La famille de Alaa Abdel-Fattah et les ONG égyptiennes s’insurgent après la condamnation de cette figure de la révolte de 2011. Une affaire qui illustre une nouvelle fois, selon elles, l’ampleur de la dégradation de la situation des droits de l’Homme en Égypte.
« Je ne suis pas surprise par ce jugement, je ne m’attendais pas à mieux », confie Laila Soueif, la mère de Alaa Abdel-Fattah, interrogé sur l’antenne arabe de France 24, après la condamnation de son fils à cinq ans de prison par un tribunal d’exception du Caire pour « diffusion de fausses informations ». Un jugement qui ne peut faire l’objet d’un appel.
Icône de la révolte de 2011 contre le régime du président Hosni Moubarak en Égypte, le militant politique Alaa Abdel-Fattah, programmeur informatique de profession, était poursuivi pour avoir partagé un tweet sur la mort suspecte d’un détenu. Il était en détention provisoire depuis plus de deux ans. Au total, depuis 2013, il a passé au sept ans en prison.
Placé sur la liste « terroriste » du Caire fin 2020, il a été condamné le, 20 décembre, avec deux autres militants : son ancien avocat Mohamed al-Baqer, et le blogueur Mohamed Ibrahim, alias Oxygen, également pour « diffusion de fausses informations ».
« Je suis en colère parce que ce ne sont pas des condamnations judiciaires, il s’agit plutôt de décisions politiques », poursuit la mère d’Alaa Abdel-Fattah, qui rappelle que les avocats n’ont même pas pu obtenir une copie de l’acte d’accusation.
Et d’ajouter : « Mon fils souffre moralement car il est sous pression depuis plus de deux ans, depuis qu’il est détenu. Il est privé de lecture, de radio, et il n’a pas le droit de faire des promenades, c’est une forme de torture ».
« Aucune opposition ni dissidence »
Depuis son arrivée au pouvoir, après la destitution du président Mohamed Morsi à l’été 2013, le président Abdel Fattah al-Sissi est dans le viseur des ONG de défense de droits humains qui dénoncent sa politique de répression contre les manifestants, les opposants, et les journalistes. Selon elles, le pays compte plus de 60 000 détenus d’opinion.
« Cette affaire démontre que nul n’est à l’abri en Égypte, lorsqu’il s’agit de politique ou même de l’expression d’un désaccord, et ce quelle que soit sa notoriété, comme le démontre le cas de Alaa Abdel-Fattah, explique à France 24 Farid Farid, correspondant de l’AFP au Caire. Il s’agit de l’un des plus célèbres prisonniers politiques du pays qui est toujours perçu par ses partisans, et ceux qui s’étaient mobilisés il y a dix ans, comme un symbole et comme l’incarnation de l’une des dernières flammes de la révolution ».
« Le message est toujours très clair : les autorités égyptiennes ne tolèreront aucune opposition ni dissidence dans le pays, souligne de son côté Hussein Baoumi, chercheur sur l’Égypte et la Libye à Amnesty International, interrogé par France 24. Quiconque osera critiquer le pouvoir, ou évoquer la question des droits de l’Homme, sera condamné au terme d’un procès injuste et détenu dans des conditions inhumaines pendant plusieurs années, comme Alaa Abdel-Fattah et ses compagnons ».
« Un climat d’impunité »
Dans un communiqué publié lundi soir, plusieurs organisations égyptiennes de défense des droits de l’Homme ont qualifié de « scandaleux » la condamnation de Alaa Abdel-Fattah, non sans demander au président Sissi d’annuler un jugement qui « prouve la poursuite de la politique hostile du gouvernement égyptien contre les droits humains ».
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Ces ONG s’appuient sur cette décision pour ironiser sur la « stratégie nationale pour les droits de l’Homme ». Un plan en cinq ans annoncé par le président Sissi le 11 septembre, et dont l’objectif est de « renforcer et de respecter davantage tous les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels ».
Dans un rapport publié le 15 novembre, l’Institut du Caire pour les études sur les droits de l’Homme avait cloué au pilori la décision de confier cette « stratégie nationale » à un comité dépendant du… ministère égyptien des Affaires étrangères.
« La stratégie ne s’adressant pas aux Égyptiens, mais plutôt à duper la communauté internationale en lançant un faux processus de réforme, il était logique de charger ce ministère de la préparer », est-il écrit dans le rapport.
Pour l’heure, sur le terrain, la situation continue de se dégrader, indique Hussein Baoumi. Ce dernier affirme que son ONG a encore récemment constaté une multiplication des violations de droits de l’Homme dans le pays.
« Il y a de plus en plus de cas de torture et de disparitions forcées, ainsi que des condamnations à la peine de mort après des procès déloyaux, le tout dans un climat d’impunité, dans lequel les autorités et des officiels sont totalement immunisés contre toute sorte de responsabilité », conclut-il.