Des enregistrements audios – obtenus par un média grec – sèment le doute sur les responsabilités de la marine hellénique dans le naufrage d’un chalutier au large de Pylos en juin 2023. Athènes a toujours nié sa responsabilité dans le drame. Depuis le début de cette affaire, la défense de la Grèce repose principalement sur le fait que le bateau bondé ne nécessitait pas d’aide urgente car il faisait route vers l’Italie.
Mais dans la bande-son obtenue par des journalistes, un officier grec ordonne aux exilés de dire qu’ils souhaitent aller en Italie, et non en Grèce.
Ce sont de nouveaux éléments qui risquent, encore, de mettre à mal la version des gardes-côtes grecs au sujet du naufrage d’un chalutier, l’Adriana, le 14 juin 2023.
Ce jour-là, au moins 500 migrants ont trouvé la mort après que leur bateau de pêche surchargé a chaviré dans les eaux internationales, au large de la péninsule du Péloponnèse. Donc dans la zone de recherche et de sauvetage de la Grèce.
Le navire avait quitté la Libye pour l’Italie et était resté sous la surveillance de la marine grecque pendant près de 12 heures avant de couler. Sur les 750 passagers, seuls 104 migrants ont survécu.
Les corps de 82 migrants ont été retrouvés, au moins 500 personnes sont portées disparues.
Dans cette affaire, les gardes-côtes ont été accusés à plusieurs reprises par des ONG et avocats grecs de travestir les faits pour se dédouaner de toute responsabilité. Les autorités, elles, ont toujours nié être à l’origine de ce naufrage meurtrier.
« Je veux que vous écriviez qu’ils ne veulent pas rester en Grèce »
Mais selon un article de la chaîne britannique BBC paru jeudi 27 février, de nouveaux enregistrements audios – obtenus par le site grec News247.gr – sèment, une nouvelle fois, le doute sur les agissements de la marine hellénique : un homme parlant depuis le centre de coordination de sauvetage grec ordonne aux migrants d’affirmer qu’ils souhaitent aller en Italie, et non en Grèce.
La BBC détaille le contenu des conversations enregistrées par le centre conjoint de coordination des secours (JRCC) du port du Pirée, près de la capitale Athènes.
Le 13 juin 2023, un premier appel est passé à 18h50 aux migrants afin de les informer qu’un grand navire rouge, le Lucky Sailor, va bientôt s’approcher d’eux pour leur distribuer des provisions.
-Officier 1 (membre du centre de coordination de sauvetage grec) : « Le bateau se dirige vers vous pour vous donner du carburant, de l’eau et de la nourriture. Dans une heure, nous vous envoyons un deuxième bateau. Dites au capitaine du navire rouge [le Lucky Sailor, ndlr] : ‘Nous ne voulons pas aller en Grèce’, ok ? »
Vers 22h, un autre appel est passé, cette fois par un officier « apparemment différent du même centre de coordination », indique la BBC, vers l’équipage du Lucky Sailor.
-Officier 2 : « Ok capitaine, désolé tout à l’heure, je ne vous ai pas entendu. Je n’ai pas compris ce que vous m’avez dit. Vous m’avez dit que vous avez donné [aux migrants] de la nourriture, de l’eau et qu’ils vous ont dit qu’ils ne voulaient pas rester en Grèce, qu’ils voulaient aller en Italie. Et qu’ils ne voulaient rien d’autre ? »
-Capitaine du Lucky Sailor : « Oui, je leur ai demandé par mégaphone ‘Grèce ou Italie ?’, et tout le monde criait Italie ».
-Officier 2 : « Ok, tout le monde crie qu’ils ne veulent pas [aller en] Grèce et qu’ils veulent l’Italie ? »
-Capitaine du Lucky Sailor : « Oui, oui, oui. (…) Le bateau est bondé, le pont est rempli [de gens] ».
-Officier 2 : « Ok, vous avez fini les provisions ? »
-Capitaine du Lucky Sailor : « Oui, monsieur, oui ».
