Il n’y a jamais eu autant d’éclairs aussi près du pôle Nord qu’en 2021. Une multiplication des orages dans une zone qui, jusqu’à récemment, en était presque entièrement épargnée. Pour les scientifiques, c’est une des signes les plus révélateurs du réchauffement climatique.
Coups de foudre en Arctique. Et pas qu’un peu. Il y a eu 7 278 éclairs enregistrés au-delà du 80e parallèle – soit plus au Nord encore que la pointe Nord du Groenland –, a constaté Vaisala, une société finlandaise de mesures d’événements environnementaux, dans son rapport annuel publié vendredi 7 janvier.
C’est deux fois plus que le nombre d’éclairs qui se sont abattus sur cette région durant les huit dernières années combinées, précisent les auteurs de ce document. Une hausse spectaculaire qu’il convient tout de même de relativiser car « on part de presque rien ces dernières années aussi loin au Nord, et il suffit qu’il y ait eu quelques événements orageux avec plusieurs centaines d’éclairs pour obtenir un tel résultat », souligne Sander Veraverbeke, un climatologue à l’Université libre d’Amsterdam qui a été l’un des premiers à s’intéresser à partir de 2014-2015 aux éclairs dans la région arctique.
Un avant-goût des bouleversements à venir
Il n’empêche, le simple fait que la foudre s’aventure toujours plus loin au Nord est jugé extraordinaire et inquiétant à la fois par un nombre croissant de scientifiques qui s’y intéressent. La multiplication de ces éclairs dans l’Arctique, soit au nord du 65e parallèle, « constitue en effet un indicateur important de l’accélération du réchauffement climatique », note Declan Finney, climatologue à l’institut de recherche Ronin (New Jersey), contacté par France 24.
« On parle tout de même de ce qu’on considère avant tout comme des événement tropicaux qui se produisent de plus en plus souvent dans l’Arctique », souligne ce spécialiste. En 2002, des scientifiques avaient interrogé les populations locales dans la région Arctique au nord du Canada et « personne n’avait vu plus d’une poignée d’éclairs dans sa vie. L’un de plus âgés n’avait assisté qu’à un seul orage, soixante-dix ans plus tôt », note le site de la chaîne National Geographic.
Il faut, en effet, un cocktail très précis pour qu’un orage et des éclairs soient possibles. Un mélange qui n’était pas commun dans l’Arctique : une forte humidité, une certaine chaleur à la surface du sol, une température plus froide en altitude et une météo instable.
L’humidité « n’a jamais été un problème dans cette région océanique », souligne Sander Veraverbeke. Mais les températures ont longtemps été trop basses. À cet égard, « il ne fait nul doute que la hausse du nombre d’éclairs en Arctique est une phénomène attribuable au réchauffement climatique », ajoute ce spécialiste.
C’est aussi « un avertissement de ce qui nous attend [c’est-à-dire davantage d’orages qui seront plus virulents, NDLR] ailleurs », affirme Declan Finney. La hausse des températures en Arctique est, en effet, bien plus rapide que dans le reste du monde et, à ce titre, c’est un avant-goût des bouleversements à venir à cause du réchauffement climatique.
Quand le permafrost brûle
En attendant que des orages toujours plus fréquents et violents ne frappent les rivages des régions plus tempérées, cette multiplication d’éclairs dans le grand Nord entraîne un autre risque pour cet écosystème : les incendies. Car dans cette partie du monde très peu peuplée, ce n’est pas l’homme qui allume les feux de forêts, mais presque toujours la foudre.
« Quand on parle de l’Alaska ou de la Sibérie, voire encore plus au Nord, les incendies ne sont pas ce qui vient en premier à l’esprit, pourtant il y en a eu un nombre record dans la région Arctique en 2019 et 2020 », souligne Sander Veraverbeke qui travaille spécifiquement sur les interactions entre climat et incendies.
Et c’est un problème pour le climat. Il y a, en effet, de grandes quantités de carbone qui sont stockées sous la toundra de ces zones très au Nord. « Les feux qui se déclarent dans ces régions sont très dangereux pour le climat car la terre organique qui y brûle rejette bien plus de carbone au mètre carré que les sols des zones tempérées », affirme Sander Veraverbeke.
Ces incendies transforment aussi petit à petit la nature des sols et « ouvrent la voie à une expansion toujours plus au Nord des forêts, plus promptes ensuite à brûler et à libérer encore davantage de CO2« , ajoute Declan Finney.
C’est un véritable cercle vicieux climatique qui s’installe. La crise climatique « fait monter les températures dans l’Arctique, ce qui entraîne une hausse des orages et des éclairs, qui suscitent davantage d’incendies, qui ont pour conséquence d’aggraver le réchauffement climatique », résume Sander Veraverbeke.
Sans compter la bombe à retardement que représente le permafrost. Pour le spécialiste de l’Université libre d’Amsterdam, ce gigantesque « réfrigérateur à carbone et à méthane » – qui retient près de 1 600 milliards de tonnes de carbone – risque également, à cause des incendies, de relâcher dans l’atmosphère les gaz à effet de serre qu’il conservait bien au froid sous un couche de terre perpétuellement gelée.
Le problème est qu’on ne sait pas précisément à quel point les incendies et le réchauffement climatique vont accélérer les rejets dans l’atmosphère du carbone qui était jusque-là prisonnier du permafrost. « C’est l’une des grandes questions que se posent les scientifiques qui se penchent de plus en plus sur ce problème », reconnaît Declan Finney. Pour lui, plus la foudre frappe l’Arctique, plus il devient « urgent de mieux comprendre l’effet des incendies sur le permafrost ».
france24