La journée sur la route avait déjà été pénible. L’aire de repos surchargée n’a fait qu’ajouter à la frustration de Desi Wade, chauffeur routier, contraint de manoeuvrer pendant plusieurs minutes pour garer son poids lourd sur l’unique place disponible.
« Il n’y a pas de pénurie de chauffeurs », lâche le quinquagénaire. « C’est la motivation qui n’est plus là ».
Le manque de places de stationnement est un des principaux problèmes que rencontrent au quotidien les chauffeurs routiers américains, qui transportent des marchandises représentant plus de 12.000 milliards de dollars de fret chaque année.
Les camionneurs sont au coeur des problèmes logistiques en cette période de fêtes, quoique éclipsés par la disponibilité limitée de certains produits et la hausse vertigineuse des prix.
Des dirigeants de l’industrie du transport routier citent une pénurie nationale de chauffeurs comme étant à l’origine des dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement.
Desi Wade, à la tête d’une petite flotte de camions basée à Atlanta (Georgie, sud-est des Etats-Unis), met, lui, en avant les préoccupations des chauffeurs: un environnement de travail difficile, une rémunération insuffisante et une mauvaise gestion de la logistique.
Il y a urgence à rendre « les salaires et les emplois attrayants et rentables », dit-il.
D’autant que, outre la rareté du stationnement et la volatilité des prix du carburant, les conducteurs sont confrontés à des conditions de circulation stressantes — des routes américaines en mauvais état — et à l’impossibilité de se nourrir sainement quand ils sillonnent le pays.
La plus grosse difficulté est probablement le « temps de détention », jargon désignant les heures, pour la plupart non rémunérées, passées à attendre dans les ports et entrepôts, et qui s’est aggravé avec la pandémie.
« C’est une profession mentalement et physiquement éprouvante », poursuit M. Wade, citant aussi l’éloignement de la famille. « Alors qui peut être motivé à faire ce métier? »
Récemment, le chauffeur a passé une journée entière dans un centre de distribution à attendre une cargaison. En vain. La commande annulée, la marchandise est repartie dans l’entrepôt et M. Wade n’a reçu que 150 dollars pour « coûts de camion commandé non utilisé », au lieu des 1.200 dollars qu’il aurait dû recevoir.
Ancien pompier de l’armée, Desi Wade, que l’AFP a suivi pendant deux jours à travers trois Etats du sud-est des Etats-Unis, est une personne manifestement positive. Il aime former de jeunes chauffeurs, plaisanter avec les gestionnaires d’entrepôt ou accueillir de nouveaux camionneurs lors de réunions virtuelles.
Il sourit à l’évocation de voyages avec ses enfants et petits-enfants à bord de son 18 roues.
Plan Biden décevant
Cette mission, quelques jours avant Noël, avait pourtant commencé sous de mauvais auspices: le camion n’avait pas démarré. Enlisé dans la boue, le remorquage lui a coûté 450 dollars, un gouffre financier.
Le lendemain, la circulation a été fortement ralentie en raison du passage du cortège du président Joe Biden en Caroline du Sud.
Au cours du voyage, il a aussi évoqué les mesures prises par l’administration Biden pour accélérer la délivrance de permis de conduire commerciaux, recruter plus de femmes ou d’anciens détenus comme chauffeurs pour résorber la pénurie de main-d’oeuvre.
M. Wade est sceptique: le plan infrastructures de 1.200 milliards de dollars, adopté récemment par le Congrès, ne s’attaque pas au problème de stationnement. « C’est décevant » car « pour que nous puissions opérer en toute sécurité, nous devons nous reposer », dit-il.
Quant à l’embauche de jusqu’à 3.000 conducteurs âgés de 18 à 20 ans, « cela pourrait vraiment être dangereux », opine-t-il, doutant de la « maturité psychique » des candidats.
Il souligne aussi la nécessité de s’attaquer aux salaires alors que les sociétés de transport rivalisent avec des entreprises comme DoorDash et Lyft. Le transport routier offre pourtant l’opportunité « de changer de vie », « d’avoir une seconde chance », souligne-t-il évoquant sa propre expérience.
Après une ascension rapide au sein de l’armée, sa carrière s’est « arrêtée brutalement » en 2011 avec son arrestation pour avoir reçu près de 100.000 dollars de pots-de-vin. Il a purgé 20 mois de prison. Mais il a vite rebondi: en 2015, il a pu acheter son premier camion après avoir créé son entreprise un an plus tôt.
Aujourd’hui, il compte conduire encore pendant cinq ans, tout en créant une coopérative avec d’autres chauffeurs de camion. Il aimerait que ses enfants travaillent dans le secteur, à condition d’avoir une « stratégie de sortie »: « On ne reste pas éternellement au volant » de son poids lourd.
1 Commentaire