Assaut meurtrier contre une prison en Syrie, attaque sanglante contre une base militaire en Irak… malgré la chute de leur « califat » autoproclamé en 2019, les jihadistes de l’organisation État islamique restent très actifs dans ces deux pays voisins où ils ont récemment encore frappé. Décryptage avec Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24.
Quatre ans après la « victoire » du gouvernement irakien sur les jihadistes fin 2017, suivie de la perte de son dernier bastion syrien en mars 2019, l’organisation État islamique (EI) continue de sévir dans ces deux pays voisins, sur une partie desquels elle avait autoproclamé son « califat » en juin 2014.
Alors que l’assaut meurtrier lancé, le 20 janvier, par des membres du groupe jihadistes contre la prison de Ghwayran à Hassaké, était toujours en cours dans le nord-est de la Syrie, onze soldats de l’armée irakienne ont été tués, samedi 22 janvier, lors d’une attaque nocturne menée par l’EI contre une base militaire dans la province de Diyala, dans l’est de l’Irak.
Ces opérations meurtrières, quasi simultanées, font craindre une régénération de l’organisation jihadiste, qui reste une menace permanente et quotidienne dans la région.
« Les événements qui ont lieu de part et d’autre de la frontière syro-irakienne démontrent que les jihadistes de l’EI sont non seulement toujours très actifs dans ces deux pays, mais aussi que l’organisation a renforcé ses capacités pour mener des opérations de plus en plus complexes et coordonnées », souligne Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24.
Une démonstration de force de l’EI
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, avaient déclaré le 26 janvier avoir repris le contrôle de la prison de Ghwayran, où étaient détenus des milliers de jihadistes, au terme de six jours d’intenses combats. Sauf que des opérations de ratissage sont toujours en cours dans les alentours de la prison, dans laquelle se trouvent encore des membres de l’EI qui refusent de se rendre.
« L’assaut, qui a nécessité, en plus des combattants kurdes, une intervention des avions de chasse et des hélicoptères de l’armée américaine ainsi que l’appui des forces spéciales américaines et britanniques, n’est pas complètement maîtrisé puisque des escarmouches sont encore signalées dans des rues adjacentes », indique Wassim Nasr.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, sept jihadistes ont été tués lors d’un raid aérien mené par la coalition internationale dirigée par Washington dans un secteur proche de la prison.
Wassim Nasr rappelle que l’EI, dont le dogme impose de libérer les siens des prisons, avait déjà préparé, en novembre, une opération de ce type contre le même centre carcéral syrien, mais que le projet avait été déjoué rapidement grâce à des renseignements américains.
« À l’époque, une voiture piégée avait été détruite dans sa cachette loin de la prison », poursuit Wassim Nasr. « Mais les jihadistes ont pu remonter une équipe et préparer deux voitures piégées pour l’attaque du 20 janvier dans un laps de temps assez réduit, et ce dans une zone supposément quadrillée et tenue par les forces kurdes avec l’appui de la coalition, voire encore plus que d’habitude après la première alerte de novembre. »
Et d’ajouter : « Vu les moyens employés, l’ampleur et le déroulé de l’assaut, on peut parler d’une démonstration de force de l’EI. Ils ont atteint leur but dès le lendemain de l’attaque en exfiltrant quelques prisonniers importants, avant de tenir tête plusieurs jours en fixant les forces kurdes dans différentes zones loin de la prison, tout en lançant des attaques dans d’autres régions de Syrie, comme à Deir Ezzor. »
« L’EI est quasiment partout dans les zones rurales sunnites irakiennes »
L’assaut contre la prison de Hassaké a remis en lumière l’activité de l’organisation dans l’Irak voisin, elle aussi pratiquement constante depuis le mois de juin, estime le spécialiste des mouvements jihadistes, qui décompte depuis la semaine dernière une trentaine d’actions en Syrie et trois opérations importantes revendiquées par l’EI dans ce pays.
« La situation n’est pas meilleure en Irak, où l’organisation qui a renoué avec un mode opératoire insurrectionnel est quasiment partout dans les zones rurales sunnites de l’ouest », ajoute-t-il. « Un fait qui démontre que l’EI est toujours dans la même dynamique de harcèlement des forces gouvernementales et kurdes et que ses membres jouissent d’une certaine liberté d’action et de mouvement dans ces territoires où il y a un flou sécuritaire. »
Attentats, attentats-suicides, attaques de convois ou de bases militaires… si les jihadistes de l’EI ont perdu des pans entiers du territoire irakien qui était sous leur contrôle, des cellules multiplient les attaques sur cette zone qui s’étend du nord de Bagdad jusqu’à Kirkouk, à près de 250 km plus au nord, à cheval sur les provinces de Diyala, Salaheddine et Kirkouk.
« Outre la dernière attaque notable qui a eu lieu à Diyala, le gouvernement irakien et l’armée ont indiqué qu’ils avaient mené une frappe aérienne depuis un F16 contre des positions de l’EI à Tarmiya, une ville située à 45 km de Bagdad », conclut Wassim Nasr. « Cela veut dire qu’ils sont aussi présents aux portes de la capitale irakienne et qu’ils sont jugés suffisamment menaçants pour être ciblés par une frappe aérienne, et pas seulement une opération sécuritaire au sol. »