GABRIEL BORIC, UNE FRAÎCHEUR ANDINE

L’élection du jeune président chilien montre que le mouvement vers la justice, l’égalité, le mieux-être des précaires constituent le socle d’une colère nécessaire appelée à devenir une force politique réformatrice

Je suis attentif aux tribulations de la gauche en Amérique latine, formidable laboratoire du camp progressiste dans sa capacité à apporter des avancées réelles quand il a gouverné et transformé la vie de millions de citoyens. Les exemples du Venezuela, de la Bolivie et du Chili montrent que la gauche, quand elle gouverne et reste fidèle à sa promesse initiale d’être aux côtés des précaires, réussit à changer le cours de l’histoire d’un peuple.

Le jeune Gabriel Boric –il a 35 ans– vient d’être élu à la tête du Chili, pays dans lequel la gauche a une histoire aussi belle que tragique. Pour rappel, après l’éclaircie socialiste de 1970 représentée par Salvador Allende, militaires et bourgeoisie conservatrice, soutenus par les Etats-Unis, ont renversé le président élu démocratiquement, retrouvé mort dans son palais dans des circonstances encore troubles.

Si Gabriel Boric n’est pas Salvador Allende, il faut tout de même observer une sorte de filiation entre les deux. Toute l’histoire de la gauche est une transmission entre des militants de la liberté et de l’égalité, qui ont ouvert un chemin pour qu’aujourd’hui une nouvelle génération de penseurs et d’acteurs poursuive l’aventure au service des personnes vulnérabilisées.

Dans son discours de victoire, l’ancien dirigeant syndical étudiant, fait référence à Allende, figure marquante de la tragédie de la gauche internationale : «Je me sens l’héritier d’une longue trajectoire historique, celle de ceux qui ont cherché inlassablement la justice sociale, l’extension de la démocratie, la défense des droits humains, la protection des libertés. C’est ma grande famille.»

La victoire de Gabriel Boric ne survient pas ex nihilo. Elle est le fruit d’un long processus politique et institutionnel vieux de plusieurs décennies. Les forces progressistes chiliennes, depuis le retour de la démocratie en 1990 après la sombre période de Pinochet, n’ont cessé de labourer le terrain par les idées, afin de constituer une lame de fond capable de les faire revenir au pouvoir. C’est par l’appropriation des leviers de l’Etat qu’on gagne la bataille des représentations afin de changer la face d’une Nation.

Cette élection est aussi celle de l’unité des différentes chapelles du mouvement progressiste chilien autour d’une seule et unique figure, de surcroît celle d’un jeune homme de 35 ans. Il faut dire qu’un courant politique responsable, devant le danger du fascisme, construit l’unité sur une plateforme programmatique sans nier les différences ni les divergences spécifiques aux priorités de chaque appareil. Au Chili, l’hypothèse d’un retour du fascisme des années Pinochet, incarné par le candidat Jose Antonio Kast – soutenu par la bourgeoisie libérale dont le prix Nobel de littérature 2010, récemment élu à l’Académie française, Mario Vargas Llosa– a provoqué un électrochoc et a uni le camp progressiste.

Les contextes sont certes différents. Mais nous avons des leçons à apprendre de ce continent qui ressemble à bien des égards à l’Afrique. La colonisation, les régimes autoritaires, les inégalités sociales, la présence d’un vieux fond socialiste au sein des intellectuels et de la Société civile, le rôle de la religion dans les affaires politiques sont autant de similitudes que nous avons en partage.

La donne démographique fait de l’Afrique un continent très jeune avec un âge médian de 19 ans. La victoire de Gabriel Boric pourrait donner un exemple à une jeunesse africaine qui se meurt de la politique corrompue et inefficace qu’exercent ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Elle montre aussi que la fatalité est une impasse, que le mouvement vers la justice, l’égalité, la liberté, la souveraineté populaire et le mieux-être des précaires dans une société juste, constituent le socle d’une colère nécessaire appelée à devenir une force politique progressiste et réformatrice.

La victoire du jeune Président élu chilien a aussi été acquise grâce à une alliance objective entre les partis politiques, les syndicats et les mouvements sociaux aux revendications économico-corporatives. Chez nous, les partis s’essoufflent et ne proposent plus des idées sérieuses au service de la rupture et de la transformation sociale. Ils sont déconnectés du réel et s’enfoncent dans des luttes de positionnement au service exclusif d’un leadership qui s’approprie les outils électoraux. D’où l’intérêt de créer une jonction entre les partis politiques de gouvernement et les forces sociales, autour d’un agenda progressiste afin de mettre en tension l’espace public.

Dans une interview accordée au journal EnQuête, en juillet dernier, mon ami Babacar Diop assumait l’influence de l’Amérique latine dans son travail politique et intellectuel. Il disait : «Je pense fondamentalement, et de ce côté, j’ai une culture latino-américaine, que reconstruire le mouvement de Gauche en Afrique, c’est permettre aux partis de genre nouveau comme Fds/Les Guelewaars de travailler à structurer une alliance stratégique avec [les] mouvements sociaux. La Gauche latino-américaine travaille avec les organisations syndicales et les mouvements sociaux. C’est ce qui a amené Lula au pouvoir.». Et aujourd’hui Gabriel Boric

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