Présidentielles au Cap-Vert : José Maria Neves ou Carlos Vega ?

Parlementarisme ou présidentialisme 

 

Au Cap-Vert, les présidentielles d’octobre prochain verront s’opposer, parmi d’autres candidats, «deux monstres sacrés de la politique» : José Maria Neves et Carlos Veiga. Mais quel en est l’enjeu principal ? 

En quoi leur personnalité respective, la nature de leurs projets politiques et l’exercice des prérogatives présidentielles peuvent impacter le fonctionnement des institutions publiques ?

José Maria Neves est un homme prudent, au sens où Platon et Aristote définissent ce trait comme la principale qualité ou vertu pour un magistrat politique. José Maria Neves se déclare candidat de la nation et des citoyens. Aristote parlerait de sagacité. Carlos Veiga, dominé par un esprit de commerce et porté par un insatiable appétit de pouvoir pour soi et au service exclusif de son clan, pourrait ouvrir un risque pour le pays. Mais alors lequel ?

Un déséquilibre institutionnel, dans la mesure où son clan et lui ne manqueront pas de fragiliser la fonction, puis d’affaiblir le statut et enfin de réduire, dans les faits, les prérogatives du Premier ministre. Et parce que Carlos Veiga est porté par le présidentialisme, qui repose sur le fait que depuis 1991, il se dit à qui veut l’entendre qu’il est le ‘’chef naturel et historique’’ du Mpd. S’il emporte les élections présidentielles, il ne pourra qu’amoindrir les trois éléments constitutionnels qui fixent la nature parlementaire du régime caboverdien. Tel nous semble être l’enjeu principal de cette élection : ‘’parlementarisme’’ ou ‘’présidentialisme’’ ?

Nous ne devons pas exclure l’éventualité que, si les circonstances l’y poussent, Carlos Veiga arrachera au Premier ministre la base parlementaire (députés) qui est la source de sa légitimité et de son pouvoir législatif. Il est tout à fait probable que, dans quelques mois, et de manière progressive, nous nous retrouvions en présence d’un Président de la République qui ait « son » propre groupe parlementaire au sein de l’actuelle majorité du MPD à l’Assemblée nationale.

Ce risque, étrangement, les politologues caboverdiens ne le voient pas venir. Sous ce rapport, cette compétition électorale-là entretient un rare paradoxe voire une antinomie radicale que ne manquera pas de révéler l’exercice du pouvoir présidentiel : José Maria Neves, en raison même de sa conception parlementariste du pouvoir, ne visera pas à affaiblir l’actuel Premier ministre, qui appartient au camp adverse au sein, et conservera la nature parlementaire du régime actuel ; tandis que, du fait de son présidentialisme, Carlos Veiga affaiblira le Premier ministre qui est de son bord politique.

Ainsi, contrairement à toutes les apparences, la principale contradiction institutionnelle de cette élection-là n’est donc pas entre José Maria Neves et Ulisses Coreia e Silva, Premier ministre (Mpd), mais bien entre Carlos Veiga (candidat Mpd) et Ulisses Coreia e Silva. En résumé, l’enjeu institutionnel principal est déterminé par la personnalité et la nature des projets (parlementariste et présidentialiste) des deux candidats qui, selon la victoire de l’un o de l’autre, modifiera la nature du régime actuel par l’exercice de leur mandat.

En conséquence de toutes ces considérations, il nous faut, et ce quel que soit le camp politique auquel on appartient, d’abord et surtout protéger comme ‘’la prunelle de nos yeux’’ le parlementarisme caboverdien, sur lequel repose le prestige international du Cap-Vert et qui en fait l’une des plus grandes démocraties et l’une des plus solides républiques du monde. Car, comme chacun le sait, dans les relations internationales, après le nom et le prestige d’Amilcar Cabral et l’exceptionnelle popularité mondiale de Césaria Évora, l’atout principal du Cap-Vert est son système parlementaire et l’exemplarité même de son fonctionnement que nous devons préserver voire affiner ou encore améliorer. Le corps électoral doit être instruit de ce risque de présidentialisme.

Par suite, il est éminemment patriotique d’éviter d’introduire le ver dans le fruit, selon l’expression française bien connue, si l’on veut éviter la putréfaction du régime parlementaire. Dussions-nous le répéter, ce risque présidentialiste est, semble-t-il, l’enjeu majeur de cette élection. Mais alors, et si tel est le cas comme nous le croyons, le parlementarisme affiché de José Maria Neves est le rempart contre le présidentialisme dissimulé de Carlos Veiga. Le lecteur attentif l’aura compris, ce n’est pas de la personne (l’individu) de Carlos Veiga dont nous devons nous défier, mais uniquement de sa personnalité (caractère et ambitions) et de son idéologie (mercantiliste et ultra-libérale) qui, toutes deux, structurent son présidentialisme.

Ce n’est ni la personne de Carlos Veiga ni celle de José Maria Neves qui importent ici, mais seulement la nature de l’exercice (parlementariste ou présidentialiste) du pouvoir présidentiel que l’un ou l’autre sera appelé à exercer. Au reste, pour avoir été Premier ministre, chacun d’eux a l’expérience de l’appareil d’état et une bonne connaissance des relations internationales. Mais il y a, entre eux deux, une différence notable et significative que viennent rappeler les deux récentes troublantes « affaires d’état » : les stupéfiants et incompréhensibles scandales diplomatiques que sont l’affaire Alex Saab1 (arrestation illégale du diplomate vénézuélien d’origine colombienne) et l’affaire Chega2 (nomination au poste de Consul honoraire du Cap-Vert à Miami (État de Floride) du multimillionnaire Caesar DePaço (César Manuel Cardoso Matos do Paço), financier du parti Chega de l’extrême-droite portugaise, et de son épouse Deanna Padovani-DePaço, Cônsul honoraire du Cap-Vert dans l’État du New Jersey, double nomination que d’aucuns imputent, à tort ou à raison, vrai ou faux, à l’influence de Carlos Veiga sur l’ensemble de l’appareil d’État.

