer (pour l’instant) dans les décisions de la Fed.

C’est en tout cas ce qu’a affirmé le Secrétaire au Trésor, Scott Bessent, au début du mois : “He and I are focused on the 10-year Treasury”. Traduction : la Fed s’occupe des taux courts tandis que le président et lui-même se concentrent sur les taux longs ; le 10 ans étant la référence en la matière. 

L’objectif affiché par Scott Bessent est donc de faire baisser les rendements du 10 ans, qui depuis l’investiture de Donald Trump évoluent dans un range assez étroit. Pour cela, il compte utiliser deux leviers. D’une part, rééquilibrer les finances publiques pour diminuer les émissions de dette. Et d’autre part, faire baisser l’inflation ; les anticipations d’inflation étant une composante des taux longs. Une fois cela posé, comment y parvenir concrètement ? 

Equation impossible ? 

Le premier outil, c’est le DOGE (Department of Government Efficiency) d’Elon Musk, chargé de couper dans les dépenses publiques. Ce qui rapproche Elon Musk de Donald Trump, c’est l’appétence pour les annonces fracassantes. Ainsi, le DOGE revendique déjà 55 milliards de dollars d’économies, mais c’est en réalité 8,6 milliards, à ce stade, quand on examine les données de son propre site.

Pas de quoi pour le moment infléchir la trajectoire du déficit. D’autant qu’est évoqué l’idée d’un « dividende du DOGE », c’est-à-dire le fait de reverser directement aux Américains une partie des économies réalisées.  

Ensuite, il y a l’objectif de baisser les prix de l’énergie par plus de production. Une baisse des prix qui doit contribuer à faire baisser l’inflation. Mais comme nous l’avons régulièrement souligné dans ces colonnes, la décision de produire plus revient à des entreprises privées, qui n’ont aucun intérêt à voir les prix baisser. 

Enfin, il y a l’arme règlementaire, ou plus précisément la dérégulation.

Le raisonnement est le suivant : moins de régulation, c’est moins de contraintes sur l’offre, ce qui permet de réduire les pressions inflationnistes. Bessent présente donc la dérégulation comme permettant d’avoir une croissance non-inflationniste. Mais avoir plus de croissance (l’objectif de Bessent est à 3%) et en même temps moins d’inflation, c’est un peu du « wishful thinking » pour reprendre une expression souvent utilisée outre-Atlantique.

En effet, l’épisode inflationniste des dernières années a été, dans le cas américain, la conséquence d’un choc de demande plus que d’un choc d’offre. Les dépenses personnelles de consommation aux Etats-Unis étant nettement supérieures à leur trajectoire d’avant-covid.

Cela s’explique par des plans de relance budgétaire massifs, l’effet richesse avec la hausse du prix des actifs et la baisse du taux d’épargne.

 Virage à 180 degrés 

A côté de la partie fondamentale que nous venons d’analyser, et sur laquelle nous avons donc quelques réserves, il y a la partie technique c’est-à-dire la gestion des émissions de dette par le Trésor. En 2023, pour réduire la pression sur les taux longs qui étaient fortement remontés, Janet Yellen, secrétaire au Trésor de l’administration Biden, avait fait le choix d’émettre plus de maturités courtes et donc moins de maturités longues. 

L’idée était de ne pas bloquer des rendements élevés sur le long terme.

A l’époque, la plupart des prévisions tablaient sur un retour de l’inflation à 2% fin 2025. Il paraissait donc logique de charger la barque sur le 2 ans en attendant que l’inflation baisse et donc que les taux longs baissent pour in fine pouvoir réemprunter davantage à long terme mais à de meilleures conditions. Cette stratégie a eu pour conséquence de faire baisser la maturité moyenne de la dette.

Cela signifie qu’il y a chaque année davantage de dette qui arrive à échéance et donc davantage de dette à refinancer. 

 

Un point sur lequel Scott Bessent et les Républicains dans leur ensemble ne s’étaient pas privés de critiquer l’administration précédente.

En effet, les taux longs servent de référence pour les taux d’emprunt des prêts à la consommation ou immobilier. Les républicains accusaient donc les démocrates de faire artificiellement baisser les taux longs dans un objectif électoraliste et par là même de stimuler la consommation et donc de mettre à mal la lutte contre l’inflation. 

Mais comme souvent en politique, la prise de fonction amène à avoir un autre regard.

Désormais, Scott Bessent s’inscrit dans les pas de Janet Yellen et ne compte pas à ce stade modifier la structure des émissions. Pour ne pas totalement se dédire, il s’en sort en promettant que l’allongement de la maturité de la dette reste l’objectif à moyen terme. 

Un stock d’or sous-évalué

Enfin, je ne peux pas résister au fait d’évoquer une idée qui passionne les stratégistes à Wall Street ces derniers jours : la réévaluation du stock d’or américain. Les Etats-Unis détiennent les plus importantes réserves d’or au monde avec plus de 8000 tonnes. Depuis 1973, ce stock est toujours valorisé sur une base de 42 dollars l’once, contre un prix spot à plus de 2900 dollars. 

Ainsi, une valorisation du stock d’or en mark-to-market – à la valeur du marché – représenterait un important boost à l’actif du bilan du Trésor, environ 750 milliards de dollars.

Une manne qui pourrait, à court terme, réduire les besoins d’émissions (en vendant une partie du stock) et donc aider à faire baisser les taux longs. La limite de cette idée c’est que c’est un « one shot ». Or le vrai problème des Etats-Unis est le déficit, c’est-à-dire le déséquilibre structurel entre les recettes et les dépenses du gouvernement fédéral. 

Ce ne sont ici que des spéculations basées sur des commentaires de Scott Bessent au début du mois indiquant que le gouvernement pourrait « monétiser l’actif du bilan des Etats-Unis » et créer un fonds souverain.

Et pour l’heure, cette idée ne semble pas vraiment dans les plans de l’administration Trump (même si les choses changent très vite). Reste que si ce genre d’idée est évoqué, c’est un peu la preuve que tout le monde voit le mur de la dette se rapprocher sans savoir réellement comment l’éviter. La tâche sera donc ardue pour Scott Bessent.

Ce qu’il a pour lui c’est son expérience de gérant de hedge fund.

Il sait donc comment faire passer des messages au marché. Une compétence essentielle pour guider les anticipations de marché et donc influer sur les taux longs. 

boursezone

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