De prime abord, le parallèle défonce la porte de la réflexion. Cependant, une lecture comparée et pointue des caractéristiques de ces deux théâtres d’évènements politiques et d’opérations militaires, montre que l’Afghanistan et le Mali sont peu semblables et beaucoup dissemblables.
En 2001 (année du clash entre Washington et Kaboul), les Etats-Unis ont déclenché une guerre totale, non pas pour sauver un État mis en danger par une insurrection, mais pour abattre un gouvernement établi. But plus précis de la mission : effacer le régime du Mollah Omar. Un Exécutif taliban et ses hôtes étrangers (Ben Laden et Al Zawahiri) qui sont perçus comme les chevilles ouvrières de tous les périls programmés et ajustés sur l’Amérique.
En 2013, l’opération Serval (ancêtre de Barkhane et de Takuba) est officiellement lancée à la demande du Professeur Dioncounda Traoré, le Président d’une Transition malienne, elle-même, dérivée du coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo de mars 2012. Objectif surmédiatisé de l’opération Serval : stopper la progression fulgurante des djihadistes vers Bamako et le Sud du Mali.
La différence est d’emblée saillante. En Asie centrale, les Américains ont déraciné militairement un régime solidement ancré dans un Afghanistan sous parfait et total contrôle ; tandis qu’au Sahel, les Français ont volé au secours d’un Pouvoir transitoire conjointement bousculé par un islamisme armé très cosmopolite et un irrédentisme touareg très ancien. Autre différence politiquement remarquable, un exilé du nom de Hamid Karzaï a débarqué du « ventre » d’un avion de l’US Air Force puis occupé le Palais présidentiel de Kaboul. En revanche, à Bamako, le Président de la Transition et son successeur élu, Ibrahim Boubacar Keïta, n’ont pas été aérotransportés par un Transall. Ils vivaient à Bamako.
Les éléments de dissemblance sont encore trouvables, notamment dans les physionomies et les enjeux respectifs des deux conflits. S’agissant de l’étendue des hostilités, Américains et Talibans ont lutté dans les limites territoriales de l’Afghanistan. Par contre, les Français de Barkhane et les terroristes de tout poil rayonnent infernalement sur trois pays (Mali, Niger et Burkina) du G5 Sahel. Le Tchad connaît des incursions autour du Lac éponyme mais pas des incrustations djihadistes. Quant à la Mauritanie, elle est mystérieusement épargnée : pacte secret avec le terrorisme ou robustesse militaire à l’intérieur de ses frontières ?
Au plan stratégique et tactique, le fossé a existé entre le Mali et l’Afghanistan. À cet égard, les articulations des dispositifs militaires ont fort bien renseigné sur les enjeux et les agendas. L’US Army avait installé une base aérienne à Kaboul (l’aérodrome militaire de Bagram) et d’autres dans certaines provinces. À contrario, Barkhane qui effectue 90% de ses activités d’observation, d’appui-feu et de bombardement au-dessus du Mali, a toujours abrité, donc sécurisé ses Mirage sur la base Ibrahim Cossé de Ndjamena et dans la partie militaire de l’aéroport Diori Hamani de Niamey. Pourquoi pas à Bamako, à Mopti, à Tombouctou ou Gao ? Preuve que la France apporte son soutien mais n’accorde pas sa confiance au Mali, un pays peu fiable. Un pays à défendre à partir d’autres pays plus fiables. Au demeurant, la confiance n’a jamais été au beau fixe entre Paris et Bamako. Les Français ont longtemps eu la forte conviction que la crème des Services de sécurité du Mali (la fameuse SE) est noyautée par les terroristes.
