Si on associe souvent le risque cardiovasculaire aux hommes, les femmes survivent pourtant moins qu’eux à un arrêt cardiaque. Guillaume Bailly, cardiologue, revient sur les symptômes typiquement féminins d’un infarctus et rappelle l’importance du dépistage des maladies cardiovasculaires, première cause de décès chez les femmes en France.
Guillaume Bailly est cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et ambassadeur d’Agir pour le Cœur des Femmes, dont la mission est de sensibiliser les femmes au risque de maladies cardiaques et d’inciter au dépistage et à la prévention.
Pourquoi Docteur : Les maladies cardiovasculaires sont devenues la première cause de mortalité chez les femmes. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Dr Guillaume Bailly : En tant que jeunes médecins, nous avons beaucoup été formés sur le profil-type des patients souffrant de maladies cardiovasculaires, avec des facteurs de risque bien définis : un homme, bedonnant, quinquagénaire. Les femmes étaient considérées comme moins à risque – ou du moins on n’y prêtait moins attention. Mais les études ont fini par parler d’elles-mêmes : on sait maintenant que les maladies cardiovasculaires sont aujourd’hui la première cause de mortalité chez les femmes en France : on estime qu’une femme décède de cause cardiovasculaire toutes les 7 minutes, soit environ 200 par jour. A titre de comparaison, deux femmes meurent chaque jour dans un accident de la route, et trois d’un cancer du sein.
90 % des femmes ont au moins deux facteurs de risque cardiovasculaire, et près d’une sur deux cumulent facteur de risque cardio et facteur de risque gynécologique
Nous sommes de plus en plus sensibilisés à l’ampleur des maladies cardiovasculaires chez les femmes, que ce soit les professionnels de santé mais aussi les patientes elles-mêmes, dans le sens où elles sont la cible de mesures de prévention pour se faire dépister. L’idée est d’amener la prévention directement auprès des concernées, à travers notamment le Bus du cœur des femmes [initiative lancée par la fondation Agir pour le cœur des femmes] qui fait plusieurs étapes dans toute la France.
L’objectif est de faire de la prévention pignon sur rue, sachant que les femmes ont plus de difficultés à prendre soin d’elles-mêmes.
Les études montrent que 37 % n’ont pas de suivi gynécologique, 80 % de suivi cardiologique. Et pour autant, selon les 8.000 premiers dossiers médicaux établis dans le cadre du Bus des femmes, 90 % d’entre elles ont au moins deux facteurs de risque cardiovasculaire, et près d’une sur deux cumulent facteur de risque cardio et facteur de risque gynécologique. Ce qui montre bien que c’est une population qui nous échappe, ou du moins nous échappait.
Pourquoi les maladies cardiovasculaires augmentent-elles plus chez les femmes que chez les hommes en ce moment ?
Premièrement, on y prête davantage attention, donc on en retrouve plus. Deuxièmement, il y a probablement certains rattrapages d’habitudes de vie de la part des femmes. On pense notamment à l’alcool, au stress ou au tabagisme : c’était autrefois très masculin, mais aujourd’hui ce sont les femmes qui fument le plus. Par ailleurs, selon les études, 81 % d’entre elles font passer la santé de leurs proches avant la leur, ce qui n’aide pas au dépistage et à la prise de conscience. Il y a enfin le manque de temps pour aller consulter. En amenant le dépistage directement à elles, on se rend compte du diagnostic et c’est alarmant. Plus de mauvaises habitudes, moins de prévention, moins de dépistage, peuvent mener à ces chiffres.
Selon l’Assurance Maladie, les femmes survivent moins à un arrêt cardiaque car elles ont aussi moins de chances de bénéficier d’un massage cardiaque d’un témoin, les gens ayant peur de toucher la poitrine d’une femme…
J’ai vu passer cette recherche… Dans un contexte plus global, il faut prendre en compte qu’en France fait partie des populations les moins bien formées aux gestes de premiers secours par rapport aux Etats-Unis ou aux pays du nord de l’Europe : on ne nous les enseigne pas vraiment, hormis pendant la JAPD mais c’est très succinct. Prendre en charge un arrêt cardiaque est donc assez peu naturel pour beaucoup de gens, et il y a en plus cette crainte de prendre en charge une femme.
Mais c’est injustifié : l’enjeu est de sauver une vie.
Des douleurs au niveau abdominal peuvent être annonciatrices d’un infarctus, tant chez les hommes que les femmes. Mais il y a plus de facteurs confondants, d’ordre gynécologique, chez les femmes
En quoi les signes annonciateurs des maladies cardiovasculaires peuvent-ils être différents chez un homme et chez une femme ?
Concernant par exemple l’infarctus, plus communément appelé crise cardiaque, il y a des signes typiques et atypiques. Chez les hommes, la symptomatologie est assez typique (pour la simple et bonne raison qu’à l’origine la maladie a été décrite principalement chez des hommes) : c’est une douleur thoracique, qui sert en étau au niveau du thorax et qui irradie dans le dos, la mâchoire, le bras gauche. C’est ce qu’on apprend en médecine. Mais tout le challenge diagnostique de ces maladies-là – y compris chez les hommes – est de repérer les patients avec des symptômes atypiques.
