Les pesticides sont omniprésents dans le quotidien, notamment dans les poussières de nos habitations. Avec des conséquences sur la santé mises en évidence par plusieurs études scientifiques. En particulier chez les agriculteurs. Explications.
Que ce soit par leur présence dans l’espace public, à l’intérieur des habitations ou encore dans l’alimentation, l’exposition aux pesticides s’avère multiple. En France, malgré un objectif affiché d’une réduction de leur usage, la tendance peine à s’inverser. Depuis une dizaine d’années, les ventes restent stables, autour de 70 000 tonnes par an.
La contamination pèse sur les milieux, notamment sur la qualité des ressources en eau.
Selon le dernier bilan (1) du ministère de la Santé disponible, un quart de la population française a été alimenté en 2023 par une eau du robinet au moins une fois non conforme aux limites de qualité fixés pour les pesticides.
Près de 40 molécules sont à l’origine de ces dépassements.
Parmi elles, six (2) sont plus fréquemment retrouvées dans les prélèvements, dont des dérivés du fongicide chlorothalonil (3) et de l’herbicide chloridazone (4) . Mais cette contamination se retrouve également dans l’atmosphère et dans les poussières. Et c’est justement sur leur présence dans les habitations qu’a souhaité travailler le Centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard à travers une série d’études dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Des pesticides interdits encore présents dans les foyers
“ Grâce à la multiplication d’études épidémiologiques qui reposent sur des données de registre, nous commençons à établir des liens ”
La première étude, baptisée Sigexpo, cherchait à établir les déterminants géographiques de l’exposition aux pesticides dans les poussières (récentes et anciennes). « L’étude se focalisait sur 239 foyers de la région dans quatre zones : une urbaine dans le territoire de Lyon et trois zones agricoles, explique Astrid Coste, épidémiologiste au Centre Léon-Bérard, qui a présenté les résultats de ces études lors d’une soirée grand public au Centre international de recherche sur le cancer, organisée dans le cadre d’une série d’échanges entre les deux instituts.
Dans les poussières récentes, en médiane, quatre pesticides ont été détectés dans tous les foyers. Parmi les substances détectées, on retrouvait très fréquemment le lindane, un insecticide organochloré interdit pour des usages agricoles depuis 1998, mais persistant dans l’environnement.
À noter : dans les poussières anciennes des foyers lyonnais, 8 % des pesticides retrouvés étaient d’origine agricole.
« En zones urbaines, les pesticides majoritairement détectés étaient soit d’usages domestiques, soit des pesticides interdits au moment de l’étude mais persistants dans l’environnement, précise Astrid Coste. Dans les zones proches d’arboriculture, les pesticides les plus retrouvés étaient d’origine agricole ou avec un usage mixte, domestique et agricole. » Au total, 125 pesticides ont été détectés sur les 276 recherchés.
Les professionnels restent les plus exposés
Une seconde étude baptisée Sigexposome s’est intéressée à l’exposition des riverains vivant à proximité de cultures viticoles dans le Beaujolais, ainsi qu’à des agriculteurs, en prélevant des urines, du sang, des cheveux, mais aussi des poussières dans leurs logements. « L’étude comprenait, en phase principale, 168 hommes non fumeurs, dont 118 résidents riverains de culture et 48 applicateurs professionnels, détaille Astrid Coste. Nous avons recherché les pesticides qui ont été les plus retrouvés dans l’étude Sigexpo. Dans les poussières, nous en avons détecté 56 au moins une fois sur 65 recherchés.»
Un suivi national des pesticides dans l’air ambiant depuis 2021
Sur le plan national, depuis juillet 2021 un suivi des résidus de pesticides dans l’air ambiant est réalisé pour 18 sites de mesures. Les résultats pour la campagne 2021-2022 montrent qu’en métropole 6 substances sont majoritairement retrouvées : le lindane (59 %), le s-métolachlore (24 %), le glyphosate (48 %), la pendiméthaline (59 %), le triallate (42 %) et le prosulfocarbe (34 %). Les trois dernières substances se distinguent par leur concentration annuelle supérieure aux autres et plus particulièrement le prosulfocarbe (1,5 ng/m3).
