Le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) enregistre une vague de départs d’employés de la fonction publique refusant de mettre leur expertise au service de ce qu’ils qualifient de « démantèlement des services publics essentiels »
Plus de vingt employés de la fonction publique aux Etats-Unis ont présenté leur démission, mardi, refusant de mettre leur expertise technique au service de ce qu’ils qualifient de « démantèlement des services publics essentiels ».
Ces départs interviennent alors que le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), dirigé par le milliardaire et conseiller de Donald Trump, Elon Musk, poursuit une restructuration controversée de l’administration fédérale.
« Nous avons prêté serment de servir le peuple américain et de respecter la Constitution, quelle que soit l’administration en place », ont écrit les 21 fonctionnaires dans une lettre de démission collective relayée par les médias américains, ajoutant : « Il est cependant devenu clair que nous ne pouvons plus honorer ces engagements ».
Les fonctionnaires démissionnaires, issus pour la plupart du United States Digital Service (USDS – administration fédérale américaine dont la mission consiste à améliorer et simplifier les services numériques de l’administration américaine et conseiller les agences sur leur stratégie en système d’information), dénoncent un climat de travail marqué par des pressions politiques et des décisions qui compromettent la sécurité et l’efficacité des services publics.
Des experts remplacés par des idéologues ?
Selon les démissionnaires, les nouvelles recrues chargées d’accompagner Musk dans son projet de réduction drastique de la bureaucratie fédérale manquent de compétences techniques et sont motivées par des considérations idéologiques plutôt que par une volonté d’améliorer les services gouvernementaux.
« Plusieurs de ces recruteurs ont refusé de s’identifier, ont posé des questions sur la loyauté politique, ont tenté de monter les collègues les uns contre les autres et ont démontré une compréhension limitée des enjeux techniques », précisent-ils dans leur lettre.
Cette situation a entraîné des licenciements massifs au sein de l’USDS, qui a vu, plus tôt en février, une quarantaine d’employés être remerciés, réduisant considérablement la capacité du gouvernement à sécuriser et administrer ses infrastructures numériques.
« Ces fonctionnaires hautement qualifiés travaillaient à la modernisation de la Sécurité sociale, des services aux anciens combattants, de la fiscalité, des soins de santé, de l’aide en cas de catastrophe et d’autres services essentiels », expliquent leurs collègues démissionnaires dans leur lettre.
Et d’ajouter : « Leur départ met en danger des millions d’Américains qui dépendent de ces services chaque jour ».
Une restructuration contestée
Les suppressions de postes et la réorientation de la mission de l’USDS vers le DOGE suscitent de vives inquiétudes parmi les experts du numérique au sein du gouvernement. Le tiers des 65 employés restants à l’USDS ayant préféré démissionner, mardi, plutôt que de rejoindre la nouvelle entité dirigée par Musk.
« Nous refusons d’utiliser nos compétences pour compromettre les systèmes gouvernementaux fondamentaux, mettre en danger les données sensibles des Américains ou démanteler les services publics essentiels », ont-ils déclaré dans leur lettre de démission.
Elon Musk, qui a toujours affiché son hostilité envers la bureaucratie, s’est défendu sur son réseau social X en qualifiant ces départs de « fake news ». Selon lui, les fonctionnaires démissionnaires sont des « vestiges démocrates » qui « auraient été licenciés s’ils n’avaient pas démissionné ».
L’ancien ingénieur Jonathan Kamens, l’un des rares techniciens directement licenciés, affirme que son renvoi était motivé par des considérations politiques. « Je crois qu’Elon Musk a des intentions douteuses. Et je suis convaincu que les données auxquelles il accède seront utilisées de manière inappropriée et nuisible pour les Américains », a confié à l’Associated Press celui qui avait endossé la candidature de Kamala Harris lors de la dernière présidentielle américaine.
Un bras de fer avec l’administration Trump
La Maison-Blanche a réagi avec dédain à cette vague de démissions.
« Quiconque pense que les protestations, les poursuites judiciaires et les manœuvres juridiques vont dissuader le président Trump, doit avoir vécu sous une roche ces dernières années », a déclaré la porte-parole Karoline Leavitt.
Et d’ajouter : « Le président Trump ne renoncera pas à ses engagements pour rendre notre gouvernement plus efficace et plus responsable envers les contribuables américains ».
Elon Musk, de son côté, continue d’adopter une posture provocatrice. Lors d’une récente apparition à la grand’messe annuelle des conservateurs américains, la Conservative Political Action Conference, il a brandi une tronçonneuse chinoise dorée offerte par le président argentin Javier Milei. « C’est la tronçonneuse de la bureaucratie », a-t-il lancé devant un parterre de partisans.
Un choc entre culture d’entreprise et réalité gouvernementale
Les tensions autour du DOGE révèlent un conflit plus profond entre l’approche entrepreneuriale prônée par Musk et la complexité des processus gouvernementaux.
Dans des déclarations à la presse américaine, Cordell Schachter, ancien directeur des systèmes d’information au Département des transports, a estimé qu' » ‘avancer vite et casser les choses’ peut être acceptable pour quelqu’un qui possède son entreprise et en assume les risques. Mais lorsqu’on casse des choses dans le gouvernement, on brise des services dont dépendent des millions d’Américains ».
L’USDS, qui s’est illustré par des réformes majeures comme la modernisation du portail d’inscription à l’assurance santé et la création d’un service de déclaration fiscale gratuit, a toujours suscité des résistances internes, mais jamais son existence n’avait été remise en cause à un tel niveau.
Par ailleurs, Karoline Leavitt est l’une des trois responsables de l’administration Trump visées par une action en justice intentée par l’Associated Press.
L’agence de presse accuse la Maison-Blanche de rétorsions pour des décisions éditoriales qu’elle juge défavorables. De son côté, l’administration Trump reproche à l’AP de ne pas respecter un décret présidentiel demandant de désigner le Golfe du Mexique sous l’appellation « Golfe de l’Amérique ».
Alors que la restructuration du gouvernement se poursuit, le départ massif de ces experts numériques illustre les profondes fractures idéologiques et stratégiques qui secouent l’administration fédérale américaine sous la présidence de Donald Trump.
AA