« La Loi de Téhéran », « Le Pardon », « Le diable n’existe pas », « Un héros »… Les films iraniens se bousculent à l’affiche des cinémas français depuis quelques mois. Des films achetés à bon prix et plébiscités par un public curieux de voir de l’intérieur une société iranienne inaccessible.
Une course-poursuite haletante dans les ruelles sinueuses de Téhéran. Un agent de police pourchasse un revendeur de crack qui finit sous le sable d’une bétonnière. La scène est tirée du thriller « La Loi de Téhéran », de Saeed Roustayi, sorti en France en juillet. Le film iranien, à l’affiche durant plus d’un mois, a dépassé les 150 000 entrées. Un beau score pour l’œuvre d’un réalisateur inconnu du grand public.
Projeter un polar iranien dans les salles obscures françaises. « Inimaginable il y a encore vingt ans », estime Asal Bagheri, enseignante et chercheuse à l’université Cergy Paris et spécialiste du cinéma iranien.
L’année qui se termine est une des plus riches en ce qui concerne la sortie de films iraniens en France, avec au moins quatre films à l’affiche, dont « Un héros », d’Asghar Farhadi, sorti mercredi 15 décembre et primé à Cannes.
Les ravages de la drogue, la corruption des fonctionnaires, l’injustice et la rédemption, les déboires d’un couple… autant de sujets abordés par ces films et qui en font leur succès. « Un cinéma social, terre à terre, qui montre les problèmes profonds de la société iranienne coincée entre la tradition et la modernité, l’individu noyé dans le collectif », explique Asal Bagheri. « Il y a une curiosité du public français qui veut voir l’Iran du quotidien, ce à quoi il n’a pas accès car les médias ne le montrent pas et parce que voyager en Iran n’est pas évident en ce moment. »
Le succès d’Asghar Farhadi a ouvert la voie
En Iran, ce genre cinématographique a toujours existé, sauf que ce « cinéma du réel » n’était guère plébiscité par les distributeurs et les festivals internationaux. « Dans les premières années suivant la Révolution (1979), le monde du cinéma ne voulait pas entendre parler de l’Iran. Les gens pensaient que la République islamique ne tiendrait pas la guerre contre l’Irak (1980-1988) et que le cinéma iranien de cette période serait éphémère », raconte Asal Bagheri. Mais la République islamique a perduré, ainsi que ses cinéastes, productifs même en temps de guerre.
Après le conflit, le monde découvre Abbas Kiarostami. « Un style épuré, poétique, basé sur des éléments philosophiques et universels, loin des tracas géopolitiques. Si le choix des distributeurs étrangers s’est porté sur le cinéma de Kiarostami, c’est aussi parce qu’ils souhaitaient un cinéma sans kalachnikov, ni tchador, loin de l’Iran tel qu’on le connaissait à l’époque. » Mais les films de ce maître du cinéma iranien, consacré à Cannes en 1997 avec une Palme d’or, sont difficiles à montrer dans toutes les salles. Adulé des critiques, ce cinéma d’art et essai n’attire pas le grand public.
Des années plus tard, c’est le succès du réalisateur Asghar Farhadi qui ouvre la voie à une réussite plus « populaire » du cinéma venu d’Iran.
Sorti en 2011 en France, « Une séparation » a ainsi été vu par plus d’un million de spectateurs, un record pour un film iranien, indique Asal Bagheri. « Dès lors, on note une présence de plus en plus forte des films iraniens dans les festivals internationaux. Ainsi, on commence à s’intéresser à cet autre Iran, absent depuis trop longtemps des écrans, que Farhadi met en scène : un Iran contradictoire, certes, mais moderne, jeune, dynamique, perpétuellement en mouvement et en constante négociation. »
Des coproductions avec la France et l’Allemagne
Dans le sillage de ce succès, en dix ans, la commercialisation des films iraniens a changé. « De plus gros distributeurs – toujours des indépendants cela dit – sont entrés dans l’arène », indique Asal Bagheri. De nombreux films iraniens sont désormais coproduits avec des sociétés étrangères, à l’image du Français Memento qui partage la production des films d’Asghar Farhadi depuis « Le Passé », sorti en 2013. D’ailleurs, pour « Un héros » sorti en salle mercredi, le réalisateur iranien devait venir en France pour la postproduction, mais la crise du Covid-19 en a décidé autrement.
Asghar Farhadi n’est pas le seul. Les coproductions ont tendance à se multiplier, avec la France et l’Allemagne notamment. Un modèle qui fait envie. En Iran, les cinéastes sont de plus en plus nombreux à chercher des producteurs étrangers. D’abord pour des raisons économiques évidentes puisque l’Iran traverse une profonde crise pesant sur le moindre investissement. Mais aussi « parce qu’être coproduit à l’étranger, c’est une chance supplémentaire de voir son film tourner dans des festivals internationaux. Cela permet aussi de se détacher un peu de la censure qui touche le cinéma iranien. »
Des films peu coûteux
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Côté français, l’industrie du cinéma y trouve elle aussi son compte. Les films iraniens s’achètent à bon prix en comparaison avec le marché international. « On revient de loin », se souvient Asal Bagheri, qui témoigne d’une époque où certains cinéastes n’étaient payés que si le film réalisait du profit.
« La communauté du cinéma mondial a compris qu’il y avait énormément de talent et de bons scénaristes en Iran. Ça ne leur coûte vraiment pas cher en main d’œuvre au vu de la chute de la valeur du dollar dans le pays, et on sait que ce sont des films qui vont marcher dans leur catégorie – même si ça n’est pas aussi simple de trouver la bonne personne. »
D’autres observateurs du septième art iranien regrettent en off « l’aspect commercial » qui a gagné leur cinéma et « des cinéastes qui se retrouvent sous le feu des projecteurs, forcés à endosser le rôle de représentant du peuple iranien à leurs dépens. »
Pour autant, hormis quelques éléments « touristiques » parsemés çà et là dans certaines œuvres iraniennes dans le but de plaire à un public étranger – d’après Asal Bagheri, habituée à décrypter les codes du cinéma –, cette recherche de reconnaissance internationale n’a pas encore altéré la nature des films iraniens.
Asal Bagheri rappelle que le cinéma projeté en France ne représente qu’une part infime de la très prolifique production iranienne. Elle estime à près de 200 le nombre de films produits en 2019 avant l’irruption du Covid-19. « Des films dignes d’intérêt passent certainement à la trappe », fait-elle remarquer. Des œuvres qui mériteraient sans doute une prise de risque de la part des distributeurs étrangers.