Selon les périodes et les saisons d’épandage, des différences sont observées dans les poussières.
« Nous avons noté une détection de fongicides plus importante chez les professionnels par rapport aux riverains, surtout en octobre, relève Astrid Coste. Au contraire, en février, au moment où il y a le moins d’épandage, certains pesticides étaient davantage détectés chez les riverains que chez les professionnels. »
Les scientifiques ont également analysé le niveau de concentration de ces pesticides détectés dans les poussières.
« Sur les 56 substances détectées, nous sommes arrivés à en quantifier 27 pour au moins 10 % des sujets/foyers, note Astrid Coste. Les trois substances qui présentaient les concentrations les plus élevées étaient : la perméthrine (un insecticide interdit en agriculture depuis 2000, mais toujours autorisé pour un usage domestique), deux fongicides, le boscalid utilisé par les professionnels, et le cymoxanil, dont l’usage est mixte. »
Une différence d’importance a toutefois été relevée par les chercheurs : les niveaux retrouvés étaient plus importants chez les professionnels et étaient difficiles à quantifier chez les riverains non agriculteurs. « Ces études montrent également la difficulté de mesurer l’exposition dans la population générale, car les niveaux de concentration sont plus faibles et souvent n’atteignent pas les limites de quantification », regrette Astrid Coste.
Autre difficulté pour l’analyse des urines cette fois : les substances recherchées ne disposent pas toutes de références officielles pour l’analyse. « Nous avons toutefois pu regarder quatre métabolites de pesticides (5) , précise Astrid Coste. Nous retrouvons des résultats similaires à ceux dans les poussières : nous avons constaté des augmentations significatives de concentration pour certains de ces métabolites entre juillet et octobre et des diminutions entre juillet et février, de façon corrélée avec les périodes d’épandage ».
Sur le plan national, l’exposition des personnes vivant à proximité de cultures est également étudiée à travers l’étude PestiRiv. Les résultats devraient être publiés prochainement.
Des conséquences sur la santé
Concernant les conséquences sanitaires, un certain nombre de liens avec des pathologies ont pu être établis à l’occasion de l’actualisation de l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les pesticides et la santé.
Les liens avec le niveau de preuve le plus élevé ont été retrouvés dans le cadre d’une exposition professionnelle.
L’expertise collective montre ainsi des liens entre l’exposition des agriculteurs aux pesticides et le développement de 13 pathologies, dont le cancer de la prostate ou du sein, mais également des pathologies comme la maladie d’Alzheimer. Les experts concluent également à une présomption forte d’un lien entre exposition professionnelle des parents et développement de tumeurs cérébrales, de leucémies et de troubles du développement neuropsychologique et moteur chez l’enfant.
« Pour la population générale, où les concentrations d’exposition sont chroniques mais plus faibles que chez les professionnels, il est plus difficile de faire émerger une association consistante, soulève néanmoins Astrid Coste. Grâce à la multiplication d’études épidémiologiques qui reposent sur des données de registre, nous commençons à établir des liens.
Mais il faut encore améliorer les connaissances et affiner les données sur l’exposition.
Par exemple, un lien est établi entre l’exposition domestique aux pesticides pendant la grossesse ou la petite enfance et le risque de leucémie de l’enfant. Toutefois, nous ne pouvons pas pointer une ou des substances précises responsables de ce lien. »
Dans les Antilles, l’expertise conclut à une présomption forte d’un lien entre l’exposition de la population générale – et pas seulement des professionnels – au chlordécone, un organochloré interdit dans les années 1990 mais persistant dans l’environnement, et le cancer de la prostate.
Certains pesticides sont également des perturbateurs endocriniens, avec des risques de troubles de la fertilité ou métaboliques, des cancers hormono-dépendants et de la prostate, et des troubles du développement neuronal.
Par ailleurs, l’étude Géocap agri réalisée par Santé publique France et l’Inserm a montré une augmentation du risque de neuroblastomes et de leucémies de 5 et 10 % respectivement avec une augmentation de la densité de vigne de 10 % dans un rayon d’un kilomètre autour du domicile de l’enfant.
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