Au Cameroun, les Pygmées misent sur l’école « pour sauver » leurs forêts de la destruction

En 2020, le Cameroun a perdu plus de 100 000 hectares de forêts primaires humides au profit d’une agro-industrie intensive.

Dans la salle de classe des CM2 de l’école publique de Nomédjoh, village du Cameroun situé dans la région Est, les élèves s’imaginent médecin, sous-préfet, militaire ou enseignant. A 15 ans, Denis Eléké, lui, veut devenir policier pour « arrêter les méchants », aider sa famille et, surtout, « veiller à ce qu’on ne coupe plus les arbres ». « Tout est en train de disparaître », s’inquiète le garçon, en tirant sur son vieux pull à capuche. « J’aime me promener dans la forêt, mais je vois bien que ça diminue », abonde Emmanuel Essoko, assis à l’ombre d’un bananier plantain dans la cour de récréation. Visage poupin et rieur, lui se verrait bien maire.

Comme Denis, Emmanuel est baka. Ce peuple autochtone de la forêt vit de la chasse, de la pêche et de la cueillette, forme aux côtés des Bagyeli, des Bedzang ou des Bakola, la communauté des Pygmées − un terme qu’ils jugent d’ailleurs péjoratif. Ils seraient environ 120 000 (0,4 % des Camerounais) répartis dans les trois régions du Centre, de l’Est et du Sud, un nombre approximatif en l’absence d’actes de naissance ou de documents d’identité. Beaucoup se sont sédentarisées dans des villages ou des campements de quelques dizaines à quelques centaines de membres.

Leur mode de vie est aujourd’hui menacé par la déforestation qu’entraînent l’agriculture itinérante, l’exploitation forestière et les grands projets agro-industriels comme les plantations de palmiers à huile. D’après Global Forest Watch (GFW), une plateforme de surveillance en temps réel des forêts mondiales mise en place par le World Ressources Institute, le Cameroun a perdu en 2020 plus de 100 000 hectares de forêts primaires humides, près du double des pertes enregistrées en 2019. A l’inverse, l’exportation de grumes a plus que sextuplé, passant de 200 000 mètres cubes en 2005 à presque un million de mètres cubes en 2017.

« Retard éducatif »

A Nomédjoh, les habitants sont formels : les animaux se font de plus en plus rares et il faut parcourir des dizaines de kilomètres dans la forêt pour trouver certaines essences. Les exploitants forestiers titulaires des titres d’exploitation sont tenus de verser à l’Etat une taxe, la redevance forestière annuelle (RFA), destinée à financer des projets de développement dans les communes rurales. « Mais la majorité des communautés ne bénéficient pas des retombées de la RFA », se lamente Christophe Justin Kamga, coordonnateur de l’organisation non gouvernementale (ONG) Forêts et développement rural (Foder).

Ce militant dénonce la corruption qui permet aux exploitants d’échapper à leurs obligations ou de détourner à d’autres fins les recettes perçues. « Les peuples autochtones jouent les seconds rôles ou les prête-noms », poursuit-il. « On nous prend pour les sous-hommes alors que nous sommes les premiers habitants de la forêt. Personne ne la maîtrise mieux que nous », se plaint Jean Djon, chef d’un campement bagyeli à Moungué, dans le Sud.

Pour Charles Madjoka, président de l’Association des représentants bagyeli du département Océan (Arbo, région Sud), cette situation s’explique par « le grand retard éducatif » qu’accuse la population pygmée, très peu scolarisée au Cameroun. « Si on avait été un peuple instruit, si on avait des élites, des personnes aux postes de décision, on ne serait pas trompé tout le temps », explique-t-il. Le leader bagyeli évoque de « nombreux abus » : des populations chassées des forêts qu’elles occupaient, des droits d’occupation ou d’exploitation vendus « pour une bouchée de pain »…

« Elle est tout pour nous »

Créé en 1968 pour évangéliser la communauté pygmée, le foyer Notre-Dame de la forêt (Fondaf) de Bipindi, dans la région Sud, est devenu l’un des principaux sites de scolarisation des enfants. Il accueille, cette année, 82 élèves, tous issus des peuples autochtones. Parmi eux, Nellie Ntsam, 16 ans, élève de 3e, enrage : elle connaît tant d’hommes et de femmes qui « ne peuvent pas écrire une plainte, ni même lire un document et ont peur du commandant de brigade, du sous-préfet, du maire ».

La jeune fille veut devenir une infirmière « moderne » et « traditionnelle », en utilisant aussi bien les molécules les plus avancées que les plantes, convaincue que l’instruction lui fournira « les armes juridiques » pour protéger la forêt. A l’école, elle a ainsi appris que grâce à Internet et aux réseaux sociaux elle pouvait « exposer les problèmes au monde entier ». Elle garde ça dans un coin de sa tête.

