Ce phénomène récent – depuis août – s’aggrave dans certaines régions du sud de la Grande Île. Le 9 décembre, la gendarmerie a retrouvé après plusieurs semaines de séquestration une enfant albinos de 13 ans vivante mais mutilée dans le district de Betroka. Ses yeux lui ont été arrachés. Face à cela, le Réseau malgache du handicap et un député de cette partie de l’île tirent la sonnette d’alarme.
« Des cas qu’il ne faut plus considérer comme des faits divers. » C’est l’appel que lance le président du Réseau malgache du handicap, Falihery Razafindrakoto. Il relève une dizaine d’albinos enlevés ces cinq derniers mois dans différentes régions du sud de Madagascar. « Il y a des enfants qui ne peuvent plus aller à l’école par peur d’être kidnappés. Même chez eux, ils ne sont pas tranquilles car ce sont parfois des membres de la famille qui les enlèvent », explique le président de cette organisation qui milite pour le respect des droits des personnes handicapées et pour la reconnaissance de la différence et du handicap comme une expression de la diversité humaine.
Un « phénomène surtout lié au banditisme et aux dahalo, les voleurs de zébus », qui sévissent dans cette partie de l’île, selon le secrétaire d’État à la gendarmerie, le général Serge Gellé. Les croyances de certains dahalo prêtent aux yeux des albinos le pouvoir de voir dans la nuit ou de les rendre invulnérables aux balles des armes à feu. Ils sont utilisés par leurs mpimasy, ou « sorciers », pour leur fabriquer des grigris. « C’est une croyance insensée mais ça devient un phénomène, une psychose… et ça se monnaye. C’est aussi une question d’argent », poursuit le secrétaire d’État à la Gendarmerie.
« De simples gens ont entendu qu’il y a de l’argent à gagner »
« Là, les gens sont pauvres et les rumeurs prennent beaucoup d’ampleur. Il y a de simples gens qui ont entendu qu’il y a de l’argent à gagner avec cela et ils font n’importe quoi », raconte Nicolas Randrianasolo, le député de Betroka, où deux enfants albinos ont été tués au mois d’août pour leurs yeux.
« À Amboasary [dans l’extrême sud de Madagascar, NDLR], des gens ont enlevé un enfant albinos de huit ans et ils ont été arrêtés à Betroka. Ils l’ont emmené de village en village pour essayer de le vendre mais ils n’ont pas réussi. Ces enlèvements vont empirer si des mesures ne sont pas prises tout de suite », poursuit le député.
Phénomène récent
Le phénomène est nouveau, fait savoir le président du Réseau malgache du handicap : « La première fois que j’ai entendu parler de cas de violence envers les albinos, c’était en 2015. Il s’agissait d’un séminariste kidnappé à Tuléar. Je savais que ça existait en Afrique mais à Madagascar, c’était la première fois que je l’entendais. L’année dernière et cette année, ces enlèvements d’albinos ont pris de l’ampleur. »
Des cas recensés dans cinq régions du sud de Madagascar : Ihorombe, Androy, Anosy, Atsimo Andrefana et Menabe, indique Falihery Razafindrakoto. Un phénomène « très récent », décrit aussi le secrétaire d’État à la Gendarmerie : « C’est quelque chose que l’on connaît dans certains pays d’Afrique et ça arrive ici maintenant. Dans d’autres parties de Madagascar, par exemple dans l’Est, il y a des albinos mais les gens ne donnent pas d’importance à cela. »
Sensibiliser et impliquer les communautés locales
Le Réseau malgache du handicap, tout comme le député de Betroka, demandent la mise en place de sensibilisation de masse des communautés pour prévenir les enlèvements, meurtres et mutilations des albinos.« On a attrapé les gens qui enlèvent les enfants, assure le général Serge Gellé. Ces enfants étaient sauvés la majeure partie du temps. Dans la partie sud de Madagascar, les villages sont très éloignés. On ne peut pas mettre des forces de l’ordre à chaque maison, mais notre effort maintenant, c’est d’identifier les familles albinos, sensibiliser les gens, responsabiliser les chefs de village et les autorités locales. »
Le président du Réseau malgache du handicap lance aussi un appel à l’endroit des autres organisations de promotion des droits de l’homme pour « qu’elles prennent en compte le cas des enfants et des adultes albinos parce que ce sont des groupes minoritaires, qui n’ont pas vraiment de porte-parole. Donc c’est comme si le problème n’existait pas au niveau de ces organisations. Le problème reste invisible. Même la manière de le traiter dans les médias, c’est en tant que fait divers, ponctuel. »