Un hôpital de Boston aux États-Unis a refusé à l’un de ses patients, âgé de 31 ans, au motif qu’il n’est pas vacciné contre le Covid-19. En pleine vague Omicron de la pandémie, la question de l’égalité de traitements des personnes non-vaccinées a été posée par des professionnels de santé. Quels problèmes éthiques cette possibilité soulève-elle ? Éléments de réponse.
« Est-il logique de bénéficier des soins gratuits quand on a refusé pour soi la vaccination gratuite et qu’on met doublement en danger les autres, en pouvant les contaminer et en pouvant prendre une place en soins intensifs nécessaire pour un autre patient ? » C’est une phrase qui a suscité l’indignation dans la communauté médicale française. Le 26 janvier, le directeur de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) Martin Hirsch s’est interrogé sur la possibilité de cesser de soigner gratuitement les personnes non-vaccinées contre le Covid-19. Pourtant, la question de conditionner l’accès au soin au statut vaccinal est posée par certains.
Le 2 janvier, le professeur André Grimaldi estimait pour sa part que les non-vaccinés devraient pouvoir dire s’ils souhaitent ou ne souhaitent pas être placés dans un lit de réanimation. La France ne dispose que de 6 300 lits de réanimation. Même si ces lits sont occupés par des personnes non-vaccinées, faut-il les priver de soins ? Les membres de la communauté médicale sont d’accord pour dire que cela soulèverait d’importants problèmes éthiques.
Si on commence à envisager de ne pas soigner ou de soigner quelqu’un en le faisant payer sur des choix qu’il aurait fait, on ne soigne plus personne.Anne-Sophie Debué, infirmière à l’APHP
Faut-il trier les patients selon leur statut vaccinal ?
« Ces opinions restent des questions posées par une infime minorité » estime Anne-Sophie Debué, infirmière à l’APHP. Elle considère que « si on commence à envisager de ne pas soigner ou de soigner quelqu’un en le faisant payer sur des choix qu’il aurait fait, on ne soigne plus personne ». L’infirmière concède également que ces opinions « sont surtout le reflet de la fatigue et de la lassitude des soignants ». Par ailleurs, « dans la réalité des faits, les patients non-vaccinés qui arrivent en réanimation sont bien souvent désolés de la situation », raconte-t-elle.
En France, chaque médecin prête un serment, appelé le serment d’Hippocrate, avant de commencer à exercer. Il est souvent considéré comme une base déontologique pour la profession. « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux », indique le serment. Christophe Prudhomme est médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis et syndicaliste CGT. Il rappelle que selon ce serment, il est impossible de privilégier un patient vacciné au détriment d’un autre qui ne l’est pas. « Si on met le doigt dans cet engrenage, demain on ne soignera plus les patients atteints d’un cancer du poumon parce qu’ils étaient des fumeurs » estime-t-il. À cela il ajoute que « si on ne s’occupe pas de la santé de l’ensemble des gens présents sur un territoire, quel que soit leur statut, on nuit à la santé de l’ensemble des gens présents sur le territoire. »
Le travail d’un médecin en soins intensif ou en réanimation, c’est de prendre en charge les malades dont la vie est menacée.
Jean-Daniel Chiche, chef du service réanimation du CHUV de Lausanne
Jean-Daniel Chiche, chef du service réanimation du CHUV de Lausanne, partage ce point de vue. Selon lui, « le travail d’un médecin en soins intensif ou en réanimation, c’est de prendre en charge les malades dont la vie est menacée. » Il estime également que le la saturation des lits covid par des patients non-vaccinés ne doit pas poser la question de leur admission aux soins. Il fait un parallèle avec une autre pathologie : « les patients qui viennent avec un cancer du poumon, la grande majorité d’entre eux sont fumeurs. » « Ce qu’ils ont fait jusque là pour arriver en réanimation, ce n’est pas une histoire qui rentre en ligne de compte », rappelle Jean-Daniel Chiche.
Quid de la suspension du personnel médical non-vacciné ?
