Alors que la politique migratoire de nombreux pays européens ne cesse de se durcir, l’Espagne a opté pour une politique plus ouverte. Un discours qui incite de plus en plus de migrants à retourner dans ce pays du sud – qu’ils avaient quitté après leur arrivée aux Canaries. Pour autant, y obtenir l’asile ou un titre de séjour reste, pour la plupart, long et difficile.
Quand il le peut, Alpha se rend devant la mairie d’Irùn, au Pays basque espagnol, pour épauler les bénévoles de l’association Irungo Harrera Sarea qui tiennent là un stand d’informations pour les migrants en transit. L’occasion de saluer ceux qui, il y a plus d’un an, l’ont conseillé alors qu’il était sur la route vers Paris.
Arrivé le 8 octobre 2023 aux Canaries après une traversée d’une semaine dans une pirogue, le jeune homme de 22 ans est passé par Malaga, dans le sud de l’Espagne, avant de remonter jusqu’à Irùn, direction la France. « Je suis arrivé avec un ami. On a pris un bus vers la France mais on s’est fait arrêter. La police nous a renvoyés en Espagne puis on a retenté et on a finalement réussi à passer la frontière à pied », raconte-t-il à InfoMigrants.
C’est à Hendaye, en France, qu’il croise la route d’un bénévole qui l’accompagne jusqu’à Pausa, le centre d’accueil de la ville de Bayonne et lui parle de la politique d’intégration de l’Espagne. Ainsi, après quelques jours, le Guinéen décide de rebrousser chemin et de tenter sa chance en Espagne car il a peur de vivre à la rue, lui qui est malade de la thyroïde.
Après avoir été hébergé ici et là par des bénévoles, il finit par rentrer dans le programme du centre espagnol pour les réfugiés (CEAR) suit une formation de cuisinier dispensée par une association espagnole avant d’obtenir son permis de résidence en mars 2025. « Maintenant, j’ai un logement, un travail et j’ai été soigné », nous raconte-t-il, « ravi de ce qu’il possède ».
« Phénomène nouveau »
Comme lui, sur les milliers de migrants qui quittent l’Espagne en direction d’autres pays européens après leur arrivée aux Canaries, « de plus en plus décident de revenir », explique Oihana, bénévole basque, qui évoque un « phénomène nouveau ». « On a fait part de la situation au gouvernement provincial pour que ça remonte au niveau national », ajoute-t-elle.
Car cette situation « crée des problèmes de logement », commente Alpha.
Exceptionnellement, les migrants qui demandent l’asile peuvent rester 10 jours au refuge de la Croix-Rouge, contrairement aux trois accordés aux migrants en transit. Mais pour autant, ces dernières semaines, un groupe de huit demandeurs d’asile maliens a été découvert dans la rue à quelques dizaines de mètres de la Croix-Rouge. Car malgré les messages d’ouverture des autorités et les réformes engagées, la procédure reste longue.
Devant la Croix-Rouge d’Irùn, Seydou* fume une cigarette avec deux autres exilés.
Il est revenu en Espagne après plus d’un an de « survie » en France, enchainant petits boulots et nuits sur les trottoirs de la capitale. Il espère maintenant obtenir l’asile en Espagne.
Mais pour cela, encore faut-il pouvoir déposer une demande.
Au Pays basque, la procédure débute par un appel téléphonique qu’il est possible de passer uniquement le lundi de 16h à 19h. « Mais comme tout le monde appelle en même temps sur ce créneau, très peu obtiennent de réponses », commente Alpha. « Ça peut durer plusieurs mois avant même d’avoir une réponse à ce coup de téléphone », ajoute Oihana, une bénévole de l’association, devant Seydou, inquiet. « On appelle, on appelle mais ça ne répond pas. Sauf qu’il ne me reste que 7 jours à la Croix-Rouge », appréhende le Malien.
« Les difficultés d’accès à la procédure, c’est le tout premier problème que rencontrent les demandeurs d’asile en arrivant ici, confirmait à InfoMigrants Mauricio Valiente, directeur de la CEAR, une ONG basée à Madrid. L’administration, bureaux d’asile comme la police, est saturée. Résultats, les exilés sont ballotés de bureaux en bureaux, de régions en régions. Certains mettent parfois un an avant de déposer seulement leur dossier ».
Depuis le début de l’année 2025, le pays a déjà reçu plus de 26 400 demandes d’asile, en majorité de ressortissants vénézuéliens, colombiens et maliens. En 2024, le bureau de l’asile a enregistré au total 167 366 demandes contre 163 000 en 2023, années record.
Et avec 12% de taux de protection internationale en 2023, l’Espagne est dernière du classement européen. En 2024, le chiffre a légèrement augmenté à 18,5% mais reste bien loin de la moyenne européenne (42%), d’après un rapport de la CEAR. Toutefois, pour les migrants originaires de certains pays comme le Mali, le Soudan ou encore la Somalie, les taux d’acceptation dépassent les 90%.
« Renforcer l’immigration de travail »
Et les déboutés du droit d’asile peuvent saisir une dernière chance : obtenir un titre de séjour connu sous le nom d' »arraigos », réservé aux les personnes pouvant justifier d’au moins deux ans de présence dans le pays. Une manière de « renforcer l’immigration de travail », pour « faire diminuer les demandes d’asile”, selon Mauricio Valiente. Au 31 décembre 2023, 210 334 personnes disposaient d’un titre de séjour de ce type, soit 85 000 de plus qu’en 2022.
“Cette nouvelle politique attire des migrants”, soutien Alpha, régulièrement en contact avec les nouveaux arrivants à Irùn.
« Mais pour autant, ca reste dur. Même après une longue procédure d’asile, le compteur est remis à zéro et les migrants doivent donc attendre deux ans en situation irrégulière avant de prétendre à l’arraigo », explique Iniaki, un bénévole basque. Devant la mairie d’Irùn où il a accueilli Alpha lors de son retour en Espagne, il explique d’ailleurs aux migrants fraichement arrivés « qu’il ne faut pas croire que ce sera facile ici ». « Même si le climat actuel est moins rude qu’en France pour les migrants actuellement, l’Espagne, c’est dur. L’Europe est dure », explique-t-il.
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