Aide à mourir : les points clés du texte de loi qui font débat

Après son adoption en commission, la proposition de loi sur l’aide à mourir arrive lundi à l’Assemblée nationale. France 24 examine les principaux points de crispation autour de ce texte en donnant la parole à ses soutiens et à ses opposants.

Après de multiples rebondissements, les textes sur la fin de vie, regroupés en un seul projet de loi lors de son examen en 2024, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, font leur retour dans l’hémicycle lundi 12 mai, mais scindés en deux propositions de loi avec un premier texte sur les soins palliatifs et un autre sur l’aide à mourir.

Les débats dureront deux semaines, avec une discussion générale commune, et deux votes solennels prévus le 29 mai.

La proposition de loi d’Olivier Falorni (MoDem) sur l’aide à mourir a été adoptée en commission le 2 mai par 28 députés contre 15 et une abstention.

Soutenu par la majorité des représentants de la gauche et des groupes macronistes, et âprement combattu par ceux du Rassemblement national et du parti

Les Républicains, il permettrait aux malades souffrant d’une « affection grave et incurable » qui « engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et ne supportant plus leurs souffrances, de recevoir ou de s’administrer une substance létale.

France 24 fait le point sur les éléments clés du débat en donnant la parole à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), en faveur du texte, et l’association Alliance Vita, qui y est farouchement opposée.

« Aide à mourir » ou « euthanasie » et « suicide assisté » ?
Si les deux associations s’opposent frontalement sur la proposition de loi, elles se rejoignent néanmoins sur la question du vocabulaire. « Il faut appeler un chat, un chat et nous parlons ici d’euthanasie et de suicide assisté. Il y a quelque chose de trompeur dans le terme ‘aide à mourir’. On s’aperçoit en discutant avec les gens qu’il y a énormément de confusion et que la plupart des Français ignorent la différence entre suicide assisté et euthanasie », souligne Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita.

« L’aide passive ou active à mourir, c’est vrai que personne n’y comprend rien, mais nous sommes très clairs à l’ADMD et les sondages que nous commandons utilisent toujours les bons termes.

Les pays qui ont légalisé l’euthanasie et le suicide assisté utilisent également les bons termes, donc je ne comprends pas pourquoi la proposition de loi n’assume pas ce vocabulaire », juge pour sa part Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD.

Si l’essentiel des débats entre députés ne devrait pas porter sur le vocabulaire, il est important de le préciser.

L’euthanasie active consiste, pour un médecin, à pratiquer un acte qui précipite le trépas d’un patient. Un médecin va injecter une substance entraînant directement la mort du patient, à sa demande.

Le suicide médicalement assisté consiste, pour un médecin, à prescrire les médicaments qui permettraient au patient qui le demande de se donner la mort. La substance létale doit être prise par la personne malade elle-même, sinon il s’agit d’une euthanasie active.

Accès trop restreint ou trop élargi ?
La proposition de loi sur l’aide à mourir définit, pour qu’un patient soit éligible, cinq critères cumulatifs : être âgé d’au moins 18 ans ; être Français ou résident en France ; être atteint d’une « affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » ; cette dernière provoquant une « souffrance physique ou psychologique » réfractaire aux traitements ou insupportable ; et être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.

Ce dernier point, qui exclut les malades atteints de maladies psychiatriques ou neurodégénératives comme Alzheimer, est contesté par l’ADMD.

« On constate que c’est un des textes les plus restrictifs en Europe », estime Philippe Lohéac, qui aimerait qu’un dispositif permette « de poser les conditions d’une aide à mourir au moment du diagnostic de la maladie ».

Au contraire, Tugdual Derville de l’Alliance Vita voit dans la proposition de loi d’Olivier Falorni un texte « qui va dans le sens de la facilitation de l’accès au droit à mourir », avec trop peu de garde-fous pour éviter les abus et des décisions prises sur un coup de tête. « C’est une conception individualiste de l’existence qui est portée », juge-t-il, pointant notamment l’absence de recours possible pour les proches. « Cela veut dire qu’une personne âgée malade et déprimée pourra décider toute seule dans son coin d’en finir, sans prévenir ses proches », prévient-il

« Pronostic vital » ou « qualité du reste à vivre » ?
La proposition de loi votée en commission évoque une « affection grave et incurable […] qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ». Dans sa version initiale, le texte prévoyait que le pronostic vital soit engagé « à court ou moyen terme », mais il est particulièrement compliqué de savoir ce que recouvre cette notion de « moyen terme ».

Un avis de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le sujet a été rendu le 6 mai.

La HAS juge « impossible », faute de consensus médical, de déterminer qui pourrait bénéficier d’une aide à mourir en se basant sur un pronostic vital engagé « à moyen terme » ou sur une « phase terminale » de maladie, mais elle suggère de prendre en compte « la qualité du reste à vivre » de la personne.

Tugdual Derville concède qu’il est impossible pour les médecins de faire des pronostics fiables, mais critique le manque de critère « objectif » pour juger de « la qualité du reste à vivre » d’un patient. « On essaie de faire entrer l’idée que des vies ne valent pas la peine d’être vécues. C’est un basculement qui nous inquiète », affirme-t-il, regrettant qu’aucun avis de psychiatre ou de psychologue ne soit exigé.

« La personne concernée est la seule en capacité de juger si elle peut continuer à lutter contre la maladie, car chacun a une capacité de résistance différente, répond Philippe Lohéac. Donc c’est forcément un choix qui est subjectif et qui doit le rester. »

L’éligibilité décidée par une personne ou de façon collégiale ?
Autre sujet qui interroge, jusqu’au sein du gouvernement, celui de la collégialité de la décision. Le texte prévoit pour l’instant que le médecin sollicité par le patient décide seul si ce dernier est éligible, après avoir recueilli l’avis d’au moins un autre médecin et un autre soignant, le tout dans un délai de 15 jours.

L’ADMD, qui juge ce délai trop long et milite pour le ramener à quatre jours, ne souhaite pas qu’une décision collégiale soit prise. Pour l’association, le médecin sollicité doit se contenter de vérifier que les critères d’éligibilité sont bien remplis. « La décision doit appartenir au patient. C’est sa vie, c’est sa souffrance », souligne Philippe Lohéac.

À l’inverse, Tugdual Derville de l’Alliance Vita trouve le délai de 15 jours trop court et déplore l’absence de collégialité de la décision concernant l’éligibilité du patient.

« Le médecin qui aura à se prononcer ne fera que consulter des avis sans avoir à en tenir compte. C’est assez choquant dans la mesure où il y aura une liste de médecins favorables à l’euthanasie et pour lesquels la décision sera connue d’avance », avance-t-il. En l’état, l’article 14 de la proposition de loi stipule que « les professionnels de santé qui sont disposés à participer à la mise en œuvre » de l’aide à mourir « se déclarent » à la commission de contrôle et d’évaluation.

Les noms des médecins ne seront toutefois accessibles qu’aux seuls médecins.

Compte tenu de la configuration de l’Assemblée nationale, la proposition de loi devrait a priori être adoptée par les députés, mais le processus législatif, en l’absence de procédure accélérée, pourrait s’étendre de longs mois. Car le texte devra ensuite être examiné par le Sénat, tenu par une droite beaucoup moins favorable à l’aide à mourir.

france24

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