Élu à la surprise générale en août dernier, le nouveau chef de l’État a adopté un style radicalement différent de celui de son prédécesseur. Partisan d’un libéralisme économique et politique, cet ancien homme d’affaires qui a connu la torture et la prison veut en finir avec la corruption et remettre son pays sur les rails. Pour, enfin, obtenir des résultats.
Hakainde Hichilema ne correspond pas vraiment à l’image que l’on se fait d’un révolutionnaire. Toujours vêtu d’un costume, parlant couramment le langage des experts-comptables (il a dirigé deux cabinets internationaux) et maniant à merveille l’analyse comparative des systèmes fiscaux, le deuxième plus gros éleveur de Zambie peut sembler plus à l’aise dans une salle de réunion que dans un meeting de campagne.
Des coups et des bosses
Homme d’affaires autodidacte, qui prône le libéralisme social et économique, Hakainde Hichilema est aussi une personnalité politique atypique, qui a connu la prison et la torture. En août dernier, alors qu’il n’avait pas encore 60 ans et qu’il briguait pour la sixième fois la magistrature suprême, il a finalement été porté à la tête du pays, battant sèchement le président sortant, Edgar Lungu, au pouvoir depuis 2015. Ce faisant, et malgré les coups et les bosses récoltés durant la campagne, il a prouvé qu’avec un peu de stratégie, d’unité et beaucoup de détermination, l’impossible était à portée de vote.
Le système tout entier était cassé
Sitôt élu, il s’est fixé une feuille de route ambitieuse : libéraliser un système politique sur lequel l’État n’avait cessé de renforcer son emprise les années précédentes ; conclure un accord avec les créanciers alors que le pays était en défaut de paiement ; reconstruire l’économie, mais aussi les services d’éducation et de santé publique… Un programme si ambitieux qu’il en est révolutionnaire. « Le système tout entier était cassé, se justifie le nouveau président. Des dettes énormes, une dépense publique folle, des ressources fiscales détournées par une poignée d’individus… Tout était politisé et corrompu. »
Quand, à l’issue du scrutin du 12 août, la commission électorale a annoncé sa victoire avec 60 % des suffrages, contre 38 % pour Lungu, il y a eu comme un moment de flottement. Le sortant allait-il accepter sa défaite ? Ne fallait-il pas redouter les milliers de policiers et de soldats rappelés pour défendre Lungu et son parti, le Front patriotique (PF) ?
En coulisses, les négociations ont commencé. Rupiah Banda, ancien président de la Zambie, et Jakaya Kikwete, ex-chef de l’État tanzanien, ont organisé une rencontre entre les deux rivaux. Rendez-vous a été donné au domicile de Banda, qui s’est efforcé de convaincre le sortant de ne pas contester les résultats – et cela n’allait pas de soi, tant l’inimitié entre Lungu et Hichilema était forte. Ce jour-là, Hichilema ne ménage pas son adversaire. « Je voulais lui dire que je n’aimais pas la façon dont il dirigeait le pays, qu’il avait la main lourde, qu’il était autocratique et que des gens mouraient inutilement, raconte-t-il. Mon message, c’est que nous, nous allions diriger le pays différemment, à l’opposé de la façon dont il procédait. »
J’ai dit à Lungu que nous n’allions pas poursuivre des individus parce qu’ils avaient travaillé avec lui, mais parce qu’ils avaient commis un crime
Très vite s’est posée la question de la responsabilité pénale de Lungu. « Je lui ai dit très clairement que nous aurions une tolérance zéro dans notre lutte contre la corruption, poursuit le président zambien. Et que nous n’allions pas poursuivre des individus parce qu’ils avaient travaillé avec lui, mais parce qu’ils avaient commis un crime. » Des enquêtes ont depuis été ouvertes. Lungu pourrait-il se retrouver devant les tribunaux ? « Si les crimes ont été commis lorsqu’il était en fonction, je pense qu’il est couvert par l’immunité, élude son successeur. À moins que celle-ci ne soit levée [par le Parlement]. C’est comme ça que cela fonctionne. »
Dans le collimateur de la justice
C’est ce qui s’était passé en 2008, lorsque le président de l’époque, Levy Mwanawasa, avait demandé aux élus zambiens de lever l’immunité de son prédécesseur, Frederick Chiluba, accusé de corruption. Aujourd’hui, Hichilema et son entourage ne souhaitent pas dire si Lungu fait, à titre personnel, l’objet d’une enquête. Mais, de fait, nombre de ses partenaires en affaires sont aujourd’hui dans le collimateur de la justice.
