L’Italie indemnise les migrants bloqués en mer durant plusieurs jours

La justice italienne a condamné jeudi l’État à verser une indemnisation à un groupe d’exilés érythréens, qui avaient été bloqués durant plusieurs jours en août 2018 sur un navire militaire italien en Méditerranée. Pendant 10 jours, les autorités italiennes avaient refusé de les laisser débarquer en Sicile. La décision de justice a provoqué la colère du gouvernement actuel d’extrême-droite.

C’est une affaire vieille de presque sept ans qui refait surface en Italie. Jeudi 6 mars, la justice italienne a condamné le gouvernement à indemniser des migrants empêchés pendant 10 jours, en 2018, de débarquer sur la terre ferme. L’affaire concerne des Érythréens retenus sur le navire militaire Diciotti du 16 août 2018 au 25 août, alors que le chef du gouvernement était à l’époque Giuseppe Conte (Mouvement 5 Etoiles) et son ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, chef de la Ligue (anti-immigration).

Il avait fallu à l’époque l’intervention du président de la République, Sergio Matarella, pour que les exilés puissent débarquer sur le sol sicilien.

Pour Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur, il fallait d’abord éclaircir les circonstances du sauvetage de ces migrants, qui auraient résisté au moment de leur prise en charge par un remorqueur italien au large de la Libye. Les versions sur ce point divergeaient : certains avaient parlé de rébellion quand d’autres évoquaient seulement l’affolement des migrants à l’idée de devoir retourner en Libye.

À bord du Diciotti, les migrants avaient été contraints d’attendre le feu vert des autorités alors que leur état de santé était très fragile. « L’un d’entre eux ne voit plus très bien, il a les pupilles dilatées, parce qu’il m’a raconté avoir été détenu dans le noir pendant un an », avait raconté Nathalie Leiba, psychologue auprès de l’ONG Médecins sans frontières, qui avait pu venir en aide à certains de ces jeunes migrants.

Jeudi dernier, la Cour de cassation a finalement condamné le gouvernement à verser une indemnisation mais a renvoyé à la Cour d’appel de Rome le calcul de son montant.

Pour les juges suprêmes, « l’obligation de secours en mer […] est un devoir » qui s’impose à tous et « prévaut sur toutes les normes […] destinées à lutter contre l’immigration irrégulière ». « Les conventions internationales en la matière, auxquelles l’Italie a adhéré, constituent, par voie de conséquence, une limite à la puissance législative de l’État » italien, ont-ils conclu.

Magistrats « politisés »
Cette décision a provoqué la colère et l’incompréhension de Giorgia Meloni. La Première ministre d’extrême-droite, dont la majorité ultraconservatrice mène un combat contre les magistrats qu’elle accuse d’être « politisés » et de se substituer au législateur, s’en est de nouveau prise à eux vendredi.

« Le gouvernement devra indemniser, avec l’argent d’honnêtes citoyens italiens qui paient des impôts, des personnes ayant tenté d’entrer illégalement en Italie », a-t-elle dénoncé sur son compte X. « Alors que nous n’avons pas assez de ressources pour faire tout ce qui devrait être fait, [il] est très frustrant » de devoir dépenser de l’argent pour ce genre d’indemnisation », a-t-elle conclu.

Fratelli d’Italia, le parti post-fasciste de Giorgia Meloni, a de son côté fustigé « les juges rouges » qui rendent « des jugements idéologiques ».

La Ligue de Matteo Salvini a réagi de manière encore plus virulente : « C’est absurde. Que ces juges payent de leur poche s’ils aiment tant les clandestins ».

Le Tribunal des ministres (juridiction chargée de juger les membres du gouvernement pour des délits présumés commis dans l’exercice de leurs fonctions) avait souhaité à l’époque faire comparaître Matteo Salvini, mais le Parlement avait refusé de lever son immunité de sorte qu’un procès n’avait jamais eu lieu jusqu’ici.

Actuel vice-Premier ministre du gouvernement Meloni, Matteo Salvini a par ailleurs été acquitté en décembre 2024 dans un procès portant sur une affaire semblable, dans laquelle il était accusé de séquestration de migrants en mer en 2019.

Politique anti-migrants
Le gouvernement Meloni a engagé une politique très restrictive à l’encontre des dizaines de milliers de migrants tentant chaque année de rejoindre l’Europe en franchissant la Méditerranée à bord d’embarcations de fortune. Depuis deux ans, la dirigeante a mis en place tout un arsenal législatif destiné à freiner les arrivées de migrants et compliquer le travail des associations de secours en Méditerranée.

Depuis décembre 2022 par exemple, le décret Piantedosi impose aux navires de demander immédiatement un port de débarquement vers lequel ils devront se diriger « sans délai » après une intervention de secours, plutôt que de rester en mer pour venir en aide aux occupants d’autres embarcations en danger.

Quelques mois plus tard, en mai 2023, le décret Cutro est inscrit au Journal officiel et opère un nouveau tour de vis en matière migratoire dans le pays.

Il prévoit notamment une restriction de la « protection spéciale », un titre de séjour accordé aux migrants ne pouvant pas bénéficier de l’asile ou de la protection subsidiaire.

Un groupe de migrants dans la cour du CPR de Ponte Galeria, à Rome. Crédit : Ansa

Le gouvernement engage également des moyens sur la mise en place de nouveaux CPR, équivalent des centres de rétention administrative français.

La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi a communiqué sur l’ouverture prochaine de cinq nouvelles structures. Figures centrales de la politique migratoire italienne depuis quelques années, ces centres sont pourtant régulièrement pointés du doigt par les ONG et l’opposition.

En février 2024, Ousmane Sylla, un Guinéen de 22 ans, s’est pendu dans le CPR de Ponte Galeria près de Rome.

Ses compagnons d’infortune l’ont retrouvé vers 5h du matin, inconscient. Selon la presse italienne, ils ont tenté de le secourir et d’appeler à l’aide, en vain. Sur le mur de sa cellule, Ousmane Sylla avait écrit ces mots en français : « Je n’en peux plus, je veux rentrer chez moi. L’Afrique me manque, et ma mère aussi ».

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