Certains pays ont adopté une obligation vaccinale uniquement pour le personnel soignant. Cela a contraint le personnel non-vacciné à une suspension de poste. Jean-Daniel Chiche rappelle que l’obligation vaccinale des soignants existant déjà bien avant la pandémie de Covid. « Quand j’ai commencé ma carrière comme jeune médecin, il fallait montrer qu’on était vacciné contre l’hépatite B ou qu’en était guéri, ça ne faisait hurler personne. »
Nous manquons tellement de personnel qu’il est déraisonnable d’exclure des gens qui ne sont pas vaccinés et qui acceptent de se faire tester pour venir travailler.Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis
La même chose s’est appliquée pour Anne-Sophie Debué. « Pour devenir infirmière, on m’a demandé de me faire vacciner pour éviter de donner un certain nombre de maladies à mes patients. » Elle concède toutefois que la vaccination contre le Covid-19 ait pu en effrayer certains, dont des membres du corps médical. Aussi, la profession a été mise à rude épreuve au cours de la pandémie. « Après toutes les demandes, le fait de travailler toujours plus à flux tendus, avec toujours moins de personnel, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », estiment-elle.
Christophe Prudhomme pense quant à lui que la suspension des personnels de santé non-vacciné n’a pas lieu d’être dans la conjoncture actuelle. « Aujourd’hui, nous manquons tellement de personnel qu’il est déraisonnable d’exclure des gens qui ne sont pas vaccinés et qui acceptent de se faire tester pour venir travailler », décrit-il. Il considère aussi que « médicalement, il y a moins de risques à faire travailler un personnel non-vacciné, testé négatif que de faire travailler un personnel vacciné et positif ».
Un patient atteint du Covid-19 doit-il être soigné au détriment d’un autre ?
Au-delà de la question vaccinale, un autre problème a été soulevé au cours de la pandémie : le tri des patients. En effet, l’afflux de personnes mises en difficulté par le Covid-19 a contraint les hôpitaux à réadapter leurs activités et à déprogrammer certains actes. Jean-Daniel Chiche admet qu’on « n’a pas assez de recul pour dire quelles seront les conséquences de la pandémie de ce point de vue-là. »
Des patients qui mériteraient d’être surveillés de près en réanimation se retrouvent à attendre plus que nécessaire voire plus que raisonnable.Anne-Sophie Debué, infirmière à l’APHP
Anne-Sophie Debué admet que l’afflux de patients, non-vaccinés pour la plupart a conduit à une surcharge de travail. Mais elle estime que cette surcharge « ne pose pas de problème en tant que tel », car les services de réanimations sont habitués à faire face à un afflux de patients en période hivernale, même hors pandémie. Cela provoque des situations où ces services manquent de lits. Selon elle, le problème est le manque de place dans les services de réanimation. « Des patients qui mériteraient d’être surveillés de près en réanimation se retrouvent à attendre plus que nécessaire voire plus que raisonnable », s’inquiète-t-elle.
Nous n’avons pas l’outil hospitalier adapté pour gérer à la fois les urgences et l’activité classique.Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis
« Les patients qui arrivent à l’hôpital, quelle que soit leur pathologie, on les prends en charge en fonction de l’urgence et du degré de gravité », soutient Christophe Prudhomme. Selon lui, le problème vient surtout du manque de moyens dont souffrent les hôpitaux. « Nous n’avons pas l’outil hospitalier adapté pour gérer à la fois les urgences et l’activité classique », rappelle-t-il.
Le chef du service de réanimation du CHUV de Lausanne Jean-Daniel Chiche défend l’idée d’une déprogrammation intelligente, selon l’importance de l’acte réalisé, « même si c’est difficile, pour ne pas qu’il y ait de perte de chance. » Il estime que « personne ne défend l’idée qu’il faut déprogrammer des patients qui ont un cancer pour favoriser les patients qui ont le Covid. » Tout comme Christophe Prudhomme, il explique que la prise en charge est faite selon la gravité de la situation. « Les patients qui ont un Covid grave arrivent aux urgences incapables de respirer. Si l’on ne fait rien, ils vont mourir, décrit-il. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre que de les prendre en charge et d’essayer d’éviter qu’ils meurent ? »