L’agence européenne de surveillance des frontières a indiqué mardi avoir ouvert une enquête concernant des allégations de « pushbacks » de migrants aux frontières grecques. Athènes est accusée depuis des années de pratiquer des refoulements illégaux dans la région de l’Evros ou en mer Égée, ce que les autorités ont toujours nié.
La Grèce est de nouveau pointée du doigt pour sa gestion de l’immigration à ses frontières. Mardi 8 avril, Frontex a annoncé avoir ouvert une enquête concernant des allégations de refoulement illégal de migrants aux frontières grecques.
Les investigations portent sur la période allant de 2023 à début 2025, a précisé l’agence européenne de surveillance des frontières. Douze incidents graves présumés, dont neuf survenus en 2024, sont ainsi examinés par le Bureau des droits fondamentaux de l’organisation.
« Chaque cas fait l’objet d’un examen approfondi », a déclaré mardi Chris Borowski, porte-parole de Frontex, ajoutant que l’agence avait récemment renforcé son mécanisme de plaine. « L’époque du soutien inconditionnel est révolue », a encore dit Borowski. « Frontex insiste désormais sur le respect des normes et attend des mesures correctives si nécessaire. »
Frontex prévient les États membres de l’UE, dont la Grèce, que le fait de ne pas signaler les violations des droits pourrait désormais entraîner la suspension du cofinancement des opérations aux frontières.
« Pratiques du passé »
L’agence européenne a, elle aussi, été plusieurs fois critiquée pour son rôle dans le contrôle de l’immigration aux frontières grecques. En octobre 2022, un rapport de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) se concentrait sur ses activités en Grèce du printemps à l’automne 2020. Il révélait que Frontex n’avait pas traité correctement des preuves de refoulements maritimes et terrestre, allant jusqu’à les dissimuler.
Or, ces « puschbacks » sont contraires au droit international et européen, puisqu’ils empêchent tout examen d’une demande de protection.
L’agence avait alors reconnu de « graves fautes de conduites » commises par les dirigeants de Frontex d’alors, et affirmait qu’il s’agissait de « pratiques du passé ». Le numéro un, Fabrice Leggeri, directeur général depuis 2015, avait démissionné fin avril 2022 face aux accusations relayées dans la presse.
Athènes n’a pas encore réagi à cette nouvelle enquête menée par Frontex.
Mais un responsable des gardes-côtes a défendu leurs opérations, affirmant à Reuters qu’ils agissaient « avec un sens aigu des responsabilités et dans le plein respect des vies humaines et des droits humains ».
Au cours de la décennie écoulée, la Grèce n’a jamais reconnu l’existence de ces refoulements et a toujours nié les pratiquer. Elle a rappelé à plusieurs reprises que depuis 2015, les gardes-côtes grecs ont secouru plus de 250 000 personnes en mer Égée.
Condamnation de la CEDH
Mais en janvier dernier, Athènes a été épinglée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans une affaire de « pushback ». Une première. La requérante, une Turque, avait été expulsée le jour-même de son arrivée en Grèce vers la Turquie – puis arrêtée et emprisonnée par les autorités turques. La CEDH a condamné la Grèce a lui verser 20 000 euros.
Lors du verdict, la Cour a accusé la Grèce de se livrer à des « refoulements systématiques » de demandeurs d’asile vers la Turquie. Dans son arrêt, « la Cour estime qu’elle dispose d’indices sérieux laissant présumer qu’il existait (en 2019) une pratique systématique de refoulements par les autorités grecques de ressortissants de pays tiers depuis la région d’Evros vers la Turquie ».
Depuis des années, des rédactions internationales – dont InfoMigrants – récoltent de nombreux témoignages d’exilés victimes de ces expulsions illégales en Grèce, qu’elles se déroulent dans la région de l’Evros ou en mer Égée.
En mai 2020, Samuel, un Africain avait filmé et raconté son refoulement.
« Nous avons quitté les côtes turques vers 4h du matin le 30 avril depuis la ville d’Izmir. Nous étions une quarantaine dans l’embarcation dont des femmes et des enfants. Nous n’étions qu’à une vingtaine de kilomètres de l’île de Lesbos. Mais nous avons été repérés par la marine grecque car un jeune enfant a fait de la lumière avec le téléphone de son père. Il faisait encore nuit. »
Et le jeune homme de continuer. « Les gardes-côtes sont alors montés sur de petits canots et sont venus à notre rencontre.
Ils nous ont demandé de leur donner notre bidon d’essence. Puis, ils nous ont lancés une corde. Nous pensions qu’ils nous dirigeaient vers Lesbos mais en fait ils nous ont emmenés en plein milieu de la mer. Ils nous ont laissés là et sont repartis. »
En 2021, InfoMigrants avait même rencontré un ex-policier grec aujourd’hui à la retraite qui a confirmé l’existence de « pushbacks » dans la rivière de l’Evros, entre la Turquie et la Grèce. « Les ‘pushbacks’ existent, j’ai moi-même renvoyé 2 000 personnes vers la Turquie », avait-il déclaré sous couvert d’anonymat.
En mai 2023, une vidéo accablante du New York Times montrait des gardes-côtes grecs remettre des migrants à l’eau, direction la Turquie.
Pire encore, selon une enquête de la BBC menée en juin 2024, en trois ans, 43 exilés sont morts en mer Égée après avoir été refoulés par les autorités grecques. Selon le média britannique, neuf d’entre eux ont été directement jetés à l’eau par les gardes-côtes, et se sont noyés.
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