« Je mise beaucoup sur l’éducation pour sauver les forêts qui restent aux Pygmées et améliorer nos conditions de vie », renchérit Romarick Mabally, inscrit en classe de seconde et considéré comme le meilleur élève du Fondaf. A 17 ans, il est le premier à avoir obtenu un brevet d’études du premier cycle (BEPC) dans sa communauté, à Nkoaliseng.

Pendant les vacances, au village, il voit ses tantes travailler comme des « esclaves » dans les champs de propriétaires bantous, payées en « bouts de pain, maigres tubercules de manioc ou encore avec du whisky en sachets ». Ses oncles, qui chassent ou pêchent pour le compte des mêmes exploitants, tuent des « espèces protégées » et ne gagner en retour que « de la cigarette ou de l’alcool ». « Le Bagyeli est un homme simple, explique le lycéen. Il s’en fout de la richesse. Il aime vivre en accord avec la nature. Mais, même lorsque l’argent issu de l’exploitation forestière tombe, on ne nous donne qu’un peu de riz, de sel, d’huile. Nous perdons chaque jour la forêt qui est tout pour nous. »

Romarick veut devenir agent douanier pour payer la scolarité des autres et investir dans l’agriculture biologique et l’élevage. Autant d’activités qui apporteraient des revenus à sa communauté. « Il y a de plus en plus de populations autochtones investies dans l’agriculture. C’est une alternative durable, car la forêt est grignotée de toutes parts », souligne Jean-Jacques Menye, responsable des coopératives et des groupes d’initiative commune à la délégation départementale de l’agriculture et du développement rural d’Océan.

« Stratégie commune »

A Nomédjoh, depuis plus de deux décennies, Jean-Paul Gouffo, pasteur de la Communauté missionnaire chrétienne internationale, tente d’orienter les populations autochtones vers l’agriculture, l’apiculture ou la pisciculture. Avec un certain succès. Après une phase pilote, le bourg compte aujourd’hui ouvrir un collège agricole pour former les jeunes Baka. « L’éducation générale et surtout technique changera le destin de ce peuple des forêts marginalisé », espère l’homme d’église, à l’initiative de ce projet en partie financé par des mécènes, mais qui peine à boucler son budget pour terminer les travaux.

Car à Nomédjoh, comme dans d’autres villages et campements, la route vers le savoir est semée d’embûches : absence d’établissements primaires et secondaires accessibles, manque de moyens financiers, absence d’actes de naissance pour environ 69 % des enfants de moins de 5 ans (soit deux fois la moyenne nationale camerounaise), selon les chiffres du Navigateur autochtone, un ensemble d’outils permettant le suivi des peuples autochtones dans le monde.

« On enregistre de plus en plus de candidats au certificat d’étude primaire », précise Jean Ngally, chef du bureau des examens et concours à la délégation départementale de l’éducation de base d’Océan. Mais, beaucoup d’élèves n’iront pas au collège. Ceux qui y parviennent bénéficient généralement du soutien des ONG qui paient leurs frais de scolarité.

Au foyer Notre-Dame de la Forêt financé par des ONG et le mécénat, beaucoup de familles ne parviennent même pas à régler la somme « symbolique » de 5 000 francs CFA (8 euros) par an pour la vie à l’internat. Les moyens financiers du Fondaf ne suffisent pas non plus pour nourrir et réhabiliter les dortoirs.

« On veut juste les impliquer, leur faire prendre conscience de l’importance de l’école », explique Samuel Samba du Fondaf. « Sans adhésion parentale, il est difficile d’avoir une stratégie commune » pour l’éducation des jeunes Pygmées, regrette l’enseignant. Durant la saison de ramassage et de cueillette, les élèves baka, bagyeli ou bakoula désertent la classe durant plusieurs mois. « Quand ils reviennent, ils ont perdu beaucoup de notions. Et le cycle recommence », déplore Samuel Samba. Pour lui, Il faut penser et financer l’éducation autochtone en tenant compte des paramètres socioculturels. Un processus qui va nécessiter « au moins vingt ans », mais qui permettra l’émergence des leaders de demain. En espérant qu’il ne soit pas trop tard pour la forêt.

En 2020, le Cameroun a perdu plus de 100 000 hectares de forêts primaires humides au profit d’une agro-industrie intensive de palmiers à huile. C’est deux fois plus qu’en 2019. La communauté pygmée, qui représente environ 0,4 % de la population camerounaise, accuse un déficit d’éducation qui la rend très vulnérable face à d’énormes enjeux économiques. Notre reporteure Josiane Kouagheu est partie à la rencontre de ces Pygmées Baka, Bagyeli, Bedzang et Bakola pour comprendre comment ces peuples de la forêt s’organisent pour tenter d’inverser le processus de destruction en cours.

Source: journalducameroun

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