Vladimir Poutine a assuré, lundi, être prêt à parler directement avec le « régime de Kiev » pour un éventuel arrêt des frappes sur les infrastructures civiles. C’est la première fois que le président russe ouvre la porte à des négociations bilatérales avec l’Ukraine. Une proposition qui peut représenter un piège pour Kiev.
Jusqu’à présent, c’était un grand « niet ». Dorénavant, Vladimir Poutine assure qu’il n’est plus hostile à des négociations de paix bilatérales avec l’Ukraine. Pour la première fois lundi 21 avril, le président russe a assuré qu’il était prêt à discuter directement avec le « régime de Kiev » des modalités pour arrêter les frappes contre des infrastructures civiles.
Ce n’est pas encore une main tendue pour un accord de paix global… mais quand même.
« L’évolution est notable car c’est la première fois depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en 2022 que Vladimir Poutine fait un pas dans ce sens », assure Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Caresser Donald Trump dans le sens du poil
Le président russe a toujours balayé l’idée de négocier directement avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, décrit par Moscou comme un dirigeant illégitime « à la tête d’un régime nazi », souligne Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics. La propagande de Moscou a même fait du renversement du pouvoir ukrainien l’un des objectifs de la guerre afin de repousser la menace « nazie ».
Alors qu’est-ce qui a changé ?
Sûrement pas l’opinion de Vladimir Poutine à l’égard de Volodymyr Zelensky. Le maître du Kremlin « a évoqué des négociations avec le ‘régime de Kiev’, et non pas avec le gouvernement ou les autorités ukrainiennes.
Une nuance sémantique de taille car qui dit ‘régime’ ne dit pas forcément ‘pouvoir légitime' », décrypte Jeff Hawn.
« Cette annonce est faite à l’attention d’un seul homme : Donald Trump », estime Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath. Vladimir Poutine aurait temporairement troqué les drones kamikazes pour un rameau d’olivier afin de caresser le président américain dans le sens du poil. « Je veux voir de l’enthousiasme pour en finir [avec la guerre] », a affirmé Donald Trump.
Sans cet état d’esprit de la part des deux belligérants, le locataire de la Maison Blanche a menacé d’ »abandonner » les efforts américains pour parvenir à un accord. Vladimir Poutine prêt à rencontrer des Ukrainiens directement serait l’idée que le président russe se fait de cet « enthousiasme », souligne CNN.
Dans cette hypothèse, les déclarations du président russe représentent « surtout une opération de communication », note Stephen Hall. Nul ne sait si Vladimir Poutine serait réellement prêt à des négociations bilatérales avec l’Ukraine. Militairement, la Russie a toujours l’initiative sur le front et « la situation ukrainienne demeure très fragile », prévient Jeff Hawn.
Le cadeau américain à Moscou
Pourquoi, dans ce contexte, ne pas chercher à pousser son avantage militaire ? La Russie a déjà démontré qu’elle ne se sentait pas contrainte par ses propres promesses et déclarations. Ainsi, « la trêve pascale décrétée par le Kremlin vendredi 18 avril n’a pas duré et la Russie l’a rompue très rapidement en recommençant ses bombardements », souligne Stephen Hall.
Mais les experts interrogés par France 24 suggèrent qu’il est possible que Vladimir Poutine soit réellement prêt à négocier avec les Ukrainiens.
D’abord, « ce serait une manière pour Vladimir Poutine de rassurer les milieux les plus nationalistes en Russie qui voient la pression exercée par Washington sur Kiev comme une manière pour Moscou de mettre son avenir entre les mains des États-Unis », assure Will Kingston-Cox.
Surtout, le timing peut sembler idéal pour Moscou.
La semaine dernière, les médias américains ont révélé que la proposition de plan de paix pour l’Ukraine de l’administration Trump comprenait la reconnaissance américaine de la souveraineté russe sur la Crimée et un gel du conflit le long de la ligne de front. La Russie pourrait ainsi garder le contrôle des territoires conquis dans le Donbass. En outre, Washington serait prêt à garantir que l’accession de l’Ukraine à l’Otan ne soit plus d’actualité. L’administration Trump n’a pas confirmé ou démenti ces « fuites » médiatiques.
Ce plan représente « presque tout ce dont la Russie peut rêver », résume Jeff Hawn.
Le temps pour Vladimir Poutine de passer à l’étape suivante de son grand dessein pour l’Ukraine. « Puisqu’il connaît les positions américaines et sait qu’elles sont alignées avec ses priorités, le président russe peut vouloir entamer des négociations directes avec l’Ukraine, sachant que Washington sera prêt à le soutenir et faire pression sur Kiev », explique cet expert.
Un autre avantage des négociations bilatérales « est de couper l’Ukraine de ses soutiens européens », estime Will Kingston-Cox.
Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les alliés européens de l’Ukraine sont en train de former un nouveau front pour pallier la fin de l’aide américaine en faveur de Kiev. Vladimir Poutine peut vouloir précipiter des négociations bilatérales avant que l’Europe soit en parfait ordre de marche derrière Kiev.
Un piège pour Volodymyr Zelensky ?
Cette proposition représente aussi un piège pour les autorités ukrainiennes. « Volodymyr Zelensky a répété à plusieurs reprises que l’Ukraine ne pourrait pas négocier directement avec la Russie tant que Vladimir Poutine est au pouvoir, et la plupart des points du plan américain qui ont fuité dans les médias violent les lignes rouges édictées par Kiev », note Stephen Hall. « Aucun gouvernement ukrainien ne peut accepter un accord de paix qui graverait dans le marbre le contrôle russe sur une partie du Donbass et la Crimée », ajoute Jeff Hawn.
Dans les circonstances actuelles, l’Ukraine ne peut donc pas se permettre d’accepter cette proposition de négociations bilatérales. « Vladimir Poutine pourra ainsi prétendre qu’il a au moins essayé », note Stephen Hall.
Cette prétendue main tendue représente le début du grand récit de la fin du conflit que Moscou cherche à écrire. « Vladimir Poutine cherche ainsi à vendre au reste du monde – où le sentiment de lassitude à l’égard de la guerre en Ukraine gagne du terrain – que ce n’est pas lui qui fait traîner le conflit », estime Will Kingston-Cox. Il a probablement peu de chance d’être pris au sérieux en Europe, mais, comme l’explique Jeff Haw, « c’est un message qui peut être entendu dans des pays comme la Chine ou l’Inde ».
france24