La stabilité apparente des taux directeurs de la BCEAO masque une réalité bien plus préoccupante : un resserrement monétaire non déclaré dans la zone UEMOA et une rareté accrue de la liquidité qui frappe tout le système. Nous proposons une analyse en profondeur des mécanismes de cette crise bancaire latente, de ses manifestations concrètes sur le tissu économique et de ses implications pour l’économie sous-régionale.
À l’analyse, il est clair que le contexte macroéconomique pourrait sembler encourageant pour la BCEAO en ce premier trimestre (T1 2025), avec une normalisation progressive de l’environnement économique régional, caractérisé par :
Le triplement des montants proposés par les banques (de 2 617 à 8 200 milliards FCFA) est un indicateur pertinent de la tension.
Cette situation paradoxale semble révéler la stratégie discrète de la BCEAO : contrôler la pression monétaire sans modifier officiellement ses instruments traditionnels, laissant les mécanismes de marché établir de nouvelles références. Un resserrement silencieux mais efficace, qui redéfinit fondamentalement le coût de l’argent dans l’Union.
L’évolution des taux depuis 2023 illustre clairement le durcissement monétaire en cours.
Ce phénomène s’accompagne d’une pression similaire sur le marché interbancaire, où les taux ont connu une trajectoire ascendante tout aussi marquée. La moyenne est passée de 5,1 % en 2023 à 6,1 % en 2024, avant de s’établir à 6,12 % en février 2025.
Bien que les réserves de change aient progressé ces derniers mois, cette évolution reste fragile.
2. Les banques thésaurisent par anticipation
Face à ce resserrement implicite, les établissements bancaires de l’UEMOA ont adopté un comportement défensif marqué par une surréservation massive de liquidités. Cette thésaurisation prudentielle traduit ainsi une anticipation d’un accès plus difficile à la ressource, et potentiellement de chocs imprévus dans un contexte d’incertitude extrême.
Cette tendance à la surréservation des liquidités au niveau des banques pourrait également répondre à une exigence structurelle.
Malgré ce contexte de liquidité contrainte, les banques maintiennent une activité de crédit, mais à un rythme modéré qui reflète leur prudence accrue. Le volume de crédit au secteur privé n’a progressé que de 6,3 % sur un an à fin décembre 2024, une dynamique à peine en phase avec le rythme de croissance de l’économie régionale (6,2 %).
Parallèlement, les taux débiteurs moyens appliqués par les banques ont légèrement reculé pour s’établir à 6,79 % en février, un phénomène révélateur d’un arbitrage stratégique : dans un environnement où la liquidité devient plus chère à obtenir, les établissements préfèrent accepter une contraction de leurs marges plutôt que d’élargir leur exposition au risque.
Cette compression des marges bancaires constitue un signal préoccupant. Elle indique que les banques privilégient la préservation de la qualité de leur portefeuille au détriment de la rentabilité immédiate.
L’impact à moyen terme de cette évolution pourrait s’avérer problématique pour le financement de l’économie régionale, particulièrement dans les secteurs à forte intensité capitalistique, notamment les infrastructures, qui nécessitent des financements importants et de longue durée. La prudence bancaire, si elle persiste, risque de devenir un facteur limitant pour les ambitions de développement économique de la région. Un accès à la géographie des souscripteurs du dernier Appel Public à l’Épargne (APE) du Sénégal pourrait permettre de confirmer cette prudence ou non.
4. La fragmentation du Marché des Titres Publics (MTP)
La tension monétaire silencieuse qui traverse l’UEMOA se manifeste également sur le Marché des Titres Publics, où l’on observe une fragmentation croissante entre les États membres de l’Union.
Plus inquiétant, le Burkina Faso et le Niger présentent des courbes inversées, où les taux courts excèdent les taux longs.
Par ailleurs, il convient de noter le spread persistant dans l’UEMOA.
Ces différentiels témoignent d’une reconstitution significative des primes de risque entre pays membres, phénomène qui contredit l’objectif d’un marché régional intégré, d’où une certaine accentuation de cette fragmentation de l’UEMOA. Ceci reste une sérieuse épine sur le chemin d’une monnaie unique, l’ECO, véritable arlésienne. Du reste, un des critères de convergence de premier rang de cette convergence voulue prônait un plafond Dette/PIB de 70 %, que la seconde locomotive de l’UEMOA, en l’occurrence le Sénégal, a allègrement franchi (99,67 % selon les derniers chiffres de l’audit des finances publiques par la Cour des comptes).
