cauchemar•Il y a dix ans, le copilote Andreas Lubitz du vol de la Germanwings précipitait son A320 contre une falaise des Alpes du sud, tuant 149 autres personnes. Deux témoins, le général Christophe Brochier et le policier Gilles Reix, racontent à 20 Minutes
«Une sidération », raconte aujourd’hui à 20 Minutes le général de gendarmerie Christophe Brochier. Il y a dix ans, au moment du crash de la Germanwings, Christophe Brochier était le colonel en charge du groupement de gendarmerie qui allait être le premier à intervenir sur les lieux de la catastrophe.
Le policer Gilles Reix, auteur de Parmi les morts (Mareuil Éditions), a lui fait partie des fonctionnaires chargés de la collecte des fragments de corps et de leur identification.
Successivement, ils racontent à 20 Minutes leurs souvenirs de cette catastrophe aérienne motivée par le seul désir suicidaire du copilote Andreas Lubitz.
Pouvez-vous nous raconter les premières minutes de cette catastrophe ?
Général Christophe Brochier : J’étais en réunion en préfecture à Digne-les-Bains lorsque nous apprenons la nouvelle du crash. L’avion disparaît des radars à 10h41 et l’épave est localisée très rapidement, dès 11h07 par un équipage de la gendarmerie de Digne-les-Bains en hélicoptère. La première équipe qui survole le site comprend immédiatement qu’il n’y a aucun survivant, au vu de l’état de l’avion.
Ensuite, moi-même, je survole le site une heure plus tard. Et la taille des débris confirme l’évidence : personne n’a pu survivre.
Quand comprenez-vous qu’il s’agit d’un suicide ?
Général Christophe Brochier : La première boîte noire, celle des enregistrements vocaux, est retrouvée dès le premier jour. Elle est immédiatement envoyée à Paris pour analyse.
Grâce aux experts, nous comprenons très vite qu’il ne s’agit pas d’un attentat terroriste, ce qui était une hypothèse plausible à l’époque, vu le contexte. Mais les enregistrements révèlent rapidement qu’il s’agit d’un suicide du copilote.
Pardon, mais est-ce alors une sorte de soulagement d’avoir cette réponse ?
Général Christophe Brochier : Non, c’est une sidération. Comment imaginer qu’une personne puisse décider de s’enlever la vie en emportant 149 autres victimes avec lui ? C’est tragique.
Il n’y a aucun message, aucun but revendiqué. C’est un meurtre de masse, mais sans revendication, ce qui le rend d’autant plus incompréhensible et terrifiant.
Comment s’organisent les opérations ?
Général Christophe Brochier : Il me faut organiser très rapidement un poste de commandement et l’arrivée des unités nationales. Lorsqu’un événement dépasse les capacités d’une unité locale, ce sont les échelons supérieurs qui fournissent les moyens et décident de la répartition des responsabilités.
Dans ce cas-là, c’est la Section de recherche de Paris qui a pris en charge l’enquête et l’IRCGN [Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale] pour l’identification des victimes, avec les renforts d’unités de la police nationale. Il faut également sécuriser le site avec l’aide des CRS et gérer l’accueil des familles de victimes, des autorités et police allemandes et espagnoles.
En quoi consistait votre mission sur le terrain ?
Gilles Reix : Notre mission avait plusieurs étapes : récupérer les corps et parties de corps en montagne et transférer les restes humains vers la chaîne d’autopsie, sous la supervision d’un médecin légiste, où est analysé chaque fragment avec un prélèvement ADN pour identifier formellement les victimes.
Cette identification fonctionne comme un puzzle : chaque partie de corps fournit son ADN, qui est ensuite comparé aux prélèvements des familles pour reconstituer et identifier les dépouilles.
À quoi ressemblait la scène du crash ?
Gilles Reix : C’était un chaos absolu, comme une scène d’explosion, mais éparpillée en mille morceaux. Parfois, il ne restait que de très petits fragments.
Le site était situé dans une pente d’environ 30 %, composée de ravines et de roches friables. Quand on marchait dedans, c’était un peu comme avancer sur du sable. Nous avons été déposés en hélicoptère en haut de la ravine. La zone de dispersion des débris s’étendait sur environ 500 mètres de long.
Comment procédiez-vous au relevage des corps ?
Gilles Reix : Chaque équipe travaillait en binôme, attachée à un collègue – soit un gendarme, soit un CRS de haute montagne – qui assurait la sécurité. Ces professionnels sont habitués aux interventions en milieu périlleux.
Nous étions harnachés et nous ramassions chaque fragment que nous trouvions, que nous placions ensuite dans des sacs mortuaires. Une fois pleins, ces sacs étaient héliportés vers la vallée, déposés dans un pré, puis transportés par camion dans un hangar où se déroulait la chaîne d’autopsie.
L’identification a-t-elle été complexe ?
Gilles Reix : Contrairement à d’autres catastrophes, l’identification était relativement simple car nous avions affaire à une liste fermée. Dans un crash d’avion, on sait exactement qui était à bord : la liste des passagers est connue. Les noms des membres d’équipage sont enregistrés. Il suffit ensuite de contacter les familles des disparus.
En revanche, lors d’un attentat, comme au Bataclan ou à Nice, c’est beaucoup plus compliqué : On sait qu’il y a des victimes, mais on ignore qui elles sont. On ne sait pas qui était présent au moment du drame. Les victimes n’avaient pas forcément leurs papiers d’identité sur elles.
Gilles Reix : Chaque corps ou fragment reçoit un numéro de traçabilité et passe par plusieurs étapes d’analyse : on relève l’ADN sur les parties ramassées.
Lorsqu’il s’agissait de mains, on prenait les empreintes digitales. Enfin, dans les cas des dents et des mâchoires, nous faisons appelle à des dentistes qui pouvaient solliciter les fichiers clients pour effectuer des correspondances. Ces trois méthodes permettent une identification fiable et rapide.
Combien de temps a duré l’opération ?
Gilles Reix : Nous avons mis environ une dizaine jours pour récupérer l’ensemble des corps et des fragments humains. Ensuite, il a fallu plusieurs semaines pour finaliser l’identification des victimes à travers les différentes analyses. Et les corps n’ont été rendus aux familles que vers la fin mai, début juin.
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