Opération Barkhane : l’armée française quitte Tombouctou, huit ans après son arrivée au Mali

Après Kidal et Tessalit, est venu le tour de Tombouctou, où l’armée française s’apprête à plier bagage mardi soir. Un retrait à haute valeur symbolique : c’est dans cette ville que l’ex-président François Hollande avait officialisé, en grande pompe et dans l’émoi général, le début de l’intervention française au Mali, huit ans plus tôt.

Sur la modeste place d’armes du camp de l’opération Barkhane à Tombouctou, flotte encore le drapeau tricolore. Pour quelques heures seulement : mardi 14 décembre, avant la que la nuit ne tombe, la petite base du nord du pays aura été rendue à l’armée malienne.

Le départ des soldats français de Tombouctou, après Kidal et Tessalit, marque un tournant symbolique fort : c’est dans cette ville, cité sainte de l’islam inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, que le président François Hollande a officialisé, le 2 février 2013, le début de l’intervention française, acclamé par une foule en liesse.  Et ce quelques jours après le largage de légionnaires sur la ville, placée depuis huit mois sous le joug de groupes jihadistes. Le chef d’État, débarqué de Paris, et son homologue malien à l’époque, Dioncounda Traoré, étaient tout sourire : les armées malienne et française avaient libéré la ville.

Cohabiter avec la menace à défaut de l’éradiquer

À l’époque, « la population nous acclamait quand on est arrivés », se souvient le sergent français Mathieu, vingt années de service. Aujourd’hui, « ce n’est plus pareil, même si l’ambiance n’est pas non plus hostile ».

À la libération triomphale de Tombouctou, qualifiée par François Hollande de « plus beau jour de (sa) vie politique », ont succédé plusieurs mois de traque des jihadistes dans les montagnes. L’année suivante, l’opération Serval a muté en Barkhane, avec un mandat étendu aux pays voisins.

Près de neuf ans plus tard, les groupes jihadistes ont étendu leur influence dans les brousses sahéliennes tandis que Paris, qui fait face à une hostilité grandissante dans la région, a annoncé la réduction de son engagement au Sahel d’ici 2022.  L’armée française dispose de six avions de chasse, six drones, un effectif de 5 100 hommes prochainement porté à 3 000, pour une région grande comme l’Europe.

>> Fin de l’opération Barkhane : quelle stratégie pour les forces françaises au Sahel ?

« Certains au Mali et dans la région ne comprennent pas que les armées françaises n’arrivent pas à pacifier le Sahel », soupire le commandant de l’opération antijiahdiste Barkhane, le général Laurent Michon. « Je les comprends. Mais c’est juste impossible avec les moyens dont on dispose ». Loin des brousses maliennes, en Afrique de l’Ouest, certains instrumentalisent ce mécontentement anti-français, selon le militaire, même si  « là où Barkhane est au sol, la population est heureuse de la sécurité apportée ».

Pour la France, qui assurait en 2013 qu’il n’y avait « pas de risque d’enlisement », le combat paraît encore long pour atteindre l’objectif énoncé, alors, de débusquer tous les jihadistes. Pour de nombreux Tombouctiens interrogés par l’AFP, la présence dans la région de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, souvent des membres des mêmes communautés que les habitants, fait désormais partie du décor.

Une certaine « stabilité » est revenue dans les brousses, disent des responsables sécuritaires et des diplomates occidentaux. Une stabilité due à l’engagement français ou onusien, mais qui semble provenir au moins autant d’une acceptation de la participation d’acteurs non-étatiques, euphémisme pour les jihadistes, à la gouvernance locale, là où l »État n’est plus représenté, disent différents interlocuteurs sous couvert d’anonymat.

« Quand il y a cohabitation, certainement il y a moins d’actes négatifs », élude le journaliste Tandina, habillé d’un long bazin vert surmonté d’un chèche de la même couleur.

« Globalement positif » 

Le nombre d’attaques contre les civils est au plus bas dans la région depuis 2015, année de la signature d’accords de paix entre Bamako et des groupes rebelles du nord, selon l’ONU. Des réfugiés nomades qui avaient fui en Mauritanie et en Algérie sont revenus. Des écoles, fermées sous pression jihadiste, ont pu rouvrir sous certaines conditions. « Il y a eu un développement globalement positif », résume le chef à Tombouctou de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), Ricardo Maia.

Aucun occidental ne peut s’y rendre, sauf à être accompagné d’une forte escorte. Les services de l’État, présents en ville et soutenus par l’ONU, sont largement absents des campagnes. La nébuleuse jihadiste, représentée à Tombouctou par un émirat, revendique dans sa propagande le contrôle du territoire et des cœurs. « Pour une affaire de vol ou de conflit, beaucoup vont préférer aller voir le principal cadi (juge musulman) de la région que la justice de l »État », note un notable tombouctien. Houka Houka Ag Alhousseini figure sur les listes de sanctions de l’ONU pour avoir été juge durant l’occupation jihadiste.

En ville, malgré des accès de tension récurrents et souvent meurtriers, la vie suit son cours. Les échoppes du grand marché sont autant de lieux de palabres. L’église est ouverte aux fidèles, comme les mosquées millénaires qui font la renommée de la ville dite des 333 saints.

« Bien sûr, il y a les problèmes », explique Ali Ibrahim, étudiant en licence de droit de 26 ans. « Mais on est là, et on sera encore là demain, alors on vit avec ». Selon lui, même si la force militaire a « montré ses limites au Mali », il faut « reconnaître l’ampleur de l’engagement des Français depuis 2013 à nos côtés. »

Une force européenne face au défi sahélien 

Au partiel désengagement des troupes conventionnelles françaises dans le nord du Mali, succèdera une phase de réorganisation des forces en présence, explique le général Laurent Michon. Il s’agit d’approfondir la collaboration avec les partenaires sahéliens, et d’augmenter les effectifs spéciaux dédiés au combat au sein d’une action désormais européenne : la force Tabuka.

Celle-ci compte aujourd’hui près de 900 hommes. « Et les Européens continuent de frapper à la porte. C’est un succès politique pour le Sahel et le Mali de voir ces Européens s’engager à nos côtés », s’enthousiasme Laurent Michon. Mais les défis à l’horizon de cette force européenne et de ses alliés africains sont multiples.

La recomposition de L’EIGS (État islamique au Grand Sahara),  orphelin de ses dirigeants historiques, pourrait favoriser l’émergence violente de nouveaux « petits chefs ».

Pour le général Michon, le JNIM (nébuleuse jihadiste affiliée à Al-Qaïda) est fort d’un enracinement durable, et d’un recrutement endogène dans les zones délaissées par l »État. Le groupe terroriste est à même d’imposer une autorité acceptable pour certaines populations du centre du Mali.

Les contacts de la junte malienne avec la société paramilitaire russe Wagner constituent une autre source d’inquiétude pour Paris et ses alliés. L’intrusion de Moscou au Mali pourrait avoir des répercussions majeures sur le dispositif militaire.

En Centrafrique, selon des révélations du site EUobserver publiées en novembre 2021, des mercenaires russes du groupe Wagner ont pris le commandement d’un bataillon pourtant formé par l’Union européenne, « avec le lot d’exactions que l’on connaît », rappelle le général.

« Il y a des choses qui ne pourraient alors plus être faites si Wagner venait à se déployer. »

3 Commentaires
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