Les salaires des patrons des grandes entreprises françaises alimentent régulièrement les débats. Les documents d’enregistrement universel pour l’exercice 2024 sont désormais disponibles pour la quasi-totalité des sociétés du CAC 40. L’occasion de plonger dans le détail des rémunérations de leurs dirigeants.
Comment est composé le salaire d’un PDG du CAC 40 ?
Le salaire d’un dirigeant du CAC 40 ne se résume pas à une simple fiche de paie. Il se compose d’une part fixe qui est relativement stable d’une année sur l’autre et qui représente entre 20% et 40% du total. S’y ajoute un bonus annuel lié à la performance (résultats financiers, évolution des marges, cours de Bourse, objectifs RSE…).
Vient ensuite la rémunération variable à long terme, souvent versée en actions, et elle aussi conditionnée aux performances, mais sur plusieurs années. Comme on le verra, toucher des millions ne rime pas forcément avec une bonne performance boursière.
Enfin, il y a les à-côtés : voiture de fonction, logement, retraite chapeau ou encore jetons de présence, même si la plupart des PDG y renoncent.
Qui décide de leur salaire ?
Sans supérieur hiérarchique, qui fixe la paie des PDG ? Depuis la loi Sapin 2 de 2016, un vote consultatif annuel (« Say on Pay ») est obligatoire. Depuis 2019, les actionnaires doivent valider la politique de rémunération ex ante, et approuver le réalisé ex post.
Les rémunérations listées ici devront donc encore passer le cap des assemblées générales.
Et si les actionnaires jugent la performance insuffisante, ils peuvent voter contre. C’est rare, mais déjà arrivé. L’impulsion est souvent donnée par un/des fonds d’investissements qui recommande de voter contre. Le fonds souverain norvégien avait ainsi convaincu suffisamment d’actionnaires de voter contre la rémunération de Patrick Pouyanné (Total) en 2023.
Méthodologie de l’espion
Avant d’entrer dans le classement, quelques mots sur la méthode. Sauf exceptions (Pernod Ricard, exercice décalé, et Publicis, publication plus tardive), tous les documents d’enregistrement universel sont en ligne sur les sites des entreprises.
La transparence est obligatoire, notamment sur la rémunération des dirigeants. Chaque document comporte une section dédiée aux “mandataires sociaux”. Tous les types de rémunérations doivent y être détaillés.
Dirigeant-type : Le salaire annuel moyen s’élève à 2 611 255 euros, la médiane à 2 097 607 euros.
- Ordre d’idée : La moyenne du salaire fixe d’un dirigeant français est de 1 375 225 euros, la moyenne du variable à court terme est de 1,77 million euros.
- Milliardaire au grand cœur : Aditya Mittal (ArcelorMittal), fils d’un industriel indien ayant fait fortune dans l’acier, est directeur général depuis 2021. Depuis 2 ans, il refuse toute rémunération variable à court terme. Il est donc le seul PDG touchant l’équivalent du président de son conseil d’administration.
- Un pauvre ? Olivier Pascal Blum (Schneider Electric) ferme la marche. Nommé en novembre 2024, son salaire est calculé au prorata. Il aurait dû se situer autour de 1,2 million d’euros de fixe, soit une dizaine de places plus haut dans le classement.
- Et les femmes ? Seulement 4 femmes dirigeantes dans le CAC 40 (soit 10%), aucune dans le top 20. Pire : aucune ne dépasse le million d’euros fixe annuel, contre 28 hommes sur 40.
Les mieux payés
Trois dirigeants dépassent les 5 millions d’euros hors actions. Tous ont largement dépassé leurs objectifs annuels. Leurs entreprises ont aussi brillé en Bourse depuis leur nomination :
- Renault : +93 % depuis 2020
- Essilor Luxottica : +101 % depuis 2020
- Hermès : +760 % depuis 2013
- Le classement complètement chamboulé : Axel Dumas (Hermès) touche le fixe le plus élevé (2 657 510 euros), mais aucune action pour l’exercice 2023. Pas étonnant : la famille contrôle déjà une large part de l’entreprise (seulement 32% de capital flottant), les incitations sont donc différentes.
