Au Soudan, l’armée recourt au viol pour intimider les manifestantes

Women chant slogans protesting sexual violence, days after the U.N. human rights office called for an independent investigation into allegations of sexual violence including rape and gang rape during mass anti-coup protests in Sudan earlier this week, in the twin city of Omdurman, about 18 miles (30 km) northwest of the capital Khartoum, Sudan, Thursday, Dec. 23, 2021. (AP Photo/Marwan Ali)

Plus d’un millier de Soudanaises ont dénoncé jeudi les agressions sexuelles commises par les forces de sécurité lors des manifestations organisées à l’occasion du troisième anniversaire de la « révolution » et pour protester contre le putsch militaire du 25 octobre.

« Les viols ne nous arrêteront pas. » Les femmes soudanaises ont affiché leur détermination, jeudi 23 décembre, à Khartoum, alors que plusieurs cas d’agressions sexuelles commises lors des manifestations monstres du dimanche précédent ont été rapportés.

« On ne veut pas seulement que justice soit rendue aux Soudanaises violées à Khartoum » dimanche, « mais à toutes celles qui l’ont été depuis le coup d’État de Béchir » en 1989, réclame Nahla Issa, 23 ans, interrogée par l’AFP.

Selon l’ONU, au moins 13 femmes et filles ont été victimes de viols ou de viols collectifs. « Notre bureau conjoint des droits de l’Homme au Soudan a également reçu des allégations de harcèlement sexuel par les forces de sécurité à l’encontre de femmes qui tentaient de fuir la zone autour du palais présidentiel dans la soirée du 19 décembre 2021 », a détaillé une porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme lors d’un point presse.

Selon des informations recueillies par France 24, des hommes auraient également été violés pendant ces événements, au cours desquels deux manifestants sont morts et environ 300 autres ont été blessés.

Les autorités soudanaises n’ont pas encore commenté ces accusations, mais plusieurs pays occidentaux ont d’ores et déjà appelé Khartoum à « mener une enquête indépendante ».

Dans une déclaration commune, l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni ont condamné l’usage des violences sexuelles « comme une arme pour éloigner les femmes des manifestations et les réduire au silence ».

En première ligne

Ce n’est pas la première fois que l’armée soudanaise est accusée de ce type de violences. En juin 2019, plusieurs dizaines d’agressions sexuelles avaient été perpétrées lors de la dispersion d’un sit-in pro-démocratie à Khartoum.

Selon les organisations de défense des droits humains, le viol a régulièrement été utilisé comme une arme dans le conflit au Darfour.

Figures de proue de la révolution, les femmes soudanaises ont joué un rôle central dans la chute de l’autocrate Omar el-Béchir en 2019. Surnommées les « Kandaka », en référence aux reines nubiennes du royaume de Koush, elles n’hésitaient pas à faire face aux forces de sécurité lors de manifestations violentes.

Les femmes ont aussi largement pris part aux rassemblements organisés ces derniers mois pour dénoncer le coup d’État militaire puis le retour au pouvoir du Premier ministre Abdallah Hamdok, accusé de « trahison » par les partisans du pouvoir civil. Destitué le 25 octobre après le putsch mené par l’armée, Hamdok est revenu aux manettes le mois dernier dans le cadre d’un accord politique controversé conclu avec la junte.

« Si les femmes sont aussi nombreuses à manifester, c’est qu’elles ont toutes quelque chose à défendre », explique à France 24, l’activiste Waad Bahjet. « Certaines ont subi des violences sexuelles, d’autres n’ont pas accès à l’éducation, d’autres encore ne peuvent pas trouver de travail. Chaque femme a ses raisons. »

L’espoir d’une révolution pour les femmes

Ingénieure en géologie, Waad Bahjet est connue pour ses vidéos Facebook mettant en lumière les discriminations dont sont victimes les femmes soudanaises. Fin mars, la militante a écopé de six mois de prison avec sursis pour avoir filmé des militaires dans une station-service refusant d’approvisionner les véhicules conduits par des femmes.

L’épisode est révélateur des blocages qui perdurent dans la société soudanaise malgré la chute de la dictature islamiste d’Omar el-Béchir. Les femmes restent en effet peu représentées en politique et continuent de subir harcèlements et discriminations, comme en témoigne la loi sur le statut personnel qui prive de nombreux droits les femmes divorcées.

« Une femme divorcée doit encore demander à son ex-mari l’autorisation de voyager avec ses propres enfants. Cela fait des années que l’on réclame l’abrogation de cette loi », rappelle Waad Bahjet.

Selon la militante, rien n’arrêtera les femmes soudanaises dans leur combat pour l’égalité. « Les femmes soudanaises vont gagner. Elles sont éduquées, courageuses et ont conscience de leurs droits. La révolution continue et nous n’abandonnerons jamais ».

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