On a essayé de m’éliminer, mais j’ai survécu
C’est le cas de Valden Findlay, souvent décrit comme le « meilleur ami » de Lungu et qui, quoique dépourvu de rôle officiel, l’accompagnait lors de la plupart de ses déplacements à l’étranger. Après les élections, la Commission de lutte contre la drogue (DEC) a gelé ses comptes bancaires. La même DEC a annoncé qu’elle enquêtait sur l’ancien ministre des Affaires étrangères, Joseph Malanji, et sur l’ancien ministre de la Santé, Chitalu Chilufya. Tous deux sont soupçonnés « de crimes financiers et de blanchiment d’argent ». Les enquêteurs cherchent notamment à savoir comment Malanji a pu réunir 1,4 million de dollars en espèces pour acheter un hélicoptère, en mars dernier. Hichilema insiste néanmoins sur le fait qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières : la loi sera appliquée, mais « pas dans une logique de vengeance ».
« On a essayé de m’éliminer, mais j’ai survécu », poursuit-il. De ses années d’opposition, Hichilema garde un souvenir cuisant. Il a été arrêté et détenu pas moins de 20 fois lorsque Lungu était au pouvoir. Il a même été accusé de trahison pour ne pas s’être rangé sur le bord de la route à l’approche du convoi du président, en avril 2017. Un mandat avait été délivré à son encontre et des officiers armés avaient fait irruption chez lui, à Lusaka, pour l’arrêter. Après avoir mis sa famille à l’abri dans une pièce sécurisée, Hichilema était parvenu à échapper à la police. Plusieurs membres de son personnel avaient néanmoins été battus, des objets de valeur lui avaient été dérobés et une grande partie de ses biens avaient été vandalisés.
Une seringue cachée dans la bible d’un faux prêtre
Le lendemain, il s’était présenté au poste de police. Il sera détenu pendant quatre mois sans procès, période pendant laquelle il dit avoir été battu et torturé. Il raconte qu’un jour, un homme habillé en prêtre et tenant une bible s’est présenté dans sa cellule. « Je pouvais voir qu’il avait caché quelque chose dans sa bible. Il s’est avéré que c’était une seringue hypodermique. » Hichilema en est convaincu, on a tenté de le tuer. Et ce n’était ni la première ni la dernière fois.
Plus tard, alors qu’il avait fini par être libéré grâce à l’intervention d’Olusegun Obsanjo, l’ancien président nigérian, et de Patricia Scotland, la secrétaire générale du Commonwealth, Hichilema identifiera son agresseur, obtenant même une ordonnance exigeant que l’État le présente au tribunal. Mais l’État n’a pas obtempéré et l’homme est toujours en fuite.
Beaucoup de gens ont été mis en prison pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis
Sous la pression internationale, Lungu s’est éloigné du bord du gouffre dans lequel il paraissait sur le point de précipiter la Zambie. Il a proposé un dialogue politique à l’opposition, ce qui lui a surtout permis de gagner du temps sans avoir à procéder à de réels changements. « Le système était autocratique et lourd, et beaucoup de gens ont été mis en prison pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis », regrette Hichilema, en expliquant comment sa formation, le Parti unifié pour le développement national (UPND), a adapté sa stratégie électorale à cet environnement répressif. « Il a fallu composer avec ce contexte et trouver le moyen de faire campagne, évidemment dans la clandestinité, sans jamais lâcher le ballon des yeux. »
« Il y a des leçons à en tirer pour tous ceux qui croient en l’État de droit et en la démocratie. Vous pouvez accomplir de grandes choses sans recourir à la violence ou à la lutte armée, qui abîme les fondations d’un pays. » Pour la Zambie, qui partage une frontière avec la tumultueuse RDC, c’est plus qu’un argument rhétorique. Fin novembre, Hichilema est d’ailleurs allé à Kinshasa à la rencontre de son homologue congolais, Félix Tshisekedi, pour trouver le moyen de stimuler les échanges et les investissements entre leurs deux pays.