- Dirigeant type : Le salaire annuel moyen monte à 6 923 781 €, la médiane à 6 657 899 €. Histoire de faire parler, le dirigeant moyen du CAC 40 gagne ainsi 404 fois le SMIC actuel.
- La percée : Pascal Daloz (Dassault Systèmes) passe de la 35e à la 3e place, grâce à 13,5 millions d’euros en actions.
- Différences culturelles chez les banquiers : Aucun des trois PDG des grandes banques françaises ne figure dans le top 20. Et le contraste est frappant à l’international.
Exemples :
- Jamie Dimon (JPMorgan) : 39 M$
- David Solomon (Goldman Sachs) : 39 M$
- Brian Moynihan (Bank of America) et Jane Fraser (Citigroup) : >34 M$
Et si vous vouliez invoquer la taille de l’institution, la comparaison marche également à l’échelle européenne. Les patrons des banques françaises sont au moins 2 fois moins payés que les dirigeants des plus grosses banques européennes
- Sergio Ermotti (UBS) : 15,6 M€ ; Ana Botin (Santander) : 14,9 M€ ; Christian Sewing (Deutsche Bank) : 10,6 M€.
Duel au sommet
Deux candidats pour la première place :
- Carlos Tavares (Stellantis) : plus de 20 millions d’euros d’actions, pour la deuxième année consécutive. Son fixe, bien que second salaire le plus élevé parmi les dirigeants du CAC 40, ne représente que 9% de sa rémunération totale. Son salaire total est en baisse de 37% sur un an mais représente tout de même 350 fois le salaire moyen des 259.000 salariés de Stellantis à travers le monde.
- Francesco Milleri (Essilor Luxottica) : il coche toutes les cases. Fixe parmi les 3 plus élevés, part variable maximale, fait partie des 5 dirigeants demandant des jetons pour leur présence au conseil d’administration (100 000 €), et 17 millions d’euros en actions. Il double presque sa rémunération par rapport à 2023.
Rémunération de performance…vraiment ?
Chez Teleperformance, le PDG s’est vu attribuer plus de 4,5 millions d’euros en actions pour l’exercice 2024. Un paradoxe : le titre a chuté de plus de 30% depuis le 1er janvier 2024.
Même logique chez Sanofi. L’action valait 90 euros début janvier 2024, elle côte 92,2 euros aujourd’hui. Bilan : près de 6 millions d’euros en actions attribués.
L’Oréal, numéro un mondial de la cosmétique, illustre aussi ce décalage. Malgré une baisse de 15% de son cours depuis janvier 2024, son dirigeant reçoit 5,7 millions d’euros en actions.
Où est la logique ?
Il n’existe pas de règle unique pour expliquer les écarts de rémunération entre les dirigeants du CAC 40. C’est un savant mélange de critères économiques, culturels et stratégiques. Certaines entreprises adoptent une approche très “américaine”, comme Stellantis, avec des packages massifs alignés sur la performance. L’expertise du dirigeant, son ancienneté dans le groupe ou encore sa capacité à piloter une transformation complexe jouent aussi un rôle clé. Le conseil d’administration cherche à rester compétitif à l’échelle mondiale, en particulier pour les groupes internationaux.
À cela s’ajoute le poids du secteur : le luxe, la tech ou la pharmaceutique offrent des salaires bien plus élevés que les banques ou les services régulés.
Enfin, la taille de l’entreprise, sa gouvernance et ses résultats boursiers influencent directement la générosité des rémunérations. Bref, la hiérarchie des salaires patronaux répond à une logique… mais une logique à multiples entrées.
2 mois en arrière, le débat était remis sur la table à l’assemblée nationale et Luca De Meo a dû justifier son salaire.
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