Joe Biden, le président des États-Unis d’Amérique, et Vladimir Poutine, le président russe, vont s’entretenir ce mardi. Les tensions à la frontière entre la Russie et l’Ukraine seront au cœur des débats. Washington redoute une invasion russe tandis que Moscou s’élève contre un possible ralliement de l’Ukraine à l’Otan. Les deux chefs d’État vont tenter d’apaiser un sujet brûlant.
La visioconférence a remplacé le téléphone rouge. Mais il y a biens des accents de Guerre froide, ce mardi 7 décembre, autour de l’entretien que doivent avoir Joe Biden et Vladimir Poutine. Le président américain va-t-il dissuader son homologue russe d’envahir l’Ukraine ? Le pensionnaire du Kremlin y est-il vraiment prêt ou bluffe-t-il ? Autant de questions au cœur de l’entretien à très haut risque prévu entre les deux hommes, avec un objectif commun : éviter l’escalade.
Les présidents Biden et Poutine se sont déjà téléphoné plusieurs fois et se sont vus en personne en juin à Genève, en Suisse. Une réunion jugée encourageante par l’administration Biden, dans sa quête d’une relation bilatérale « stable » et « prévisible ».
C’est cette fois dans un contexte au contraire extrêmement volatil qu’ils se retrouvent, sous forme de visioconférence – sécurisée, précise la Maison Blanche – à 10 heures à Washington, donc en fin de journée-début de soirée à l’heure de Moscou (18 heures, heure moscovite).
Biden confronté à un exercice d’équilibriste difficile
Washington et Kiev accusent Moscou de masser des troupes à la frontière avec l’Ukraine pour attaquer le pays, rejouant le scénario qui avait vu les Russes annexer la péninsule de Crimée en 2014, et précipiter l’Ukraine dans une guerre qui a fait plus de 13 000 morts. Les experts sont partagés : beaucoup pensent que Vladimir Poutine bluffe, mais peu évacuent complètement l’hypothèse d’une attaque.
Si Moscou devait passer à l’acte, un haut responsable de la Maison Blanche a détaillé lundi les leviers que les États-Unis seraient prêts à actionner. D’abord, « les États-Unis répondraient favorablement » à une demande de présence militaire accrue de la part de leurs alliés de l’Otan en Europe de l’est. Ensuite, ils soutiendraient davantage l’armée ukrainienne. Enfin, Washington prendrait des sanctions économiques lourdes contre le régime de Vladimir Poutine, et surtout différentes de celles empilées depuis 2014 contre la Russie, sans grand effet.
Mais « les États-Unis ne cherchent pas à se retrouver dans une position où l’usage direct de forces américaines serait au centre de [leurs] réflexions », selon le haut responsable américain. En clair : pas question pour l’instant d’une réplique militaire américaine directe.
Joe Biden, qui a traité Vladimir Poutine de « tueur », joue une partition délicate. Il se veut le grand porte-parole des démocrates dans le monde. Il organise d’ailleurs jeudi et vendredi un « sommet des démocraties » virtuel vertement critiqué par Moscou et Pékin, qui n’y sont pas invités. Et il lui faut gérer habilement la crise ukrainienne, sous peine d’échauder encore plus les alliés traditionnels des États-Unis, déjà irrités par le retrait d’Afghanistan, mené de manière chaotique, et sans grande concertation selon eux.
Peu d’illusions quant aux avancées à attendre de ce rendez-vous
Joe Biden entend rendre compte personnellement de son entretien avec Vladimir Poutine au président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Ce dernier a rendu visite lundi aux soldats de son armée sur la ligne de front face aux séparatistes pro-Russes, dans la région de Donetsk. « Je vous remercie de protéger notre souveraineté et notre intégrité territoriale », a-t-il déclaré à ses hommes.
Spoke with Ukrainian President @ZelenskyyUA about Russia's aggression against Ukraine. I reiterated U.S. support for Ukraine is unwavering. There will be serious consequences for any escalation from Russia.
— Secretary Antony Blinken (@SecBlinken) December 6, 2021
Le président américain s’est entretenu au téléphone lundi avec les dirigeants de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et du Royaume-Uni, tous exprimant « leur détermination à ce que la souveraineté » de l’Ukraine « soit respectée », a fait savoir Paris. Cette stratégie de dissuasion va-t-elle payer auprès d’un Vladimir Poutine si soucieux de stature internationale ?
« Il est difficile de s’attendre à une percée de ces négociations », a d’ores et déjà déclaré le porte-parole du Kremlin, estimant qu’il était peu probable de mettre de l’ordre dans « les écuries d’Augias » des relations bilatérales « en quelques heures » d’entretien. « À Moscou, on ne se fait pas beaucoup d’illusions sur les avancées concrètes qu’on peut attendre de ce rendez-vous », confirme Julian Colling, correspondant de France 24 à Moscou.
Les éventuelles sanctions américaines sont-elles vraiment dissuasives ?
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Moscou veut une garantie que l’Ukraine ne rejoindra pas l’Otan, comme tant de pays de l’ex-bloc soviétique l’ont fait. Or, ni Kiev, ni Washington ne prendront un tel engagement, même si, dans les faits, la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’alliance militaire occidentale, bien qu’officiellement ouverte, semble gelée. Certains experts estiment que la tenue même de ce sommet est en soi une victoire pour Vladimir Poutine, qui veut affirmer la Russie comme une puissance dans le jeu géopolitique mondial, aujourd’hui dominé par la rivalité entre Chine et États-Unis.
« Nous avons clairement fait comprendre que nous soutenons le droit de l’Ukraine à décider de son propre avenir. Personne d’autre ne doit avoir son mot à dire sur ce que l’Otan décide de faire, ou ce que l’Ukraine décide de faire », a fait savoir Ned Price, porte-parole du département d’État américain.
Bruce Jentleson, professeur de sciences politiques à la Duke University et conseiller du département d’État entre 2009 et 2011, doute pour sa part de la portée dissuasive des sanctions financières agitées par la Maison Blanche. Les spéculations vont bon train autour d’une initiative de Washington pour couper la Russie de la messagerie SWIFT, rouage essentiel de la finance mondiale, qui permet aux banques de faire circuler l’argent.
« À les entendre, il s’agit de l’arme nucléaire version économique, mais je doute que [les sanctions] aient un tel impact », explique Bruce Jentleson. Il faudrait « qu’elles soient coordonnées au minimum avec les Européens, et même dans ce cas, il y a des moyens de les contourner ».