En définitive, la crise bancaire qui couve dans l’UEMOA résulte d’une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels qui, ensemble, créent un environnement particulièrement contraignant pour le système financier régional. On en a identifié quatre.
Premièrement, les réformes prudentielles relatives au doublement du capital minimum requis (de 10 à 20 milliards FCFA) imposent aux banques un effort considérable de renforcement de leurs fonds propres jusqu’en 2027, accentuant la rétention de liquidité. Bâle II/III semble passer par là !
Deuxièmement, le contexte international incertain, caractérisé par les tensions géopolitiques persistantes, l’instabilité climatique et les risques de hausse des prix alimentaires importés, incite la BCEAO à maintenir une position défensive, privilégiant la stabilité monétaire à court terme.
Troisièmement, les fortes disparités économiques régionales, notamment les écarts de performance économique entre pays membres de l’UEMOA, s’accentuent, créant une fragmentation du marché financier régional et une différenciation croissante des primes de risque.
Enfin, quatrièmement, une transition du modèle de politique monétaire de la BCEAO est en cours d’implémentation. Progressivement, l’on note un changement de paradigme vers un pilotage par les mécanismes de marché plutôt que par les instruments directs traditionnels, entraînant des ajustements complexes pour les acteurs du système bancaire.
Cette configuration atypique crée un environnement paradoxal où, malgré des indicateurs macroéconomiques globalement favorables à l’échelle régionale (inflation maîtrisée, croissance robuste, amélioration des termes de l’échange), le système bancaire subit une pression croissante. La politique monétaire, officiellement accommodante mais implicitement restrictive, génère des distorsions qui se propagent à travers tout l’écosystème financier.
Au demeurant, l’impact de ces tensions est amplifié par des facteurs spécifiques à certains pays, notamment les situations sécuritaires au Sahel qui affectent le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Ces contextes particuliers renforcent l’aversion au risque des investisseurs et conduisent à une prime supplémentaire sur les émissions souveraines de ces États, accentuant encore les écarts au sein de l’Union.
La transition vers un nouveau paradigme de politique monétaire, où les mécanismes de marché jouent un rôle prépondérant dans l’allocation des ressources, représente un défi majeur pour un système financier régional encore en développement dans notre zone monétaire. Cette évolution nécessite des ajustements importants pour tous les acteurs et pourrait, à terme, transformer profondément l’architecture financière de l’UEMOA.
À court terme, il apparaît essentiel que la BCEAO clarifie sa stratégie et adopte une communication plus transparente sur la réalité de sa politique monétaire. Le décalage entre le discours officiel et les conditions effectives du marché crée des incertitudes préjudiciables à l’efficacité globale du système financier. Une formalisation des nouvelles orientations permettrait aux acteurs de mieux anticiper et s’adapter.
Pour les établissements bancaires, l’adaptation au nouveau paradigme implique une révision de leurs modèles d’affaires.
Face à une liquidité plus coûteuse et à des exigences prudentielles renforcées, les banques devront optimiser leur gestion actif-passif, développer des sources alternatives de financement et potentiellement se spécialiser davantage pour maintenir leur rentabilité.
Les États membres, confrontés à des conditions de financement plus sélectives, doivent renforcer la crédibilité de leurs politiques budgétaires et accélérer les réformes structurelles susceptibles d’améliorer leur notation implicite sur le marché régional. L’écartement des primes de risque observé récemment pourrait s’accentuer en l’absence d’efforts significatifs dans ce domaine.
À plus long terme, le développement de marchés financiers régionaux plus profonds et diversifiés constitue un enjeu stratégique majeur. L’élargissement de la base d’investisseurs, l’introduction de nouveaux instruments financiers et l’amélioration de la liquidité des marchés secondaires contribueraient à atténuer les tensions actuelles et à renforcer la résilience du système financier de l’UEMOA face aux chocs futurs.
En définitive, la crise bancaire latente dans l’UEMOA représente un défi systémique qui nécessite une approche coordonnée entre autorités monétaires, régulateurs, établissements financiers et États. Sa résolution dépend de notre capacité à financer durablement sa croissance et à progresser vers une intégration économique et financière plus approfondie.
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