Mayotte : le Parlement adopte définitivement le durcissement du droit du sol dans l’archipel français

Le Parlement français a définitivement adopté mardi un texte très contesté pour durcir les restrictions au droit du sol à Mayotte, archipel français de l’océan Indien dévasté par le cyclone Chido et en proie à une forte pression migratoire. Si la droite et l’extrême droite se réjouissent, la gauche est vent debout contre cette mesure, qui porte selon elle atteinte au principe d’égalité devant la loi. Ce nouveau texte renforce encore les mesures d’exception mises en place dans l’archipel ces dernières années.

Nouvelle mesure d’exception propre à Mayotte, ce petit territoire français situé dans l’océan Indien. Le texte visant à durcir les restrictions au droit du sol dans le 101e département français a été définitivement adopté, mardi 8 avril, par le Parlement.

Adopté au Sénat (chambre haute) jeudi 3 avril, le projet de loi porté par la droite a passé sans difficulté son dernier obstacle à la chambre basse, avec des voix de la coalition gouvernementale et des députés d’extrême droite.

« Les causes des migrations sont multiples, mais les perspectives d’accès à la nationalité française constituent un facteur indéniable d’attraction pour l’immigration irrégulière » à Mayotte, a justifié le député Les Républicains (LR) Philippe Gosselin, auteur du texte, tout en estimant qu’il ne serait pas « suffisant ».

La proposition de loi renforce une dérogation spécifique au droit du sol qui existe à Mayotte depuis 2018.

Avant ce texte les enfants nés dans l’archipel devaient avoir un parent résidant régulièrement sur le sol français depuis au moins trois mois au moment de leur naissance, pour obtenir plus tard la nationalité française. Avec ce texte, les deux parents devront résider régulièrement en France depuis au moins un an. Une exception a été aménagée pour les familles monoparentales.

Sur le reste du territoire français, la nationalité est attribuée de façon systématique à tout enfant né en France dont au moins l’un des parents, étranger, est également né en France. Pour les enfants nés en France de parents étrangers nés dans un autre pays, la règle diffère : ils peuvent obtenir la nationalité française à leur majorité, mais sous la condition d’avoir résider au moins cinq ans en France – de manière continue ou discontinue – depuis l’âge de leur 11 ans.

« Laboratoire des idées de l’extrême droite »
Ce nouveau texte ravit l’extrême droite, qui espère désormais aller plus loin. La présidente du groupe Rassemblement national (extrême droite), Marine Le Pen, a estimé que l’impact de la mesure sera « minime » dans l’archipel, en proposant de supprimer le droit du sol « sur l’ensemble du territoire » français. Une vieille marotte de l’extrême droite.

À gauche en revanche, on est vent debout contre cette proposition qui ne réglera, selon elle, rien à la surpopulation liée à l’immigration en provenance des Comores, tout en portant atteinte au principe d’égalité devant la loi. Elle a déjà promis de saisir le Conseil constitutionnel (qui contrôle la conformité des lois) en espérant la voir censurée.

« Mayotte est en passe de devenir le laboratoire des idées de l’extrême droite », a déploré Dominique Voynet (écologiste), affirmant que le texte « présage de la fin du droit du sol en France ».

Vue aérienne des bidonvilles de la ville de Kahani, dans le centre de Mayotte, après le passage du cyclone le 19 décembre 2024. Crédit : Reuters

Les chercheurs craignent, eux aussi, que cette nouvelle réforme ne produise que très peu d’effets sur l’immigration à Mayotte.

En 2018, « on a déjà eu une réduction de l’accès à la nationalité française, mais on n’a pas vu une réduction du nombre d’arrivées irrégulières à Mayotte », signale Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’université Lyon 3 et membre de l’Institut Convergences Migrations, jointe par RFI.

La loi de 2018 n’a pas non plus provoqué une chute des naissances de parents étrangers dans l’archipel.

« Ce nombre a même augmenté. En 2022 à Mayotte, il y a eu une augmentation de 14 % des naissances de parents étrangers par rapport à 2018. Ce qui suggère que les facteurs qui déterminent la migration ne sont pas liés au droit du sol », explique Jules Gazeaud, chercheur au CNRS à Clermont-Ferrand.

Mayotte, un territoire d’exception
Le texte a été élaboré avant le passage du cyclone Chido qui a ravagé le 14 décembre le département le plus pauvre de France, faisant au moins 40 morts et exacerbant les maux dont souffrait déjà l’archipel: pauvreté, habitat indigne, manque d’écoles et d’hôpitaux, etc.

Mais le cyclone a également ravivé la sensible question migratoire et les demandes appuyées des élus locaux.

Environ 320 000 personnes s’entassent sur ce territoire d’un peu plus de 300 km2, dont près de la moitié sont des étrangers. Selon une enquête menée en 2016, environ « la moitié des étrangers » étaient alors « en situation irrégulière ».

Une opération de démolition de bidonvilles dans le quartier de Carobolé, à Koungou, en septembre 2021. Crédit : préfecture de Mayotte

Dans ce contexte, Mayotte est soumis à un régime d’exception en matière du droit des étrangers : asile accéléré (dépôt des dossiers et traitement des demandes), titre de séjour particulier pour les étrangers qui ne leur permet pas de sortir du département, des aides sociales pour les demandeurs d’asile plus limitées qu’en métropole, absence de l’Aide médicale d’État…

Sur ce dernier sujet, une proposition de loi pour étendre ce dispositif à Mayotte sera étudiée le 15 mai prochain dans le cadre de la journée dédiée aux textes du groupe indépendant Liot.

« Mayotte est aujourd’hui le seul département français » où l’AME, dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins sans avance de frais, « ne s’applique pas », explique l’exposé des motifs du texte, porté par la députée de Mayotte Estelle Youssouffa. Et ce, « alors même qu’il s’agit du territoire qui compte la plus forte proportion d’étrangers en situation irrégulière », poursuit-il.

En l’absence d’AME, ceux-ci « se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM) », ce qui « contribue à l’engorgement du seul service hospitalier de l’île », ajoute le texte, qui sera examiné en première lecture. La prise en charge tardive des pathologies entraîne également « un surcoût significatif pour l’ensemble du système », selon la proposition.

Ce texte risque de susciter à nouveau de vifs débats dans l’hémicycle, la droite et l’extrême droite souhaitant réduire fortement, voire supprimer l’AME sur l’ensemble du territoire français depuis des années.

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