Espion déchu et ancien diplomate : qui sont les deux négociateurs russes sur l’Ukraine ?

Pour négocier à Riyad avec les Américains, la Russie a envoyé Grigori Karassine, un ancien diplomate de haut rang expert du dossier ukrainien, et Sergueï Besseda, ex-responsable du FSB en charge de la collecte de renseignements. Deux personnalités au profil moins politique que technique, dont la mission sera de faire avancer les pions de Moscou face à l’administration Trump.

Vladimir Poutine les a personnellement choisis pour les pourparlers sur l’Ukraine qui ont débuté lundi 24 mars à Riyad, en Arabie saoudite. Qualifié par Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, de « meilleurs négociateurs de la Russie », l’homme politique Grigori Karassine et l’ancien maître espion Sergueï Besseda dirigent la délégation envoyée par Moscou pour défendre les intérêts russes face à l’équipe américaine.

À la tête de la commission des affaires étrangères du Sénat, l’ancien vice-ministre des Affaires étrangères Grigori Karassine est considéré comme l’un des plus fins connaisseurs du dossier ukrainien en raison de son implication il y a dix ans dans la rédaction des accords de Minsk I et de Minsk II.

« À l’époque des accords de Minsk, Grigori Karassine a chapeauté plusieurs groupes de négociations sur les questions militaires, économiques ou encore humanitaires. Il connaît chaque caillou de l’Ukraine et des zones contestées », indique Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris. « Il est probablement l’un des meilleurs sinon le meilleur spécialiste de la question ukrainienne en Russie », ajoute celui qui a été ambassadeur de France en Russie, où il a côtoyé le diplomate.

Adoptés entre septembre 2014 et février 2015, ces accords devaient permettre de résoudre le conflit qui opposait l’armée ukrainienne et les forces séparatistes des régions du Donbass, soutenues par Moscou. Dans les faits, les mesures de ce protocole en 13 points n’ont jamais été appliquées.

« Grigori Karassine a certes été attaché dans des fonctions diplomatiques liées à l’espace post-soviétique mais c’est aussi un francophone qui est allé en Afrique et connaît le Moyen-Orient. Il est un peu la caution diplomatique de cette équipe de négociateurs », décrypte Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.

Un espion pour incarner la « ligne dure »
Si ce profil de diplomate chevronné apparaît comme une évidence pour mener à bien ces pourparlers, le choix de Sergueï Besseda en a, en revanche, surpris plus d’un. Actuel conseiller du directeur des services russes de sécurité (FSB), cet officier était en charge du « cinquième service » lors du déclenchement de « l’opération spéciale » en Ukraine décidée par le Kremlin en février 2022. Ce département a pour vocation la collecte de renseignements dans les pays de l’ex-Union soviétique, dont l’Ukraine.

À ce titre, ce général est considéré comme l’une des principales sources ayant convaincu Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine.

À cette époque, le FSB promet une guerre éclair victorieuse et l’effondrement rapide du gouvernement de Kiev en raison d’un sentiment prorusse généralisé en Ukraine. Une erreur d’appréciation qui lui vaudra de sérieux ennuis, selon le journaliste russe Andreï Soldatov, spécialiste des services de sécurité du pays.

Sergueï Besseda aurait été victime d’une purge au sein du « cinquième service » et se serait retrouvé assigné à résidence.

Dans un article du journal indépendant The Moscow Times, Andreï Soldatov affirme que l’ancien maître espion a effectué un séjour à la prison de Lefortovo, un établissement pénitentiaire moscovite réservé à des détenus de premier plan faisant l’objet d’enquêtes pour des crimes graves tels que « haute trahison », « terrorisme » ou « espionnage ». Ces informations n’ont toutefois jamais été confirmées.

Aujourd’hui conseiller du directeur du FSB, « Sergueï Besseda représente l’État profond russe et la structure des services de sécurité avec pour objectif de mener à bien un processus avant tout technique », explique Igor Delanoë.

Selon David Teurtrie, maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures et directeur de l’Observatoire français des Brics (OFB), Sergueï Besseda, qui connaît le dossier ukrainien depuis 2014, est « un représentant de la ligne dure » à Moscou. Au sein de cet attelage, Grigori Karassine est « celui qui peut chercher des compromis tandis que Besseda devrait maintenir des positions plus fermes ».

Visé par des sanctions occidentales depuis 2014, Sergueï Besseda fait partie des bêtes noires du régime de Kiev. En 2023, Kyrylo Boudanov, le chef du renseignement militaire ukrainien, l’avait qualifié de personnalité « très problématique » qui avait fait « beaucoup de mal » à l’Ukraine.

« Prudence » de la Russie
Ce duo de négociateurs, plus technique que politique, laisse aussi penser que « Moscou cherche à se donner un avantage face à des Américains qui ne sont pas au même niveau sur le dossier ukrainien. Or, ces pourparlers s’annoncent très techniques. On va y parler d’infrastructures, de centrales électriques, de liberté de navigation en mer Noire », indique Jean de Gliniasty.

Selon l’agence Reuters, qui cite une source informée des pourparlers, la partie américaine est représentée par Andrew Peek, membre du conseil de sécurité nationale de la Maison blanche, et Michael Anton, un responsable du département d’État.

Alors que Washington et Kiev poussent pour un cessez-le-feu « général », Vladimir Poutine, dont l’armée avance sur le terrain malgré de lourdes pertes, semble jouer la montre, tant que ses hommes n’ont pas expulsé les troupes ukrainiennes de la région russe frontalière de Koursk. À ce stade, le Kremlin assure s’être uniquement mis d’accord avec Washington sur un moratoire concernant les bombardements des infrastructures énergétiques.

Symbole des divergences à combler pour arriver à une trêve, la délégation ukrainienne est emmenée par le ministre de la Défense, Roustem Oumerov. Le choix des deux négociateurs russes qui, sans être des seconds couteaux, « ne sont plus au cœur du pouvoir russe » montre que « le Kremlin a sans doute des objectif restreints en ce qui concerne ces pourparlers, contrairement à Washington qui se montre très optimiste », souligne David Teurtrie.

« Le profil de ces négociateurs montre la prudence de la Russie.

Le processus est pris au sérieux par Moscou mais si cela échoue politiquement, cela ne compromet pas la reprise du dialogue », estime Igor Delanoë. Une hypothèse plus difficile à envisager si des personnalités de plus haut rang sont impliquées, ajoute l’expert.

Fondamentalement, la position de Moscou concernant le conflit est restée inchangée. Le Kremlin affirme vouloir s’attaquer aux « causes profondes de la crise » et obliger Kiev à reconnaître les gains territoriaux de la Russie et accepter une forme de neutralité. Une capitulation inacceptable du point de vue ukrainien.

« Les Russes sont sur une ligne de crête.

Ils doivent donner satisfaction aux Américains parce qu’ils considèrent que c’est une chance historique de se réconcilier avec les États-Unis. ll faut donc leur donner un os à ronger », analyse Jean de Gliniasty. « Et dans le même temps, comme ils ont l’avantage sur le terrain, ils veulent gagner du temps et continuer à marquer des points. Ils vont donc devoir trouver le point d’équilibre. »

À ce titre, le cessez-le-feu maritime en mer Noire, souhaité par la Maison blanche, pourrait être un gage de bonne volonté commode à offrir pour le Kremlin.

Face à la supériorité des drones navals ukrainiens, la flotte russe, qui a perdu 20 % de ses bâtiments depuis 2022, a été contrainte de se replier à l’est. En somme, la Russie est prête à négocier à Riyad, surtout si elle n’a rien à y perdre.

france24

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