Rencontre avec Tshisekedi
Les deux hommes s’entendent bien. Tous deux ont longtemps été dans l’opposition avant d’accéder à la magistrature suprême et tous deux veulent se débarrasser de l’ombre de leurs prédécesseurs. Leurs pays sont aussi les principaux producteurs de cuivre et de cobalt sur le continent. La RDC produit environ 70 % du cobalt mondial et cela n’est sans doute pas un hasard si la visite d’Hichilema a coïncidé avec la tenue d’une conférence visant à promouvoir la production de batteries pour les voitures électriques – un marché qui devrait dépasser les 50 milliards de dollars d’ici 2025. « Ce passage des voitures à essence aux véhicules électriques a un impact sur le prix de nos métaux. Nous en sommes conscients et nous voulons tirer le meilleur de cette opportunité. Ces revenus, nous les utiliserons pour construire une économie plus verte », affirme Hichilema.
« La Zambie est un pays stratégiquement situé, poursuit-il. Nous travaillons à en faire un centre de production, de valeur ajoutée et de logistique. » Pour que cela devienne une réalité, il prévoit la construction de voies ferrées à écartement standard à travers la Zambie, reliant l’Afrique du Sud à la RDC et à la Tanzanie. Il souhaite également que les frontières entre le Congo et la Zambie restent ouvertes 24 heures sur 24 et que les exportations vers l’Afrique du Sud soit facilitées.
Sous la présidence de Lungu, tout était toujours lié au parti
Parallèlement, il entend mettre l’accent sur la bonne gouvernance. « Nous avions auparavant un problème de leadership, qui était politisé. Tout était toujours lié au parti, et ce n’est pas ainsi que nous voyons les choses. » Sous la présidence de Lungu, les cadres du PF ont effectivement pris le contrôle de vastes pans de l’économie – marchés, gares routières, distribution d’engrais et de semences dans les zones agricoles.
Quelques jours après sa victoire, Hichilema a par ailleurs limogé les chefs de la sécurité. « Il était nécessaire de procéder à des changements essentiels. Comment voulez-vous demander à un inspecteur général de la police dont les hommes brutalisaient la population de continuer ? Comment voulez-vous qu’il dise : “Maintenant, les citoyens ont des libertés. Ils ont des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.” Pendant des années, ils ont été soudoyés pour ne pas protéger les citoyens ! »
Hichilema a ensuite constitué son équipe économique. Il s’est notamment entouré de deux vétérans de la scène zambienne. Denny Kalyalya, qu’un bras de fer avait opposé à Lungu, a fait son grand retour au poste de gouverneur de la Banque centrale. Ancien haut cadre de la Banque mondiale, il est revenu avec la garantie que la structure serait indépendante et aurait un objectif prioritaire : faire baisser l’inflation, à son plus haut niveau depuis deux décennies.
L’autre revenant est le ministre des Finances, Situmbeko Musokotwane, qui avait occupé ce portefeuille sous la présidence de Rupiah Banda (2008-2011). Sur la même ligne que Kalyalya et Hichilema, Musokotwane estime que les comptes du gouvernement ne tenaient jusqu’à présent pas la route et que l’économie avait besoin d’un traitement radical. Sa priorité ? Restructurer la dette extérieure du pays, qui s’élève à 13 milliards de dollars.
Le chef de l’État devra aussi veiller à ce que le secteur minier soit remis en ordre, d’autant qu’une enquête sur la vente de certains actifs appartenant à l’État a révélé qu’ils avaient été détournés. L’enjeu est d’autant plus important qu’Hichilema ambitionne de quadrupler sa production de cuivre au cours des dix prochaines années. Le prix mondial de ce minerai a dépassé 10 000 dollars la tonne en juin et devrait atteindre 20 000 dollars la tonne d’ici dix ans. Avec ses richesses en cuivre, les plus importantes d’Afrique après celles de la RDC, la Zambie s’est lancée dans une course contre la montre pour augmenter la rentabilité des mines, handicapée par des années de sous-investissement et de querelles politiques.
Hichilema sait être patient, sa trajectoire politique en atteste. Mais sa position et son style de gouvernement sont ancrés dans la culture d’entreprise. Si, avec son sens des affaires, sa rigueur d’expert-comptable, sa culture du résultat et les technocrates dont il s’est entouré, il parvient à redresser l’économie, grâce notamment aux perspectives qu’offre le cuivre, alors il pourrait bien avoir gagné son pari.
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