Les recherches en cours sur la fusion nourrissent le rêve d’une énergie plus propre et plus sûre
Soixante-dix millions de degrés pendant 17 minutes et 36 secondes. Le 30 décembre dernier, la Chine a établi un nouveau record dans l’un de ses trois réacteurs à fusion nucléaire surnommés « soleils artificiels ». L’objectif est en effet d’y reproduire expérimentalement les conditions de température et de pression observées au cœur des étoiles. La matière forme alors un plasma, un état ni solide, ni liquide, ni gazeux et dans lequel les atomes d’hydrogène fusionnent entre eux, libérant ainsi de l’énergie.
Contrairement aux réacteurs nucléaires actuels, qui reposent sur le principe de la fission – un noyau d’uranium éclate en deux atomes plus légers –, la fusion offre, selon les spécialistes, une source d’énergie plus sûre, plus propre et quasi illimitée. En effet, la réaction ne peut pas s’emballer, les variations de température et de pression l’interrompant ; les déchets produits ne restent pas radioactifs plus d’une centaine d’années et l’énergie de fusion contenue dans les atomes d’hydrogène d’un litre d’eau de mer est équivalente à 250 litres de pétrole ou 300 kilos de charbon.
Ces derniers mois, ces deux champs scientifiques voient les records tomber les uns après les autres.
Une nouvelle frontière énergétique donc, une sorte de Graal après lequel les scientifiques courent depuis près de soixante-dix ans. Car recréer sur la terre ferme les conditions qui font briller les étoiles n’a rien d’évident. Il y a jusqu’ici deux grands types d’approche pour confiner la matière et la faire parvenir à ces températures et pressions extrêmes : soit dans d’immenses chambres à vide en forme de donut (dénommées tokamak, leur acronyme en russe) soumis aux champs magnétiques d’énormes aimants – c’est la fusion par confinement magnétique –, soit dans une petite capsule de 2 millimètres de diamètre comprimée et chauffée par des faisceaux laser – c’est la fusion inertielle.
Ces derniers mois, ces deux champs scientifiques voient les records tomber les uns après les autres. En août dernier, les 192 lasers du National Ignition Facility (NIF) en Californie ont produit 1,9 mégajoule, dont les chercheurs américains ont pu en récupérer 1,3 sous forme d’énergie thermonucléaire. Autrement dit, on a frôlé le seuil d’ignition, le moment où l’on récupère autant d’énergie thermonucléaire que ce que l’énergie laser a fourni, correspondant au seuil d’allumage d’une réaction de fusion autoentretenue.
En septembre, la start-up américaine Commonwealth Fusion Systems (CFS) issue du prestigieux MIT, le Massachusetts Institute of Technology de Boston, a réussi à créer un champ magnétique de 20 teslas, soit 400.000 fois celui de la Terre, à l’aide d’un nouvel aimant supraconducteur. Et en Chine la semaine dernière, c’est un nouveau record de température sur la durée qui a été pulvérisé. « Nous cherchons à bâtir la pyramide de Khéops. Chaque étage compte. Et jusqu’ici, toutes les pierres s’emboîtent bien », résume André Grosman, directeur adjoint de l’Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique (IRFM) au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Des financements publics qui tardent
La France est présente dans cette course scientifique. Le Laser Mégajoule se trouve près de Bordeaux, où les premières expériences ont commencé en 2019 et doivent monter à pleine puissance d’ici à 2028.
Sur le site de Cadarache près de Marseille, le plus grand réacteur civil de fusion nucléaire est en cours d’assemblage : Iter, fruit de la collaboration scientifique de 35 pays, dont les États-Unis, la Chine et l’Europe. Ce tokamak dix fois plus grand que ceux actuellement utilisés devrait être pleinement en fonction en 2035. « Iter doit pouvoir produire pendant des minutes voire une heure une puissance de l’ordre de 500 mégawatts, soit le même ordre de grandeur que ce que produit actuellement une centrale électrique, explique André Grosman. Ce sera la démonstration préindustrielle de l’efficacité de la fusion. »
Car malgré l’urgence climatique et les avancées récentes, le calendrier de la production énergétique par fusion est encore théorique et lointain. Les chercheurs évoquent avec de plus en plus de certitudes scientifiques la deuxième moitié du XXIe siècle. L’émergence d’acteurs privés pourrait toutefois venir accélérer considérablement cette quête de l’énergie propre.
Avec l’entrée en jeu de start-up financées par des investisseurs comme Bill Gates ou Jeff Bezos, les levées de fonds sont beaucoup plus rapides que les financements publics, favorisant ainsi les paris technologiques et les innovations de rupture. Par ailleurs, le nouveau record établi par la Chine fait la démonstration de son investissement dans le domaine de l’énergie, ce qui pourrait donner des idées à ses partenaires scientifiques mais néanmoins concurrents sur la scène internationale.
journaldudimanche
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