Villages pour mineurs isolés : un projet expérimental en région parisienne fait débat

Le département des Yvelines, en région parisienne, a annoncé sa volonté de construire dix « villages » accueillant des mineurs isolés sur plusieurs communes de son territoire. Ce dispositif unique en France se veut une alternative à l’hébergement hôtelier de ces enfants, désormais interdit. Sauf que l’expérimentation suscite critiques et interrogations.

Près de 1 400 mineurs non accompagnés se trouvent aujourd’hui dans le département des Yvelines, à l’ouest de Paris. Lors de son assemblée du 7 mars, le conseil départemental a dévoilé les détails d’un projet inédit pour leur trouver un hébergement : une dizaine de « villages » spécialement dédiés à ce public.

« Nous connaissons aujourd’hui, dans le Département des Yvelines, un contexte de tension inédite sur les dispositifs d’accueil », a introduit Laurent Brosse, conseiller départemental du canton de Conflans-Sainte-Honorine, rapporte La Gazette. Depuis fin 2022, le nombre de mineurs isolés étrangers a augmenté de 50 % sur le territoire yvelinois.

Pour rappel, la prise en charge des mineurs non accompagnés, allant de l’évaluation de leur âge à leur intégration dans l’Aide sociale à l’enfance (ASE), si leur minorité est reconnue, relève entièrement des départements.

Face à leur forte augmentation dans les Yvelines, le conseil départemental a donc pris la décision de construire une dizaine de centres, ou « villages d’accueil » en structures modulaires. Pour l’heure, seuls deux sites ont été dévoilés.

Le premier d’entre eux est prévu pour l’automne à Mantes-la-Jolie. Quatre-vingt-huit mineurs isolés étrangers doivent être hébergés dans 22 pavillons de quatre places chacun, détaille la Gazette. Quelques chambres seront adaptées à des jeunes à mobilité réduite. Une équipe socio-éducative doit y assurer un suivi au quotidien.

L’autre commune informée d’un projet de construction de village est celle de Chapet. Cent jeunes devraient être accueillis, dans 25 bungalows.

Une alternative à l’hébergement hôtelier, désormais interdit
« Il y a encore deux ans, on prenait en charge environ 400 mineurs isolés. Il y a eu une explosion de ce chiffre depuis et on dépasse désormais les 1 000 mineurs. Ils sont placés à l’hôtel, ce qui est illégal. L’État nous demande de trouver une solution et on cherche une manière de les accueillir dignement. », explique Sandra Lavantureux, directrice générale adjointe du service Enfance, Familles et Santé du Département, à Actu.fr.

En effet, la loi Taquet du 7 février 2022 interdit le placement des jeunes relevant de l’Aide sociale à l’enfance (c’est-à-dire reconnus mineurs) dans les hôtels. Les décrets d’application de cette loi, très attendus par les associations, n’ont été publiés que deux ans plus tard, en février 2024. Depuis, l’ensemble des départements français doivent trouver des alternatives à l’hébergement hôtelier.

Or, dans les Yvelines, pas moins de 552 d’entre eux se trouvent dans des structures hôtelières, décompte La Gazette. De fait, l’hébergement des mineurs isolés dans les hôtels est partout largement répandu.

Claire Hédon, la Défenseure des droits, a interpellé l’État dans une décision publiée mercredi 29 janvier face aux « lourdes défaillances » observées dans la protection de l’enfance : maltraitance, refus de prise en charge, placements dans des lieux non autorisés par la loi comme les hôtels… Avec un focus sur la question des mineurs isolés, point de crispation régulière entre l’État et les départements.

Depuis des années, des départements estiment que la prise en charge des mineurs isolés est trop lourde, et demandent davantage de moyens de la part de l’État. Certains ont même décidé par le passé de suspendre l’accueil et la prise en charge de mineurs non accompagnés, en toute illégalité.

Oppositions de maires, récupération par la droite et l’extrême-droite
Dans les deux communes citées, la proposition de ces » villages » pour mineurs créé des remous : les maires protestent face à un projet qu’ils jugent imposé sans consultation. L’édile de Mantes-la-Jolie, Raphaël Cognet (Horizons), a pris la parole sur la chaîne CNews pour déplorer une installation dans un quartier déjà « en difficulté ».

Benoît de Laurens, maire de la commune de Chapet, a pour sa part dénoncé dans la Gazette un projet imposé « avec brutalité » et s’inquiète de ne pas être « en capacité d’assimiler ces 100 jeunes », qui représentent « quasiment l’équivalent de 10 % de [sa] population » (un peu plus de 1 000 habitants).

Ces protestations ont rapidement été récupérées par des partis politiques de droite et d’extrême droite.

Le député des Yvelines, affilié à Reconquête, a lancé une pétition en ligne. Le Rassemblement national, l’Union des droites pour la République (mouvement d’Éric Ciotti) ainsi que Debout la France ont été repérés par Le Parisien à Chapet, en train de distribuer des tracts s’opposant au projet.

Benoît de Laurens a cependant pris ces distances avec la polémique créée par ces partis.

« Toute récupération politique de la mobilisation de Chapet contre le projet de village de mineurs isolés me dégoûte », a-t-il écrit sur la page Facebook de la municipalité. « Reconquête récupère et déforme mes propos à des fins partisanes et nauséabondes que je dénonce de toutes mes forces ».

Dans les colonnes d’Actu.fr, il affirme s’inquiéter plutôt pour les premiers concernés : « On va parquer des gamins dans une zone isolée, dépourvue de toute urbanité et de transports en commun. On livre ces enfants en pâture. C’est dingue ! N’y a-t-il rien de mieux à leur offrir ? »

« Ce sont des situations que nous sommes habitués à gérer, notamment en ce qui concerne l’organisation des transports », rétorque Sandra Lavantureux dans le même média. « Tous les maires ont de bonnes raisons pour que ça se passe ailleurs que sur leur territoire. Mais nous, ces jeunes, on ne peut pas les maintenir à l’hôtel. D’où l’urgence d’agir. »

Projet d’insertion restant à définir
Ceci étant, l’expérimentation est également critiquée par des jeunes concernés eux-mêmes. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale (suite à la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance), un ancien mineur non accompagné, Mabida Guirassy, a émis des réserves.

« En ce moment, dans les Yvelines, le conseil départemental est en train d’installer 25 ‘Algeco’ [préfabriqué, ndlr] sur un terrain non viabilisé pour des mineurs isolés dans la commune de Chapet.

Le maire s’y oppose du fait du traitement inhumain, indigne réservé à ces jeunes. Aucun projet d’insertion, aucun cours de français, pas d’éducateur », dénonce le jeune homme, dont les propos ont été rapportés par Le Media Social.

Lors de son conseil du 7 mars, le département a mis en avant la création « d’espaces sportifs et paysagers sécurisés, permettant de répondre aux enjeux de protection, d’insertion et d’accompagnement de ces jeunes ». Notamment via un partenariat annoncé avec l’agence ActivitY’, effectivement dédiée à l’insertion professionnelle sur le territoire. Il soutient aussi qu’il y aura un « accompagnement socio-éducatif et sanitaire adapté ».

Sollicité pour plus de détails sur ces enjeux d’hébergement et d’accompagnement des mineurs isolés, le département des Yvelines n’a, pour l’heure, pas donné suite à InfoMigrants.

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