Démantèlement de camps en Tunisie : « Les pays européens doivent financièrement aider au retour des migrants dans leur pays »

InfoMigrants : Quel était le but des évacuations des campements de migrants dans les oliveraies de Sfax ?

Tarak Mahdi : Le démantèlement des campements a été décidé à la suite de nombreuses plaintes déposées par des propriétaires des terres occupées par des migrants. Ces plaintes concernent des vols dans les maisons et des vols de matériel agricole, des violences, des vols à main armée, et même des viols.

La présence des migrants dans les oliveraies a aussi causé des dommages importants aux oliviers. Les propriétaires ont eu du mal à accéder à leurs terres pour effectuer des travaux agricoles ou arroser leurs arbres.

Par ailleurs, des gangs ont commencé à se former dans ces camps.

Ils attaquent les passants pour leur voler leur téléphone et leur argent en les menaçant avec des machettes et des couteaux.

Selon les autorités tunisiennes, quelque 20 000 exilés vivaient dans les campements informels dans les oliveraies de Sfax avant les évacuations. Ces camps ont commencé à se former après que les migrants ont été chassés du centre-ville de Sfax durant l’été 2023.

Seule une petite partie des oliveraies a été évacuée, par rapport au nombre de terrains occupés par les migrants africains.

Il y a plus de 20 camps entre Jebeniana et El Amra. Les propriétaires ont commencé à labourer les terres qu’ils ont récupérées. Ils ont aussi ramassé ce qu’ils pouvaient des arbres qui n’avaient pas été brûlés ou déracinés par les migrants.

Les migrants cassaient les branches d’arbres notamment pour avoir du bois et se chauffer. Depuis deux ans, InfoMigrants documente la vie dans ces campements grâce à de nombreux témoignages de migrants et d’associatifs. Les habitants y manquent de tout, la situation humanitaire y est extrêmement alarmante. Le manque d’eau potable et de nourriture, les maladies ont déjà provoqué des morts parmi la population migrante.

IM : Que sont devenus les exilés évacués des campements des oliveraies ? Est-ce qu’une solution d’hébergement a été prévue ?

TM : Parmi les migrants expulsés, plusieurs centaines ont demandé le « retour volontaire ». Des bus les ont conduits dans des hébergements temporaires [dans l’attente de leur départ, ndlr].

Il faut maintenant que les organisations responsables fassent leur travail dans les plus brefs délais et que les pays de l’Union européenne (UE) contribuent au financement du retour des personnes dans leurs pays. Cela nécessite plus que les 20 millions d’euros répartis entre trois pays maghrébins.

L’Italie a annoncé, début avril, le versement d’une allocation de 20 millions d’euros pour financer le « retour volontaire » vers les pays d’origine des migrants en situation irrégulière présents en Tunisie, en Libye et en Algérie. Cette somme s’ajoute aux montants prévus dans l’accord signé en juillet 2023 entre l’Union européenne et la Tunisie : 150 millions d’euros « pour favoriser la relance de l’économie à travers l’amélioration de la gestion des finances publiques et du climat des affaires et investissements », ainsi que 105 millions d’euros pour lutter contre l’immigration irrégulière.

Les milliers de migrants restants se sont répartis dans les autres camps.

Les membres de la Chambre des représentants du peuple [Assemblée, ndlr] ont proposé qu’ils soient regroupés dans des camps loin des villes et des villages, et qu’ils soient placés sous la protection de la sécurité tunisienne jusqu’à ce qu’ils retournent dans leurs pays.

Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) confirme à InfoMigrants que seules les personnes dont le dossier de « retour volontaire » était prêt ont été emmenées vers des centres d’hébergement de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Les autres se sont dispersés ou ont rejoint d’autres campements. « Des personnes qui ont manifesté contre ces expulsions ont aussi été envoyées en prison », affirme l’association à InfoMigrants.

Fin mars, le président tunisien Kaïs Saïed a appelé l’OIM à intensifier ses efforts pour assurer les « retours volontaires » des personnes subsahariennes en situation irrégulière vers leurs pays d’origine.

Près de 1 500 exilés ont été rapatriés depuis le début de l’année, selon la présidence tunisienne. En 2024, 7 250 migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont bénéficié de ce programme, contre un peu plus de 2 250 en 2023. Face au climat anti-migrants en Tunisie, de plus en plus d’exilés souhaitent en bénéficier. Mais les rapatriements dépendent de la reconnaissance des personnes par leur pays d’origine et les démarches peuvent être longues.

Ces prises en charge doivent être payés par l’Union européenne (UE) et les Nations unies.

Nous ne pouvons supporter les coûts de leur protection, de leur hébergement et de toutes leurs fournitures nécessaires à leur quotidien. Les sommes fournies à la Tunisie ne couvrent même pas le coût des unités de sécurité qui protègent les migrants et les citoyens tunisiens.

IM : Des migrants nous ont affirmé que des personnes avaient été envoyées en bus dans des zones désertiques aux frontières de la Tunisie lors de ces évacuations. Confirmez-vous ces informations ?

TM : Non, il n’y a pas de bus qui ont emmené les migrants dans le désert dans les zones frontalières.

Depuis l’été 2023, de nombreux migrants contactés par infoMigrants accusent les autorités tunisiennes de les rafler dans les villes tunisiennes et de les expulser dans le désert à la frontière libyenne ou algérienne. L’ONU et de nombreuses ONG ont dénoncé la situation. En vain. Ces abandons dans le désert ont toujours cours, selon les exilés.

IM : Dans des groupes de discussions Whatsapp entre exilés, des personnes évoquent des morts pendant ces évacuations. Pouvez-vous confirmer cette information ?

TM : Il n’y a eu ni mort, ni blessé parmi les migrants africains lors de l’intervention des forces de sécurité tunisiennes. Aucune grenade lacrymogène n’a été tirée. La protection civile, le Croissant-Rouge et le ministère de la Santé ont sécurisé tous les migrants et ont vérifié qu’il n’y avait pas d’enfants, de femmes ou de personnes blessées dans les tentes avant de les évacuer.

Le groupe de défense des droits des migrants Refugees in Tunisia a affirmé sur X le 19 avril dernier qu’un nourrisson de trois mois était mort brûlé dans l’incendie de l’abri de plastique où il se trouvait. Sur sa page Facebook, la Garde nationale tunisienne a démenti et assuré que l’enfant est vivant.

Il avait été laissé seul dans la cabane et a été pris en charge par les autorités le temps de retrouver sa mère, selon la Garde nationale.

 

Infomigrants

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