Au-delà des postures militaires, il y a le chapitre doctrinal qui englobe les enjeux ou les agendas de toute guerre. En Afghanistan, la démarche américaine a été franchement énoncée, appliquée et assumée jusqu’à…l’insuccès. Il s’est agi, là-bas, d’éradiquer l’hégémonie politique des Talibans sur un Afghanistan intact. Sans division ni partition. Au Mali, c’est l’ambiguïté qui est la rampe de lancement de l’agenda français. Dans la patrie de Modibo Keïta, la France bombarde les islamistes maliens du GSIM (Iyad Ag Ghali) mais bénit les rebelles touaregs du Nord-Mali (Bilal Ag Chérif) bien retranchés dans le sanctuaire de Kidal sécurisé par Barkhane et la MINUSMA. En clair, le rebelle désireux d’obtenir la partition du Mali et prêt à émarger à la DGSE, est câliné. Tandis que le djihadiste authentiquement malien, désireux de promouvoir un Islam rigoriste, est déchiqueté à la roquette. But ultime de la manœuvre : l’érection d’un Protectorat à Kidal, une sorte de Nouvelle-Calédonie du désert.
Du reste, l’agenda de l’Élysée est bien en filigrane dans l’Accord de paix d’Alger qui a l’air d’un cercueil pour l’État unitaire du Mali et les apparences d’un berceau pour un certain État de l’Azawad en gestation. Voilà une énième différence entre le Mali et l’Afghanistan. Rappelons que, lors des ultimes négociations de Doha entre Américains et Talibans, Washington n’a pas été à la quête d’un Porto Rico dans le désert d’Asie centrale pourtant bourré de ressources naturelles et géopolitiquement très convoité. En outre, la CIA et la DIA (Renseignement militaire US) n’ont jamais allumé un brasier entre les tribus Pachtounes et les tribus Tadjiks ou les Baloutches, à l’instar des violences inter-communautaires entre Peulhs et Dogons dans la région de Mopti
Avec autant de dissemblances, l’issue de la crise malienne ne sera pas sûrement la sœur jumelle de l’épilogue du conflit afghan. Car la France ne sera pas militairement mise en déroute au Mali. Pour deux raisons. Premièrement, l’ingénieuse diplomatie française a mouillé puis remorqué l’ONU, à travers la MINUSMA créée par la Résolution 2100 du 25 avril 2013. Sans y intégrer Barkhane qui garde son commandement autonome. Un vieux tour de passe-passe français. Hier, en Côte d’Ivoire, LICORNE et l’ONUCI se côtoyaient sans se commander mutuellement. Signalons qu’en Afghanistan, les USA ont écarté l’ONU. La petite Mission des Nations-Unies en Afghanistan (UNAMA) n’aligne pas de Casques bleus. Deuxièmement, la France est partiellement au combat au Sahel et entièrement dans ses calculs d’ancrage hégémonique de son influence.
En définitive et en vérité, la comparaison accoucheuse de leçons probantes renvoie au Mozambique. À Maputo, les dirigeants issus du Frelimo, imbibés de nationalisme farouche, ont repoussé toute proposition d’aide militaire non africaine. À peine ont-ils accepté une poignée d’instructeurs portugais. Le Président de la république, Filipe Nyusi, a actionné le levier de la solidarité régionale. Un instrument d’assistance institutionnellement programmé au sein de la SADEC. Ainsi, le Rwanda a projeté son armée directement sur la ligne de feu et enrayé la progression des insurgés, déjà maitres d’une des provinces les plus riches du pays de Samora Machel. Exploit militaire à l’actif de Paul Kagamé. Les soldats rwandais sécurisent actuellement la ville de Mocimbo Da Praia qui abrite des installations de la firme française Total. Une situation cocasse quand on sait que la France est mécontente de la présence rwandaise en Centrafrique.
À Maputo comme à Bangui, c’est l’Afrique qui aide militairement l’Afrique. C’est Paul Kagamé qui enraye le chaos et la partition. Démarche non philanthropique (le Rwanda a certainement ses visées) mais moins humiliante et moins fatale que les interventions franco-européennes sur le continent africain. Bref, si la CEDEAO avait fait montre d’un dynamisme diplomatique et d’un punch militaire aussi prononcés que la SADEC, le Mali aurait stoppé le déferlement djihadiste sans l’aide de Serval, de Barkhane et de Takuba. Toute aide militaire étrangère étant peu ou prou érosive et dégradante pour la souveraineté nationale.
Par Babacar Justin Ndiaye