En Syrie, les nouvelles autorités sous pression après les massacres

L’opération militaire lancée en Syrie pour combattre des miliciens alaouites fidèles à l’ancien président déchu est désormais achevée, a annoncé le ministère syrien de la Défense, lundi. Selon l’OSDH, au moins 745 civils, 125 membres des forces de sécurité syriennes et 148 combattants pro-Assad ont été tués durant les récents affrontements.

Les autorités syriennes ont annoncé, lundi 10 mars, la fin de l’opération militaire contre les fidèles de Bachar al-Assad, une offensive marquée, selon une ONG, par les pires violences depuis la chute de l’ex-président en décembre.

La quasi-totalité des 973 civils tués, majoritairement issus de la communauté alaouite, ont été victimes d’exécutions sommaires menées par les forces de sécurité ou des groupes alliés, rapporte l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

« Nous annonçons la fin de l’opération militaire (…) après le succès de nos forces pour atteindre tous les objectifs fixés », a annoncé, lundi, le porte-parole du ministère de la Défense, Hassan Abdel Ghani, cité par l’agence officielle Sana.

Il a assuré que les forces de sécurité avaient pu « contenir les attaques contre ce qui reste du régime déchu » et « déjouer l’effet de surprise », dans une allusion au fait que ces groupes planifiaient une attaque d’envergure.

« Cinq jours de grande peur et d’angoisse »

La Syrie, gouvernée pendant un demi-siècle par le clan Assad, a connu ainsi les pires violences depuis l’arrivée au pouvoir le 8 décembre d’une coalition menée par des islamistes, menaçant la stabilité d’un pays engagé dans une transition déjà fragile.

Les combats ont été déclenchés par une attaque sanglante le 6 mars de partisans du régime déchu contre les forces de sécurité dans la région de Lattaquié, où se concentre la minorité alaouite dont est issu le clan Assad.

Ces affrontements ont fait 231 morts dans les rangs des forces gouvernementales et 250 du côté des insurgés, décompte l’OSDH.

Selon les informations de notre journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes, l’instigateur des violences récentes s’appelle Moqtar Fatiha. « C’est un sbire du régime qui, depuis des semaines, incite à passer à l’action contre le nouveau pouvoir », explique Wassim Nasr. « Il accuse sa propre communauté alaouite d’être traître, parce qu’elle a accepté de faire la paix avec le nouveau pouvoir à Damas.

Le but de ces attaques, coordonnées et très organisées, était de semer la panique. » 

« Plus de cinquante personnes de ma famille et de mes amis ont été tués. Ils ont ramassé les corps avec des bulldozers et les ont enterrés dans des fosses communes », a témoigné à l’AFP, dimanche, un habitant alaouite de la ville de Jablé qui a requis l’anonymat.

Lundi, il y avait peu de circulation dans les rues de Lattaquié, la plus importante ville de la côte, selon un correspondant de l’AFP sur place.

« La situation est un peu plus calme, les gens ont recommencé à se déplacer après cinq jours de grande peur et d’angoisse », a déclaré à l’AFP Farah, une étudiante de 22 ans qui n’a pas voulu donner son nom de famille. 

Mais « nous n’avons pas les services les plus élémentaires : il n’y a pas d’eau ou d’électricité depuis cinq jours, nous cherchons de l’eau du puits de notre quartier. Les magasins d’alimentation sont vides et nous ne pouvons rien acheter à manger », a-t-elle ajouté.

Le nouveau pouvoir « sur un fil de rasoir »

« Les zones visées étaient celles des alaouites et des chrétiens », a indiqué de son côté le patriarche orthodoxe d’Antioche, Jean X. « De nombreux chrétiens innocents ont également été tués », a-t-il souligné.

Aucun chiffre officiel n’a été communiqué sur le nombre de chrétiens tués.

Ahmed al-Charaa a promis dimanche soir de poursuivre les responsables de « l’effusion de sang de civils » et formé une commission d’enquête indépendante.

Selon des témoignages d’habitants, des jihadistes étrangers faisaient partie des combattants qui se sont livrés à des exactions contre les civils.

Ahmed al-Charaa dirigeait, avant sa prise du pouvoir, le groupe radical sunnite Hayat Tahrir al-Sham, soumis à des sanctions internationales.

« Nous ne permettrons à aucune force extérieure ou à aucun acteur local d’entraîner la Syrie dans le chaos ou la guerre civile », a-t-il par ailleurs assuré, sans autre précision.

D’après Wassim Nasr, Ahmed al-Charaa et le nouveau pouvoir sont sur le fil du rasoir pour plusieurs raisons.

D’abord, « certains éléments les plus radicaux lui reprochent d’avoir accordé une amnistie et lui demandent la libération de jihadistes qu’il a mis en prison, estimant que la guerre va recommencer ». Ensuite, Ahmed al-Charaa « tente d’éviter une nouvelle guerre en appelant au retrait des combattants ». « Contrairement à Bachar al-Assad, qui récompensait les auteurs d’exactions, le nouveau pouvoir a promis de juger ceux qui ont commis des crimes, y compris dans ses propres rangs. » 

« Le chaos des milices que nous avons vu dans les villes côtières alaouites nous indique (…) que la nouvelle armée syrienne n’a pas le contrôle », juge Joshua Landis, expert de la Syrie à l’Université d’Oklahoma.

Ces violences, selon lui, « entraveront les efforts du président par intérim, Ahmed al-Charaa, pour consolider son pouvoir et convaincre la communauté internationale qu’il contrôle la situation et qu’il peut maîtriser les nombreuses milices qui sont censées être sous son commandement ».

Condamnation internationale

L’Iran, allié du régime déchu, a formellement démenti, lundi, toute implication dans les violences en Syrie, qualifiant les accusations de certains médias de « ridicules ».

L’ONU, Washington, Pékin et d’autres capitales ont condamné ces tueries, appelant les autorités syriennes à y mettre fin. « La communauté internationale est consciente de la situation », observe Wassim Nasr. « Les chancelleries occidentales, les Américains, l’UE, la France et les autres pays ont appelé le nouveau pouvoir à trouver les coupables et à les juger. » 

Le chef de la diplomatie israélienne, Gideon Saar, a lui exhorté l’Europe à « cesser d’accorder une légitimité » au pouvoir de transition syrien « au passé terroriste bien connu ».

Depuis son arrivée à la tête d’un pays multiethnique et multiconfessionnel, déchiré par plus de 13 ans de guerre civile, Ahmed al-Charaa s’efforce d’obtenir le soutien de la communauté internationale et de rassurer les minorités. 

Mais la flambée de violence met en question sa capacité à maintenir la sécurité et porte un coup à ses tentatives de gagner la confiance de la communauté internationale, selon des analystes.

AFP

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