Or les études scientifiques montrent que les manifestations atypiques sont plus présentes chez les femmes, ce qui rend leur diagnostic plus compliqué.
En cas d’infarctus, on dit que le temps, c’est du muscle : il faut agir le plus précocement possible car plus on attend, plus le muscle cardiaque tend à s’abîmer, à se nécroser. C’est donc une question de secondes, de minutes, pendant lesquelles il faut être particulièrement alerte.
Les symptômes sont souvent limités à une douleur irradiée dans le bras ou le dos, mais il y a parfois des patients qui ont des douleurs au niveau abdominal.
Or, c’est plus rare mais celles-ci peuvent tout à fait être annonciatrices d’un infarctus, tant chez les hommes que chez les femmes. Mais il y a davantage de facteurs confondants, d’ordre gynécologique, chez les femmes, avec des diagnostics différentiels qui peuvent nous égarer. En effet, il y a plusieurs symptômes d’infarctus chez une femme qui, de prime abord, ne font pas penser à un infarctus : étourdissement soudain, brûlures d’estomac, nausées, sueurs froides, fatigue inhabituelle… Alors qu’avec une douleur thoracique ou un picotement dans le bras, on pense tout de suite à une crise cardiaque.
Il y a donc urgence à mieux former les professionnels de santé, mais aussi les patientes elles-mêmes, à reconnaître cette symptomatologie atypique.
[Il faut] un contrôle cardio-gynécologique, notamment aux trois âges clés de la vie hormonale d’une femme : quand elle commence sa contraception, au cours de sa grossesse et dans la préménopause/ménopause
Quel rôle jouent les particularités physiologiques des femmes dans le risque de maladies cardiovasculaires ?
Les hormones sexuelles, les bouleversements hormonaux chez les femmes peuvent jouer sur les différences de risque. D’où l’importance, pour une prévention efficace, d’un contrôle cardio-gynécologique, notamment aux trois âges clés de la vie hormonale d’une femme : quand elle commence sa contraception, au cours de sa grossesse et dans la préménopause/ménopause. Contrairement aux hormones mâles, les fluctuations d’hormones féminines peuvent favoriser la formation de caillots de sang et donc des embolies pulmonaires, par exemple. C’est notamment le cas avec certains traitements contre le cancer du sein (dont le but est d’inhiber la synthèse d’œstrogènes car la tumeur va se nourrir d’œstrogènes pour grossir) ou, à l’inverse, avec l’imprégnation de la pilule œstroprogestative.
Il y a un vrai continuum entre œstrogènes, progestérone et formation de caillots.
Pour résumer, il existe des facteurs inhérents à la femme, tant sur le plan hormonal/gynécologique que cardiologique, qui font que, in fine, on a plus de chances de boucher son artère coronaire quand on est une femme. D’où l’initiative du Bus du cœur des femmes qui propose un dépistage en dix étapes : prise de tension, prise de sang (glycémie et cholestérol, facteurs de risque cardiovasculaire), mesure du poids, du périmètre abdominal, électrocardiogramme, écho-doppler artériel, entretiens gynécologiques… L’idée à terme est de tester l’efficacité du dépistage, de changer les mentalités, de produire des éléments concrets, factuels.
Une femme meurt toutes les 7 minutes… Comment inverser la tendance ?
Il y a bien sûr le mode de vie, à travers une activité physique régulière, une alimentation saine, un bon sommeil, la gestion du stress… Mais il ne faut pas non plus entrer dans une vie monastique et se couper de petits plaisirs. Il y a surtout des habitudes de vie à développer : ne pas fumer, se surveiller régulièrement, devenir un acteur de sa propre santé, passer d’un rôle passif à actif. Les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers…) doivent aussi participer à cet objectif de prévention, à travers leur interrogatoire pendant la consultation.
Mais il revient surtout aux pouvoirs publics d’imaginer, à travers des mesures de santé, comment déployer ce système de prévention.
Il n’y a pas de pilule magique qui permet de ne pas faire d’événement cardiovasculaire. Le dépistage est donc crucial. L’hypertension artérielle, on peut en avoir toute sa vie sans s’en rendre compte : pour le patient, ce ne sont que des chiffres aperçus en consultation qui ne l’alarmeront pas, parce qu’ils ne seront pas rattachés à quelconque symptôme. Pourtant, à long terme l’hypertension peut abîmer les vaisseaux, entraîner des accidents vasculaires cérébraux, des maladies cardiaques. Il est donc primordial d’avoir un suivi régulier et, dans le cas où l’hypertension est déclarée, de prendre des médicaments.
Se dépister soi-même est-il efficace ?
Se dépister soi-même, en mesurant sa tension artérielle chez soi, avec un tensiomètre, à partir de 40-50 ans, c’est un début. C’est d’ailleurs souvent plus fiable que dans un cabinet médical, car on se débarrasse de l’effet blouse blanche, un stress qui peut mener à de mauvais diagnostics. Les automesures sont vraiment efficaces et j’insiste auprès de mes patients : il est crucial de s’approprier ce type de contrôle et de les dispatcher autour de soi, à son conjoint, à ses enfants…
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