Le 12 avril, les Gabonais sont appelés aux urnes pour élire leur président, dix-neuf mois après la chute du président Ali Bongo, lors d’un coup d’État militaire. En France, qui compte la plus importante diaspora gabonaise, des militants font campagne, convaincus de contribuer à l’avènement d’une nouvelle ère politique.
Ces dernières semaines Ted Mvé est sur tous les fronts. Ce Gabonais de 42 ans, installé en France depuis 2010, mène campagne au sein de la diaspora pour son candidat à l’élection présidentielle au Gabon, le président de la transition, Brice Oligui Nguema.
« Je vais sur place, en amont, pour organiser les évènements puis, le moment venu, je joue le rôle de superviseur pour veiller à ce que les choses se passent bien », explique-t-il.
Marseille, Bordeaux et même Bruxelles, pour le lancement de la campagne le 29 mars, Ted Mvé multiplie les déplacements.
Le docteur en sciences humaines, basé dans la région Paca, officie au sein de la plateforme associative gabonaise Pensée patriotique, qui ambitionne d’offrir une « victoire éclatante à son champion », grâce aux électeurs du Gabon mais aussi à la diaspora, dont le vote est perçu comme crucial.
La chute de Bongo, « une renaissance »
Le Gabon s’apprête à vivre une élection historique. Le 12 avril, les citoyens tourneront officiellement la page du règne de la famille Bongo, après cinquante-six ans au pouvoir.
Ali Bongo, qui avait succédé à son père en 2009, a été renversé lors d’un coup d’État militaire le 30 août 2023, quelques jours après avoir été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle. Un événement qui a suscité une énorme vague d’espoir parmi les Gabonais, et dont Ted Mvé garde un souvenir ému. « Pour nous, c’était fini, nous étions repartis pour sept ans minimum. Et là, l’inimaginable s’est produit. Je ne peux pas vous décrire l’émotion que j’ai éprouvée, c’était comme une renaissance », se remémore-t-il.
Ted Mvé avait voté pour Albert Ondo Ossa, principal candidat d’opposition face à Ali Bongo lors de la présidentielle de 2023.
Ce dernier revendique toujours être le « président élu » du scrutin et accuse la junte d’avoir mené un « coup d’État institutionnel ». À l’inverse, Ted Mvé a soutenu pleinement la transition et dit avoir souhaité ardemment que Brice Oligui Nguema se présente.
« Je suis agacé par la prétention de la classe politique au Gabon, les actes montrent qu’ils ne sont pas à la hauteur », déplore-t-il. « J’espérais autre chose, un profil différent, même si je ne suis pas forcément favorable aux militaires ».
Une « rupture » en trompe-l’œil ?
Commandant de la Garde républicaine sous Ali Bongo, Brice Oligui Nguema a pris les rênes du pays, le 30 août, à la tête du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), promettant de rendre le pouvoir aux civils. Il s’est finalement porté candidat, après avoir renoncé temporairement à son statut militaire – il a obtenu une « mise en disponibilité » de l’armée, comme requis par le nouveau code électoral, adopté en janvier.
Accusé par ses opposants d’avoir trahi ses engagements pour se maintenir au pouvoir, Brice Oligui Nguema est également critiqué pour sa stratégie d’ouverture à l’endroit des anciens dignitaires du régime Bongo.
Certains ont été maintenus à leurs postes, comme le directeur du protocole François Epouta, ou se sont vu offrir de nouvelles fonctions, comme l’ex-secrétaire général d’Ali Bongo, Guy Rossatanga-Rignault, nommé secrétaire général de la présidence en 2023. Le soutien affiché du PDG (Parti démocratique gabonais), l’ancien parti au pouvoir, pour le président de transition, fait là encore grincer des dents.
Le sujet est particulièrement sensible au sein de la diaspora gabonaise, majoritairement hostile à l’ancien régime. En 2009 puis en 2016, elle s’était mobilisée en France pour dénoncer l’arrivée au pouvoir puis la réélection d’Ali Bongo, qualifiées de mascarades électorales.
De l’aveu même des soutiens de Brice Oligui Nguema, l’approche « inclusive » du président de transition suscite parfois des réticences dans l’Hexagone.
« C’est un sujet qui revient régulièrement dans nos rencontres avec la diaspora. Moi-même, j’ai d’abord été sceptique sur la décision de maintenir des membres de l’ancien régime. Je me suis posé beaucoup de questions et puis j’ai compris que Brice Oligui Nguema voulait éviter de briser le fonctionnement de l’État et opérer une transformation progressive », explique Damien Obame, qui a rejoint sur le tard les soutiens du président de transition.
« Dans la diaspora, certains ont fait une croix sur la politique. Ils perçoivent tous les politiciens gabonais comme des voleurs », déplore le gestionnaire comptable de 39 ans, basé en région parisienne.
L’opposition en campagne
D’autres espèrent faire barrage à la candidature de Brice Oligui Nguema, comme Victor Mefé. Fin 2024, ce Gabonais installé en France depuis vingt ans avait fait campagne contre la réforme constitutionnelle initiée par les autorités de transition.
Adopté à 91,8 % au Gabon lors du référendum du 16 novembre, ce texte renforçant les pouvoirs du président avait été rejeté à 51,35 % par la diaspora de France. Depuis, Victor Mefé a rejoint la campagne du principal opposant, Alain-Claude Bilie By Nze.
Dernier Premier ministre d’Ali Bongo, le candidat promet la « rupture » avec l’ancien régime par le biais notamment de mesures sociales et fustige la « dérive autoritaire » de la transition.
Son équipe de campagne a elle aussi organisé des rassemblements à travers la France, à Tours, Bordeaux ou bien encore Toulouse pour fédérer la diaspora autour de sa candidature.
Séduire la diaspora
La compétition pour rafler les votes des Gabonais de France peut paraître disproportionnée au regard de la taille de cette communauté, évaluée à 27 900 personnes, dont environ 15 600 détiennent la nationalité gabonaise et sont donc en capacité de voter, alors que le pays compte plus de deux millions d’habitants.
Pourtant, selon Victor Mefé, ils demeurent un baromètre crucial.
« Le PDG a toujours volé l’élection au niveau du Gabon. Mais il n’arrivait pas à la voler au sein de la diaspora et en particulier en France, c’est pourquoi l’opposition est arrivée si souvent en tête », affirme-t-il. « Le vote des gabonais de l’étranger est très scruté, notamment à l’international car perçu comme plus fiable et à ce titre représente un gros enjeu pour les candidats. »
Dans sa politique d’ouverture, Brice Oligui Nguema n’a pas oublié la diaspora pour qui il a organisé une grande rencontre, début juin à Paris, appelant les Gabonais de l’étranger à rentrer pour reconstruire le pays.
Les autorités de transition ont également créé un haut-commissariat de la diaspora et annoncé une représentation inédite des Gabonais de l’étranger à l’Assemblée nationale avec deux sièges.
Une réforme jugée insuffisamment ambitieuse par Alain-Claude Bilie By Nze, qui propose dans son programme de leur attribuer sept sièges, répartis entre l’Afrique, l’Europe, l’Amérique et l’Asie.
Mais pour les soutiens de Brice Oligui Nguema, ces réformes sont une preuve supplémentaire de son ouverture.
« On voit qu’il va continuer à consulter le peuple, ce sont des gages de respect qui nous rassurent », explique Ted Mvé. « Sous Bongo, je n’aurais jamais imaginé aller servir mon pays. Mais aujourd’hui tout a changé, je compte rentrer dans un futur proche, j’en ai déjà discuté avec ma femme », conclut-il enthousiaste.
france24