« Ils ont cassé toutes nos habitations » : en Tunisie, des milliers de migrants chassés des champs d’oliviers, près de Sfax

Depuis la fin de semaine dernière, les autorités tunisiennes démantèlent les camps de migrants disséminés dans les champs d’oliviers de la région de Sfax (centre-est de la Tunisie). Démunis de leurs effets personnels et délogés de leur abri de fortune, des milliers d’exilés se retrouvent sans rien.

Depuis plusieurs jours, un climat de terreur règne dans les campements de migrants disséminés dans la région de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie. La Garde nationale mène une opération de grande ampleur visant à démanteler les milliers de logements de fortune érigés dans les champs d’oliviers, sur la route qui mène de Sfax à El-Amra.

Selon les estimations des autorités, environ 20 000 migrants vivent dans cette zone, en attendant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Italie.

Chassés du centre-ville de Sfax à l'été 2023, les migrants se sont installés dans les champs d'oliviers sur la route vers El-Amra. Crédit : Google maps

Jeudi 3 avril, dès 7h du matin, c’est le camp du « km 24 », le plus grand, qui a été le premier ciblé par cette campagne de démolition. Quelques 4 000 personnes s’y étaient installées. « Ils ont tout détruit », alertait le soir-même à InfoMigrants Alpha*, un Guinéen vivant dans la région.

Les jours suivants, les autres camps subissent eux aussi le même sort : celui du « km 19 », du « km 26 », du « km 30 » ou encore du « km 25 » sont démantelés à leur tour.

« On a aucun endroit où aller »
Sur des vidéos qu’InfoMigrants a pu visionner, des policiers sont déployés en nombre dans les oliveraies, munis de casques et de boucliers. Les abris, construits avec de grandes bâches, sont détruits par des pelleteuses qui récupèrent tout sur leur passage. Au loin, de la fumée s’échappe. Tentes, effets personnels et réserves de nourriture sont brûlés par les autorités, selon les migrants.

Ces derniers, totalement démunis, observent le ballet des policiers un peu à l’écart.

« Ils ont cassé toutes nos habitations », souffle un exilé en filmant la scène tournée au « km 26 ».

« Ils ont détruit toutes nos affaires, on n’a plus rien », explique Bairo, un Gambien de 25 ans, joint par téléphone. « Ils nous disent de partir mais partir pour aller où ? On a aucun endroit où aller.

Ça devient de plus en plus dur ici ».

Des migrants près de Sfax (à El Hencha), en Tunisie, le 17 octobre 2024. Crédit : Reuters

Les Subsahariens se sont installés dans les oliveraies de la région d’El-Amra à l’été 2023, après avoir été chassés des centres-villes par les autorités tunisiennes. Quelques mois avant, en février, le président Kaïs Saïed avait accusé « des hordes de migrants subsahariens » de déstabiliser le pays et de menacer de « changer la composition démographique » de la Tunisie.

Régulièrement, ces campements informels sont démantelés par la Garde nationale mais jamais dans les proportions observées ces derniers jours.

Le sujet est devenu explosif dans le pays sur fond d’une campagne virulente contre les migrants, la cohabitation avec les riverains étant difficile et les propriétaires terriens réclamant que les nouveaux venus soient chassés de leurs champs.

Les autorités se réjouissent de ces opérations d’évacuations.

Le porte-parole de la Garde nationale, Houcem Eddine Jebabli, estime que le démantèlement s’est fait de manière « humaine », soulignant que ses hommes n’ont pas eu recours au gaz lacrymogène, a-t-il affirmé à l’AFP. Le président Kaïs Saïed, quant à lui, se félicite d’une opération « exemplaire ». « Nous refusons que la Tunisie soit une terre de transit ou d’installation », a répété le chef de l’État.

« Tout le monde est paniqué »
Ce lundi 7 avril, seul les camps des « km 23 » et « km 36 » sont encore debout. Mais pour combien de temps ? « On a entendu qu’ils [les policiers, ndlr] allaient venir demain ou après-demain », avance Habib, un Sénégalais de 19 ans qui vit au « km 23 » depuis sept mois. « Tout le monde est paniqué », ajoute-t-il.

Que sont devenus les exilés évacués des campements ces derniers jours ?

Selon Houcem Eddine Jebabli, une grande partie va bénéficier de « retours volontaires », tandis qu’une autre s’est « dispersée dans la nature ». Contactée par InfoMigrants, l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui organise les « retours volontaires » depuis la Tunisie vers les pays d’origine des exilés, n’a pas encore répondu à nos sollicitations.

Après ces démantèlements, la plupart des Subsahariens ont en réalité rejoint les campements alentours.

Certains ont pu emporter avec eux des couvertures ou quelques affaires. Mais la majorité ont passé les dernières nuits sous un olivier, à même le sol. « Ils sont éparpillés un peu partout, ils errent par petits groupes dans la région », précise un militant allemand vivant en Sicile et en contact permanent avec des migrants de Sfax.

D’autres auraient aussi été expulsés dans le désert, à la frontière avec l’Algérie et la Libye.

D’après Habib, « 13 bus ont été mobilisés » pour cette occasion. « Des amis ont été envoyés dans les zones désertiques. Ils nous ont appelés alors qu’ils étaient parvenus à atteindre une ville pour revenir vers Sfax et à emprunter le téléphone d’un Tunisien », explique le Sénégalais. Une information qu’InfoMigrants n’a pas pu vérifier.

Depuis l’été 2023, les Subsahariens vivant en Tunisie sont régulièrement raflés par les autorités tunisiennes et envoyés le désert, à la frontière algérienne ou libyenne. Le 17 mars, plus de 600 personnes ont disparu après avoir été interceptées en mer par les gardes-côtes tunisiens. Elles ne sont pas revenues dans les champs d’oliviers d’El-Amra.

InfoMigrants est parvenu à entrer en contact avec une soixantaine de ces exilés : ils se trouvaient alors à Tebessa, ville algérienne près de la frontière tunisienne, après avoir été abandonnés dans le désert par les forces tunisiennes.

infomigrants

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