-Officier 2 : « Capitaine, je veux que ça soit écrit dans votre journal de bord. (…) Je veux que vous écriviez qu’ils ne veulent pas rester en Grèce et qu’ils veulent aller en Italie. Ils ne veulent rien de la Grèce ».
-Capitaine du Lucky Sailor : « Oui Ok, nous allons l’écrire », répond à plusieurs reprises l’équipage face à l’insistance de l’officier grec.
Par ailleurs, les audios révèlent également qu’entre 23h34 et 02h01, aucune communication n’est enregistrée entre le centre de coordination, les navires à proximité de l’Adriana et le chalutier lui-même.
L’Adriana a coulé à 2h06. L’ordre d’une opération de recherche et de sauvetage a été donnée 15 minutes plus tard.
La version des autorités grecques contredite à plusieurs reprises
Les gardes-côtes grecs, joints par la BBC, n’ont pas voulu commenter l’enregistrement audio mais ont déclaré qu’ils avaient soumis « tout le matériel en leur possession, y compris les enregistrements audio et les rapports des événements » au bureau du procureur du tribunal maritime, qui enquête sur ce naufrage.
Depuis le début de cette affaire, la défense d’Athènes repose principalement sur le fait que le chalutier bondé ne nécessitait pas d’aide d’urgente car il faisait route, à une vitesse régulière, vers l’Italie, comme le souhaitaient les passagers.
Mais cette version a été plusieurs fois contredites par les témoignages des survivants et des enquêtes journalistiques fouillées.
En juin 2023, la BBC avait démontré que le bateau était à l’arrêt au large de la Grèce, et non en train de naviguer vers les côtes italiennes.
L’analyse des mouvements des autres navires dans la zone suggère que le chalutier surchargé n’a pas bougé pendant au moins sept heures avant de sombrer.
Par ailleurs, des rescapés avaient affirmé, quelques heures après le naufrage, que la marine avait fait chavirer le bateau en tentant de le remorquer en dehors des eaux grecques.
« Les gardes-côtes grecs ont demandé aux migrants de les suivre, mais ils n’ont pas pu », avait à l’époque indiqué l’ancien Premier ministre Alexis Tsipras, après une rencontre avec les survivants.
« Les autorités ont alors jeté une corde, mais parce qu’ils ne savaient pas comment tirer cette corde, le navire a commencé à se balancer à droite et à gauche, avait-il raconté. Le bateau des gardes-côtes allait trop vite, et le navire des migrants penchait déjà sur la gauche. C’est comme ça qu’il a coulé. »
Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, dont le pays est accusé de pratiquer des refoulements illégaux à sa frontière avec la Turquie, avait jugé « très injuste » la mise en cause des autorités portuaires.
« Série d’omissions graves et persistantes »
Début février 2025, un rapport du médiateur de la République hellénique accablait aussi la marine grecque. « La conclusion de l’Autorité Indépendante fait état d’indications claires concernant huit officiers supérieurs quant à leur connaissance et à leur négligence du risque pour la vie, la santé et l’intégrité physique des étrangers à bord du navire de pêche Adriana », a écrit Andreas Pottakis dans son rapport.
Dans son enquête, le médiateur pointait aussi « une série d’omissions graves et persistantes dans les tâches de recherche et de sauvetage de la part d’officiers supérieurs du corps des gardes-côtes » grecs.
Selon lui, les autorités « n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui pouvaient raisonnablement être considérées comme propres à prévenir le danger ».
Le ministre grec des Affaires maritimes, Christos Stylianides, avait alors déploré que le rapport du médiateur « cherche à déplacer la discussion des réseaux criminels de trafic vers les officiers de la Garde côtière qui luttent jour et nuit pour la protection du pays ».
Dans cette affaire, neuf migrants égyptiens avaient été désignés par l’État grec comme des passeurs responsables de ce naufrage meurtrier.
Mais après 11 mois passés en détention provisoire, ces neuf exilés ont été acquittés par la justice, en mai 2024, au premier jour de leur procès.
infomigrants