Si tel était le cas, ces deux faits constituent des signes avant-coureurs des dangers possibles et même certains que le présidentialisme de Carlos Veiga ferait peser sur le « Petit pays ». Dans cette phase de précampagne, Carlos Veiga répète inlassablement l’argument selon lequel une victoire de José Maria Neves créerait une diarchie (deux pouvoirs) au sein de l’Exécutif, c’est-à-dire au sommet de l’État caboverdien.

Et, pour cette raison, préconise l’unité (organique) de l’Exécutif, dont il serait le garant. L’argument est fallacieux, d’une part, parce qu’il n’est pas juste, dans la mesure où le Cap-Vert a déjà connu la ‘’cohabitation’’ entre 2011 et 2016 avec un Président de la République Mpd et un Premier ministre Paicv, sans que la marche de l’État ne s’en trouve perturbée, et, d’autre part, parce que Carlos Veiga se garde bien de faire savoir que son penchant présidentialiste finira, tôt ou tard, par installer un double pouvoir (diarchie) dans lequel le vrai pouvoir finirait par être entre ses propres mains ; ce qui correspondra, de facto, à la mise en place d’un régime présidentiel. Il prête donc à José Maria Neves une intention de division au sommet de l’État (diarchie) pour masquer son propre calcul d’installation d’une nouveau régime conforme à son idéologie.

Ainsi, sous le faux prétexte et fallacieux argument d’unité de l’appareil d’état, il finira par changer (modifier) la nature même de l’État, qui cessera d’être une république parlementaire. Ainsi, le premier critère, « objectif », qui devrait orienter le choix des électeurs est donc le suivant : entre le risque de commercialisation des institutions et de présidentialisation et la prudence tendant à la préservation de l’actuel équilibre institutionnel, de quel côté inclinera le corps électoral (intérieur et diaspora) le 17 octobre 2021 ?

Cette grave question, qui évoque le futur institutionnel du Cap-Vert, révèlera toute son intensité lors de l’éventuel second tour, lorsque se posera la dynamique du rassemblement. Mais, outre la première raison, une autre, de caractère « historique », incline en faveur de José Maria Neves : le sort de la Diaspora, plus exactement la justice qu’elle attend depuis si longtemps : l’égalité politique et juridique avec les citoyens caboverdiens de l’intérieur. Ce qui fonde cette exigence de la Diaspora est un vieux principe : depuis Aristote et Montesquieu, la République c’est l’égalité (en droit) de tous devant la Loi ; cette égalité que Hanna Arendt appelle la vertu. Aussi, pour vivre, survivre et se perpétuer, toute République (authentique) doit sans cesse réduire les inégalités entre ses membres, sinon elle devient « une dépouille » selon le mot de Montesquieu. Or José Maria Neves a bien mieux formulé cette problématique que Carlos Veiga. Dans deux textes antérieurs, nous avons montré ce que signifie la diaspora et en quoi la diaspora caboverdienne constitue une ressource quasi infinie ; ce qui a été le cas pour l’accession à l’indépendance, avec le plus grand fils de la Diaspora, Amilcar Cabral.

Et, dans le même registre, eût-il eu Cesária Évora sans José da Silva, fils éminent de la diaspora en France ? Or encore, c’est bien dans le sillage d’Amilcar Cabral que José Maria Neves semble enfin avoir compris et intégré à so éventuelle future mission l’idée-directrice qu’il n’y aura pas de développement du Cap-Vert sans une mobilisation exceptionnelle de la Diaspora, dont il saura être le meilleur porte-parole et le plus ardent défenseur, en vue de l’égalité générale entre tou(te)s les Caboverdien(ne)s. La troisième raison est par elle-même évidente : la situation internationale, marquée par deux faits majeurs : l’écrasante crise sanitaire (Covid-19) et la lourde défaite de l’Occident en Afghanistan, qui sont un lourd avertissement pour l’Afrique de l’ouest. Ainsi, la pandémie qui y fait ses ravages (hausse de la mortalité, paralysie et récession économiques, chute des recettes fiscales, appauvrissement des populations, etc.) et l’expansion d’Al-Qaida, pour lors imparable, exigent l’élection d’une personnalité qui soit non seulement capable de re-créer des liens diplomatiques étroits avec tous les pays de l’Afrique de l’ouest, mais aussi capable de renforcer les relations avec les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, la France, la Grande Bretagne, Israël, les pays arabes, etc.

Pour réaliser avec énergie et tenir avec dignité tous ces chantiers diplomatiques, sans jamais affaiblir le Cap-Vert, José Maria Neves paraît bien mieux qualifié que Carlos Veiga.  En somme, nous avons pour lors retenu trois critères principaux pour guider le choix des électeurs. Le premier concerne la préservation de la nature parlementaire du régime caboverdien. Le deuxième critère renvoie au principe d’égalité entre tous les citoyens, socle de toute République. Le dernier critère touche à l’idée de concertation sous-régionale et internationale. Or, sous ce triple rapport, la balance des suffrages devrait nettement incliner en faveur de José Maria Neves.

Source: financial

 

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