La journée de ce vendredi a connu le passage de quatre témoins à la barre, dans le cadre du procès de l’assassinat de l’ancien Président du Burkina Faso, Thomas Sankara. Retour sur les éléments essentiels de la journée.
Yacouba Traoré, cadre de banque à la retraite, directeur général de la Société nationale d’exploitation cinématographique du Burkina (SONACIB) au moment des faits, est le premier témoin invité à la barre, ce vendredi 17 décembre. L’homme était proche des deux premiers responsables de la révolution, les capitaines Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Le 13 octobre 1987, l’avant-veille du drame, alors qu’il était au bureau, il reçut la visite d’un militaire qui lui dit avec inquiétude : « L’heure est grave », lui expliquant que des choses se tramaient contre Thomas Sankara.
« Après son départ, je suis allé directement à la Présidence pour voir Sankara. On a discuté près d’une heure. Je lui ai demandé qu’est-ce qui ne va pas ? Il m’a expliqué. Il a dit qu’il a tout fait pour qu’ils s’entendent (Blaise Compaoré et lui, ndlr), mais sans succès. Il a pris une enveloppe kaki et a dessiné un arbre avec des branches pour dire que la révolution, on commence ensemble et après, il y a des branches qui poussent. Je lui ai dit que je n’étais pas là pour ça ».
« La mort de Thomas Sankara et de ses compagnons a fait de moi, pratiquement, un homme vide (…) Je regarde la société sans rien comprendre »
Ce jour-là, Yacouba Traoré déclare avoir vu Thomas Sankara dans un état préoccupant : « Contrairement à son habitude, Thomas était mal habillé, mal peigné. Honnêtement j’étais désemparé », confie le témoin, avant de poursuivre : « Je lui ai dit que dès que je quitte son bureau, j’irai voir directement Blaise Compaoré. Il m’a accompagné à la porte et m’a dit : « Mon frère, tu ne veux pas que je fuie, non ? » Je me suis retourné, on s’est regardé et on s’est quitté en larmes ».
Comme prévu, Yacouba Traoré se rendit immédiatement chez Blaise Compaoré. Sur place, c’est Hyacinthe Kafando qui lui annonça que le capitaine était en réunion et ne pouvait pas le recevoir. « Le lendemain, 14 octobre 1987, je suis reparti chez Blaise Compaoré dans la journée, on m’a dit qu’il était en voyage. Le 15 octobre 1987, autour de 12 h 30, Blaise m’appelle pour s’excuser et dire qu’il allait passer me voir après le sport. Mais, il n’est jamais venu », soupire le témoin.
« Pourquoi utiliser les armes ? », s’indigne Yacouba Traoré, visiblement très ému, à la barre. Pour lui, on pouvait trouver des solutions aux contradictions entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara. « La mort de Thomas Sankara et de ses compagnons a fait de moi, pratiquement, un homme vide (…) Je regarde la société sans rien comprendre. Aujourd’hui, je ne demande qu’une seule chose, que ceux qui ont commis ce forfait le reconnaissent et qu’on en finisse. Et je lance cet adage à leur endroit : le linceul n’a pas de poche », conclut-il.
Yacouba Traoré n’a pas été le seul témoin à penser que le drame aurait pu être évité. Cette position a été soutenue par le fonctionnaire de police à la retraite, Yaya Dramé, à l’époque, agent de renseignements en service à la Division de la surveillance du territoire (DST). « Si j’étais à un grade supérieur, en tout cas, j’allais m’imposer, trouver une solution au problème. (…). Je regrette cette attitude irresponsable de beaucoup de grands à l’époque », déclare le témoin à la barre. Selon lui, avant le 15 octobre 1987, deux à trois tentatives avaient été déjouées.
« À l’époque (…), nous avions eu à démanteler deux à trois projets de coups d’État, préparés depuis la Côte d’Ivoire »
« À l’époque (…), nous avions eu à démanteler deux à trois projets de coups d’État, préparés depuis la Côte d’Ivoire », soutient le témoin. L’un de ces projets était l’œuvre Jean-Claude Kamboulé, ancien capitaine de l’armée burkinabè, qui s’était exilé en Côte d’Ivoire. En 1987, les renseignements faisaient état de graves tensions entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré, et de la division des officiers en deux camps. Selon les renseignements, Jean-Pierre Palm, par exemple, était clairement identifié comme étant du côté de Blaise Compaoré, à en croire Yaya Dramé.
D’ailleurs, au lendemain du 15 octobre 1987, Jean-Pierre Palm s’est rendu à la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS) et « jubilait », selon la déposition du témoin. Le 17 octobre, c’était au tour de Gilbert Diendéré de se rendre à la FIMATS. Sur place, il aurait dit aux éléments de cette force que leur chef, Vincent Sigué, tué un peu plus tôt, « avait un plan machiavélique » et projetait de changer le nom du pays en « République du Mandingue ».
Deux autres témoins ont été auditionnés dans cette journée du vendredi. Il s’agit de l’adjudant-chef à la retraite, Amidou Ouattara, et du commissaire divisionnaire à la retraite, Ambroise Diarra, à l’époque, adjoint de Vincent Sigué à la FIMATS. De ses propos, il ressort que le 14 octobre 1987, il a remarqué des présences suspectes d’éléments très proches de Jean-Pierre Palm, qui étaient venus sur le terrain du camp de la FIMATS où se jouait un ballon militaire.
Selon le témoin, ces éléments avaient un objectif inavoué, puisqu’ils ne semblaient pas intéressés par le match. La présence du régisseur de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), Karim Tapsoba, avait également été remarquée. L’audience a été suspendue après la déposition du témoin qui doit être à nouveau entendu lundi.
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