Avec la mine Ewoyaa, le Ghana s’apprête à produire 3,6 millions de tonnes de concentré de spodumène de lithium sur 12 ans. Tandis que la moitié du concentré est déjà vendue à l’avance, le gouvernement souhaite raffiner localement le reste, avec l’appui du propriétaire de la mine Atlantic Lithium.
Le Ghana pourrait perdre jusqu’à 500 millions de dollars s’il se lance trop tôt dans la transformation locale du lithium extrait sur son sol. C’est l’estimation avancée dans une étude publiée en mars 2025 par le Natural Resource Governance Institute (NRGI), qui juge que le risque financier lié à la construction d’une raffinerie locale de lithium tient au modèle économique même de l’opération.
Le projet Ewoyaa, qui devrait bientôt devenir la première mine de lithium du pays, doit produire 3,6 millions de tonnes de concentré de spodumène sur douze ans, mais la moitié de cette production est déjà réservée à l’américain Piedmont Lithium dans le cadre d’un contrat d’achat à long terme.
Si l’autre moitié de la production est exportée sans traitement, le gouvernement pourrait percevoir environ 2,7 milliards de dollars de recettes sur la durée de vie de la mine, sous forme de redevances, d’impôts sur les bénéfices et de dividendes. Mais si cette même moitié est acheminée vers une raffinerie locale lancée avec le propriétaire de la mine, Atlantic Lithium, ces recettes chuteraient à 2,2 milliards de dollars.
Cette perte s’expliquerait par l’impossibilité pour une raffinerie ghanéenne d’acheter le concentré au prix du marché sans fonctionner à perte.
Pour être économiquement viable, l’usine devrait acquérir le minerai à un prix inférieur à celui que peuvent offrir les raffineries chinoises, qui dominent actuellement le secteur. Cette fragilité s’explique par le contexte mondial du raffinage du lithium.
La Chine contrôle l’essentiel des capacités de transformation du spodumène en produits chimiques de lithium, grâce à une combinaison de maîtrise technique, d’économies d’échelle et de coûts opérationnels bas. Face à cette surcapacité chinoise, les projets de raffinerie hors de Chine peinent à être compétitifs. Dans ce contexte, deux des trois seules raffineries de spodumène situées hors de Chine ont d’ailleurs annulé leurs projets d’extension ces dernières années.
Une usine implantée au Ghana ferait face à des charges plus lourdes que ses concurrentes asiatiques : coût du capital plus élevé, importation des principaux réactifs chimiques nécessaires au processus industriel, incertitude sur la capacité à vendre ou valoriser les sous-produits. À cela s’ajoute une limite structurelle majeure : Ewoyaa ne fournit pas à lui seul les volumes nécessaires pour garantir la pleine capacité d’une raffinerie, fragilisant d’emblée la viabilité économique du projet.
Attendre le bon moment… et coopérer
Plutôt que de précipiter la construction d’une raffinerie, le NRGI recommande au gouvernement ghanéen d’adopter une approche plus prudente. Cette stratégie consisterait à permettre le démarrage de l’exploitation minière et à suivre attentivement l’évolution du marché mondial du lithium. Les auteurs appellent ainsi à porter une attention particulière à certains signaux économiques, comme la résorption de la surcapacité chinoise, l’émergence effective d’une demande régionale en carbonate de lithium, ou le développement de capacités de fabrication de batteries et de cathodes hors d’Asie.
Selon le rapport, toute perspective sérieuse de raffinage dépendra aussi de l’émergence de volumes suffisants pour alimenter durablement une usine.
Le gisement Ewoyaa ne garantit pas à lui seul cet approvisionnement, et les investisseurs seront peu enclins à financer une raffinerie qui ne pourrait compter que sur les réserves actuelles. Le NRGI recommande ainsi au gouvernement de favoriser la recherche de nouvelles découvertes de lithium sur son territoire et d’engager le dialogue avec d’autres producteurs de la région ouest-africaine (Mali et Nigeria), afin d’envisager une coordination sur l’approvisionnement en minerai.
Une coopération régionale permettrait de mutualiser les sources de spodumène, réduisant l’incertitude pour d’éventuels investisseurs et améliorant les perspectives de rentabilité d’une installation commune.
Cette réflexion dépasse le seul cas du Ghana ou du lithium. Elle soulève plus largement la question de la viabilité des projets de transformation locale dans les pays africains producteurs de minerais stratégiques. Faute de volumes suffisants, de débouchés industriels solides ou de capacités technologiques maîtrisées, de nombreuses initiatives visant à raffiner ou à transformer localement les ressources extraites sur le continent font face à des risques de rentabilité.
Qu’il s’agisse du lithium, du cuivre ou des terres rares, le constat est souvent le même : la fragmentation de la production et l’isolement des projets limitent la possibilité d’atteindre les économies d’échelle nécessaires pour concurrencer les acteurs dominants des chaînes de valeur globales, en particulier en Asie. Face à ces défis, plusieurs analystes appellent à repenser l’approche de la transformation locale, en explorant des solutions de coopération régionale entre producteurs, comme la RDC et la Zambie l’envisagent depuis un moment.
Mutualiser les volumes, partager les infrastructures, coordonner les stratégies industrielles : autant de pistes qui pourraient sécuriser les approvisionnements et renforcer le pouvoir de négociation des producteurs africains face aux grands acheteurs internationaux.
ecofin