France-Algérie : François Bayrou s’aligne sur le discours offensif de Bruno Retailleau

Le Premier ministre français a déclaré qu’il était prêt à dénoncer l’accord entre la France et l’Algérie de 1968 si Alger continuait de refuser de laisser entrer sur son territoire ses ressortissants expulsés de France, rejoignant au passage la ligne offensive de son ministre de l’Intérieur.

François Bayrou se défend de toute volonté « de faire de l’escalade » mais ses menaces envers l’Algérie y ressemblent pourtant.

À l’issue du Comité interministériel de contrôle de l’immigration (Cici) réuni à Matignon, mercredi 26 février, le Premier ministre a menacé de dénoncer « la totalité des accords » de 1968 entre la France et l’Algérie si Alger ne changeait pas d’attitude au sujet du retour de ses ressortissants.

En évoquant ces accords, selon lui « pas respectés », le Premier ministre a affirmé que le gouvernement français ne peut « pas accepter que la situation perdure ».

« Je le dis sans volonté de faire de l’escalade, sans volonté de faire de la surenchère », mais « il est de la responsabilité du gouvernement français de dire que les refus de réadmission [des ressortissants algériens, NDLR] sont une atteinte directe aux accords que nous avons avec les autorités algériennes et que nous ne l’accepterons pas », a-t-il souligné en conférence de presse.

François Bayrou s’aligne ainsi sur le discours offensif porté depuis plusieurs mois par son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Ce dernier s’en est de nouveau pris à l’Algérie, samedi 22 février, se disant prêt à entrer dans un « rapport de force ». En cause, le refus d’Alger de reprendre l’un de ses ressortissants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avant qu’il ne tue un homme et en blesse sept autres dans une attaque au couteau à Mulhouse.

Installer un « rapport de force »
« Le rapport de force, c’est les visas ; le rapport de force, c’est l’accord de 1968 ; le rapport de force, c’est un accord très important pour l’Algérie qui est en train d’être négocié aujourd’hui à Bruxelles. Il faut poser ce rapport de force parce qu’on a été assez gentils. On a tendu la main à l’Algérie.

Qu’a-t-on eu en retour ? », avait lancé le ministre de l’Intérieur au journal de 20 h de TF1.

Quatre jours plus tard, François Bayrou lui donne raison, contribuant à son tour à la montée des tensions entre Paris et Alger, dans laquelle l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et la question des OQTF tiennent une place prépondérante côté français, tandis que le soutien d’Emmanuel Macron au Maroc sur le Sahara occidental ne passe pas côté algérien.

L’Algérie est ainsi régulièrement pointée du doigt depuis plusieurs semaines par Bruno Retailleau. La relation bilatérale avait déjà connu un coup de chaud en janvier lorsque l’influenceur « Doualemn » avait été expulsé de France, avant d’y revenir et d’être libéré en raison du refus d’Alger de l’accueillir.

Ayant longtemps accusé Emmanuel Macron lorsqu’il était dans l’opposition de ne pas traiter sérieusement les questions d’immigration illégale et de lutte contre l’islamisme, le ministre de l’Intérieur veut désormais montrer qu’il peut mieux faire. Et dans ce contexte, l’Algérie apparaît comme une cible idéale.

« La construction d’un ennemi »
« Une partie de la droite, le parti Les Républicains notamment, s’est lancée dans une polémique avec l’Algérie pour se positionner sur l’échiquier politique français dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. On assiste à la construction d’un ennemi qui rassemble beaucoup de caractéristiques de ce que les Français craignent : l’immigration et l’insécurité. Et l’Algérien va incarner tout ça à la fois », explique Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb, chercheuse associée au Sirice – Université Paris 1.

« La menace sur l’accord de 1968 participe à ces manœuvres politiciennes.

C’est devenu un marqueur politique en France, une espèce de totem agité par la droite française alors que dans les faits, quand on est étranger algérien en France, on n’est pas du tout avantagé », abonde Adlene Mohammedi, chercheur et enseignant en géopolitique, spécialiste du monde arabe.

De nombreuses dispositions de 1968 ont en effet été rognées au fil du temps. En 2025, les droits des Algériens en France sont pratiquement les mêmes que ceux des autres étrangers hors Union européenne (UE).

Seules différences : la carte de séjour de dix ans peut être obtenue au bout d’un an de résidence contre trois ans pour les autres étrangers hors-UE ; les conjoints peuvent accompagner les détenteurs d’un visa de court séjour alors que cela est uniquement possible pour les visas long séjour pour les autres étrangers hors-UE ; enfin, les entrepreneurs n’ont pas l’obligation de démontrer la viabilité de leur projet pour s’installer.

Par ailleurs, puisque leur statut est régi par ce seul accord, ils ne peuvent pas prétendre aux autres titres créés récemment, comme le « passeport talent » ou la carte de séjour étudiant « programme de mobilité ».

Les étudiants algériens, eux, y perdent : ils ne peuvent pas travailler, pour un job étudiant par exemple, sans solliciter une autorisation provisoire. Autant de détails qui échappent à l’opinion, selon les spécialistes interrogés, et qui permettent l’avancée d’un agenda politique au détriment de la relation franco-algérienne.

france24

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